LES INÉGALITÉS DE REVENUS EN CHINE, UN FREIN À

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Enseignants, Chercheurs, Experts sur l’Asie et le Pacifique
Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific
« LES INÉGALITÉS DE REVENUS EN CHINE, UN FREIN À LA CROISSANCE
ÉCONOMIQUE ET À LA POURSUITE DE LA BAISSE DU TAUX DE PAUVRETÉ »
Mylène GAULARD
Centre d’Économie de l’université Paris Nord
Thématique B : Nouveaux paradigmes de la mondialisation
Theme B: New Globalisation Paradigms
Atelier 02 : La croissance suffit-elle à faire reculer la pauvreté ?
Workshop 02: Is growth enough to reduce poverty ?
4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique
4 Congress of the Asia & Pacific Network
th
14-16 sept. 2011, Paris, France
École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville
Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes
© 2011 – Mylène GAULARD
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« LES INÉGALITÉS DE REVENUS EN CHINE, UN FREIN À LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE
ET À LA POURSUITE DE LA BAISSE DU TAUX DE PAUVRETÉ »
Mylène Gaulard
Centre d’Économie de l’université Paris Nord
Introduction
Avec un taux de croissance du PIB de 10,3% en 2010, la Chine paraît à l’abri des
dernières turbulences économiques internationales, et rien ne semble s’opposer à la trajectoire
de croissance suivie par ce pays depuis la fin de la décennie 1970. Encore plus spectaculaire
que l’évolution du PIB, nous souhaitons insister ici sur la baisse importante de la pauvreté,
baisse qu’aucun autre pays au monde n’a expérimentée de manière aussi vive. Cependant,
malgré les chiffres prometteurs que nous présenterons dans une première partie, une forte
hausse des inégalités de revenus caractérise aussi actuellement la Chine et pourrait pénaliser
sa croissance économique future ainsi que la poursuite de la chute de son taux de pauvreté,
notamment en raison de la faible part que la consommation représente dans le PIB, point sur
lequel nous insisterons dans une deuxième partie.
L’évolution de la pauvreté et des inégalités en Chine
Une forte baisse de la pauvreté depuis 1978
L’entrée progressive de la Chine dans l’économie de marché depuis 1978
s’accompagne d’une baisse significative de la pauvreté au niveau national. Selon le seuil de
pauvreté défini par la Banque mondiale, de 1,25 dollar PPA par jour, la part des pauvres dans
la population chinoise est passée de 84% en 1981 à 8% en 2008, soit l’équivalent de 835
millions de personnes en 1981 contre 106 millions en 2008. De même, si nous prenons les
indicateurs du gouvernement chinois, selon lesquels est considérée comme pauvre toute
personne n’ayant pas les moyens de satisfaire ses besoins de base (essentiellement nourriture
et logement), c’est-à-dire toute personne gagnant moins de 200 yuans en 1985 et 1196 yuans
en 2010, le nombre de pauvres a chuté encore davantage, de 125 à 21 millions de personnes,
soit de 14,8% de la population totale à 2,7% (Davis et Feng, 2009).
Figure 1 : Taux de pauvreté en Chine (moins de 1,25 dollars PPA par jour),
en % de la population totale
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
1981 1984 1987 1990 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2002 2005 2008
Source : Banque mondiale
Cette évolution, accentuée durant la première partie de la décennie 1980 par
l’instauration du système de responsabilité des ménages permettant aux paysans de produire
pour leur propre compte (Chen et Ravallion, 2004), est directement le résultat de la forte
croissance du PIB qui caractérise le pays depuis trente ans. Le produit intérieur brut s’accroît
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« Les inégalités de revenus en Chine, un frein à la croissance économique et à la
poursuite de la baisse du taux de pauvreté »
Mylène Gaulard / 2
en effet d’une moyenne annuelle de 10% depuis la fin de la décennie 1970, ce qui représente
une réussite jamais encore égalée dans le monde. Or, accompagnant cette croissance, le
revenu moyen urbain s’est élevé de manière extrêmement vive durant cette période, aidant des
millions de personnes à sortir de la pauvreté.
Figure 2 : Revenu annuel moyen des ménages urbains en Chine (en yuans)
25000
20000
15000
10000
5000
2010
2008
2006
2004
2002
2000
1998
1996
1994
1992
1990
1988
1986
1984
1982
1980
1978
0
Source : China Statistical Yearbook
Une croissance pourtant inégalitaire
Malgré cette baisse de la pauvreté et une croissance économique avoisinant les 10%
depuis trois décennies, le pays connaît pourtant l’une des plus fortes hausses des inégalités de
revenus au monde, avec notamment un indice Gini passant de 0,34 en 1981 à 0,48 en 2009.
Cette évolution est la conséquence d’un dualisme croissant opposant les villes et les
campagnes chinoises (Kujis et Wang, 2005), ainsi que les travailleurs qualifiés et les non
qualifiés (Dollar, 2007). Depuis la décennie 1990, le retrait progressif de l’Etat de la sphère
économique, engendrant des licenciements massifs dans les entreprises publiques suite à leur
restructuration ainsi que la disparition du système de sécurité sociale national (Nhu Nguyen
Ngo, 2006), accentue considérablement ces inégalités de revenus et les difficultés rencontrées
par les ménages les plus modestes.
Figure 3 : Evolution de l’indice Gini en Chine
0,5
0,45
0,4
0,35
2009
2007
2005
2003
2001
1999
1997
1995
1993
1991
1989
1987
1985
1983
1981
0,3
Source : China Statistical Yearbook
La remontée très rapide de l’échelle industrielle et la sophistication de l’appareil
productif chinois excluent du partage des fruits de la croissance économique une part
importante de la population n’ayant pas accès à un niveau d’éducation suffisant et à un emploi
stable dans les secteurs industriels les mieux intégrés à la scène internationale. Le graphique
ci-dessous nous révèle que les 20% les plus riches (premier quintile) de la population voient
leurs revenus représenter une part croissante du revenu moyen national, contrairement à ceux
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« Les inégalités de revenus en Chine, un frein à la croissance économique et à la
poursuite de la baisse du taux de pauvreté »
Mylène Gaulard / 3
des catégories suivantes. Ces inégalités de revenus sont encore plus flagrantes au niveau de
l’opposition villes/campagnes, le revenu moyen dans les campagnes représentant 20% de
celui des villes en 2009, contre plus de 40% en 1978 (China Statistical Yearbook, 2009).
Figure 4 : Revenus annuels des différents quintiles, en % du revenu moyen national
225
175
1er quintile
2ème quintile
3ème quintile
125
4ème quintile
5ème quintile
75
25
1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
Source : China Statistical Yearbook
Figure 5 : Revenus annuels moyens ruraux et urbains en Chine, en yuans
25000
20000
15000
Revenus moyens annuels
ruraux
10000
Revenus moyens annuels
urbains
5000
2010
2008
2006
2004
2002
2000
1998
1996
1994
1992
1990
1988
1986
1984
1982
1980
1978
0
Source : China Statistical Yearbook
Les problèmes engendrés par un niveau élevé d’inégalités
Les phénomènes de surproduction
Cette évolution des inégalités n’est pas sans conséquences néfastes pour l’économie
chinoise, et peut être considérée comme responsable d’une part de plus en plus faible de la
consommation nationale dans le PIB. L’insécurité engendrée par l’évolution économique du
pays pousse les Chinois, et notamment les classes moyennes, à épargner pour des raisons de
précaution environ 30% de leurs revenus, ce qui est un taux d’épargne extrêmement élevé
pour un pays émergent. Ce poids de l’épargne des ménages chinois explique en partie que
l’épargne nationale atteigne un record mondial, avec 50% du PIB, et ce au détriment de la
consommation qui est de 37% (contre environ 60% dans les pays développés ou dans des
pays émergents comme le Brésil). De plus, si les classes moyennes épargnent une part
importante de leurs revenus, il n’en est évidemment pas de même pour les catégories les plus
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« Les inégalités de revenus en Chine, un frein à la croissance économique et à la
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Mylène Gaulard / 4
pauvres dont la consommation reste très faible en raison de leurs bas revenus.
Figure 6 : Evolution de la consommation des ménages en Chine (en % du PIB)
Source : China Statistical Yearbook
Ces deux facteurs, les bas niveaux de revenus des plus pauvres et la constitution d’une
épargne de précaution pour les classes moyennes, sont responsables d’une très faible
consommation nationale à l’origine d’une déconnexion grandissante entre la demande
intérieure et l’offre de l’appareil productif national qui ne peut trouver dans les exportations,
représentant déjà 30% du PIB, un remède suffisant aux excédents de production. Bien que la
Chine présente une population supérieure à un milliard d’habitants, l’industrie chinoise doit
faire face à des phénomènes de surproduction récurrents et à des capacités de production
oisives importantes. A la fin de la décennie 1990, dans la région du Guangdong, en plein
essor industriel, 52% des 320 entreprises étudiées présentaient des taux d’utilisation de leurs
biens d’équipement inférieurs à 40% (Minqi, 2004). Ces problèmes n’ont fait que s’accentuer
durant la décennie 2000. En 2006, selon le ministre chinois du Développement national, Ma
Kai, la capacité de production dans le secteur de l’acier dépasse la demande de 120 millions
de tonnes, et dans le secteur du charbon, on observe une production excédentaire de 100
millions de tonnes. De même, du fait de la faiblesse de la demande effective, les capacités de
production oisives, représentant plus de 50% de l’ensemble des capacités de production au
milieu de la décennie 2000, sont toujours de 10% supérieures dans le secteur des biens de
consommation à celles présentes dans le secteur des biens d’équipement (Yanrui, 2004, p.8485).
La baisse du taux de profit dans l’appareil productif
Ces phénomènes de surproduction et les capacités de production oisives liées à
l’insuffisance de la demande nationale pèsent sur la rentabilité de l’appareil productif chinois.
Depuis la décennie 2000, un débat oppose pour cette raison des économistes de la Far
Eastern Economic Review au sujet de la baisse du taux de profit qui serait compensée ou non
par une hausse de la masse de profit liée à l’accroissement de la production et des ventes sur
le marché extérieur. On observe ainsi une élévation de la masse de profit, alors que le taux de
profit ne cesse de baisser, et pour certains auteurs (Hofman et Kujis, 2006), une telle situation
serait plutôt bénéfique, seule la masse des profits bénéficiant d’une réelle importance.
Cependant, cette augmentation de la masse de profit s’accompagne de la présence de
capacités de production oisives considérables, et la baisse du taux de profit rend incertaine la
poursuite du processus d’accumulation (Weijian, 2006).
Selon nos dernières recherches, c’est d’ailleurs cette baisse du taux de profit qui est à
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« Les inégalités de revenus en Chine, un frein à la croissance économique et à la
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Mylène Gaulard / 5
l’origine du gonflement d’une bulle immobilière en Chine (Gaulard, 2009). Plutôt que de
favoriser le développement d’un appareil productif qui apparaît de moins en moins rentable,
investisseurs et banquiers préfèrent placer leurs revenus dans le secteur de l’immobilier, et
plus modestement dans la finance, ce qui explique qu’une part considérable des milliardaires
chinois soit constituée actuellement de grands promoteurs immobiliers : selon l’Asia Pacific
Wealth Report 2010, ces derniers représentaient 18% des milliardaires chinois en 2008, contre
27% en 2010. Cette situation apparaît dangereuse, car la bulle immobilière pèse encore
davantage sur la consommation des ménages les plus modestes1 et renforce les inégalités, tout
en faisant reposer la croissance sur une base spéculative très instable. Pour cette raison, le
gouvernement chinois a tout intérêt à tenter de réduire les inégalités de revenus pour éviter de
se confronter à une prochaine crise économique remettant en question la croissance ainsi que
la poursuite de la baisse du taux de pauvreté.
Néanmoins, il est très difficile pour le gouvernement central de résoudre le problème
d’insuffisance de demande, un problème risquant pourtant de remettre en cause le
cheminement économique de la Chine, et ni la réforme du système de sécurité sociale ni une
hausse des salaires au niveau national ne semblent être des solutions réellement pertinentes :
la première paraît difficilement applicable en raison d’un niveau déjà très élevé de la dette des
autorités locales, dépassant les 20% du PIB et étant en grande partie insolvable 2 , et la
deuxième pèserait encore davantage sur la rentabilité de l’appareil productif qui est grevée,
certes, par un niveau élevé de capacités de production oisives, mais qui se confronte aussi à
une baisse de la productivité du capital qui doit absolument être compensée par une pression
sur les salaires (Gaulard, 2009).
Conclusion
Malgré une baisse importante de la pauvreté observée en Chine depuis la fin de la
décennie 1970, le pays connaît l’une des plus forte hausse des inégalités de revenus au monde,
avec notamment un indice Gini passant de 0,34 en 1981 à 0,48 en 2009. Outre les conflits
sociaux que cette situation engendre, la structure sociale de plus en plus inégalitaire de la
Chine pénalise considérablement la consommation, aussi bien en raison de la constitution
d’une épargne de précaution par les ménages chinois soucieux de leur avenir que du fait de la
présence de revenus très faibles pour les ménages les plus pauvres empêchant ces derniers
d’accéder aux biens de plus en plus sophistiqués de l’appareil productif chinois. La
consommation nationale, représentant moins de 40% du PIB (contre une part de 60% dans les
pays développés ou émergents comme le Brésil), n’est pour cela pas suffisante pour absorber
les excédents de production de l’appareil productif, ce qui grève la rentabilité industrielle.
Contrairement à une idée aujourd’hui largement répandue, l’économie chinoise
connaît de sérieuses difficultés qui devraient peser sur sa croissance future et la poursuite de
la baisse de son taux de pauvreté, et ce quelles que soient les mesures prises par le
gouvernement. La croissance n’est donc pas suffisante en elle-même pour faire baisser
durablement le taux de pauvreté. Il faut encore que cette croissance s’accompagne d’une
structure socio-économique plus égalitaire, encourageant la consommation et la formation
d’un vaste marché intérieur, ce qui n’est définitivement pas le cas en Chine et nous fait
1
D’après Lu Gao (2010), alors que l’indice prix de l’immobilier/revenus atteint 20 dans les grandes villes
chinoises, ce ratio n’est que de 2,45 pour les 20% les plus riches, contre 22,69 pour les 20% les plus pauvres
(contre, respectivement, une moyenne de 5,6 et 9,7 dans le reste du monde).
2
Selon la Direction des Relations Economiques Extérieures (DREE), les prêts aux véhicules de
financement des gouvernements locaux ont fortement augmenté ces dernières années, bien que leur montant total
soit difficilement évaluable, et les créances douteuses potentielles de ces établissements pourraient atteindre
2000 milliards de yuans (300 milliards de dollars), c’est-à-dire 26% de l’ensemble des créances.
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conclure sur le fait que la croissance chinoise ainsi que la baisse du taux de pauvreté reposent
actuellement sur des bases très fragiles.
Bibliographie
Chen S., Ravallion M., « How have the world’s poorest fared since the early 1980s ? »,
World Bank Research Observer, vol. 19, n° 2, automne, 2004
Davis D., Feng W., Creating wealth and poverty in postsocialist China, Stanford
University Press, Stanford, 2009
Dollar D., « Poverty, inequalities and social disparities during China’s economic reform
», World Bank Policy Research Paper, n° 4253, juin, 2007
Gaulard M., « Les limites de la croissance chinoise », Revue Tiers-Monde, IEDES, Paris,
n°200, décembre, 2009
Hofman B., Kujis L., « Profits drive China’s boom », Far Eastern Economic Review,
octobre, 2006
Kujis L., Tao Wang, « China’s pattern of growth : moving to sustainability and reducing
inequality », China and the World Economy, vol. 14, n° 1, janvier-février, 2005
Lu Gao, « Achievements and challenges : 30 years of housing reforms in the People’s
Republic of China », Asian Development Bank Working Paper, n°198, avril, 2010
Minqi L., « Aggregate demand, productivity, and disguised unemployment in the
Chinese Industrial Sector, World Development, Vol. 32, n° 3, octobre, 2003
Nhu Nguyen N., « Chine : bilan social contrasté d’un formidable essor », BNP Paribas,
Conjoncture, juillet, 2006
Weijian S., « China’s low-profit growth model », in Far Eastern Economic Review,
novembre, 2006
Yanrui W., China’s economic growth : a miracle with chinese characteristics, Routledge,
Londres, 2004
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