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d’attribution, ou, autrement dit, de
peuplement se fait en sélectionnant des
profils de locataires plutôt que d’autres,
les directions s’assurent-elles d’être en
phase avec les difficultés rencontrées par
leurs professionnels de terrain ? Le temps
passé à la concertation ne devrait-il pas
davantage être consacré à faire remonter
les problèmes au sein de l’organisme ?
C’est bien souvent un alibi pour ne pas
réfléchir de manière plus globale à
l’orientation des institutions concernées.
Pourtant, des solutions innovantes
peuvent émerger des processus de
concertations et nourrir des
instances décisionnelles ?
Je m’explique. La concertation ne doit, par
exemple, pas dissimuler la pénurie de
logements disponibles. Des moyens
importants sont alloués au développement
de l’accompagnement social pour garantir
une certaine sécurité aux bailleurs. Certes,
c’est important d’être à l’écoute des
difficultés sociales là où elles s’expriment.
Néanmoins, cette réponse « micro »
dispense parfois d’apporter davantage de
réponses « macro » en termes de
politiques de l’habitat, de l’emploi, de
l’aménagement du territoire et de santé
publique. Les bricolages inventifs des
professionnels de terrain, le
développement du réseau, les
partenariats… tout cela est très riche en ce
qu’il conduit à reformuler des limites, des
frontières, des compétences. Je trouve
cependant que tout le savoir qui s’échange
là ne remonte pas beaucoup et n’est pas
tellement pris en compte au niveau des
politiques plus globales. Il y a là un hiatus
qui est problématique.
La concertation semble au moins
bénéfique à l’usager, puisqu’il arrive
souvent que des solutions soient
proposées au cas par cas ?
Chaque institution ne s’adresse pas au
même public. Un médecin s’adresse à un
patient ou à un malade (ce qui n’est déjà
pas tout à fait la même chose), un
psychiatre à un patient, un usager de la
psychiatrie ou de la santé mentale. Chez
les professionnels de l’habitat, il s’agit de
locataire, de résident, d’habitant ou de
client. Quant aux acteurs de l’action
sociale, ce peut être des usagers, des
bénéficiaires ou des consommateurs. Bref,
selon la dénomination, l’angle sous lequel
est abordé la personne n’est pas le même.
Il est important d’avoir conscience de
cette pluralisation de l’individu. D’un côté,
je suis pluriel pour les institutions, de
l’autre, je suis une seule et même
personne. Il y a une tentation bien
compréhensible à dire qu’une prise en
charge globale est nécessaire, qu’il y en a
assez de la parcellisation des dispositifs,
etc. Néanmoins, dans ce mouvement, il y
a un risque de toute puissance en croyant
que l’intervention va avoir une prise sur
l’ensemble de l’individu, avec forcément
des conséquences sur sa liberté, son
autonomie, son indépendance, son
intimité et sa vie privée.
Cette tendance à la prise en charge
globale au moment de la concertation
présente des dangers pour la personne :
comment évaluer jusqu’où cette
globalisation lui sera bénéfique ?
Pourriez-vous donner un exemple ?
Un locataire ne souhaite pas forcément
que ses voisins ou son bailleur social
sachent qu’il est régulièrement hospitalisé
en psychiatrie parce qu’il est schizophrène,
dépressif ou autre. Il a besoin d’être
considéré comme simple voisin, ou simple
locataire. L’interlocuteur qui s’occupe de
son logement n’a pas à le considérer
comme malade ou handicapé. Ce qui ne
veut pas dire que cette même personne
n’ira pas un jour se présenter pour
expliquer un impayé ou faire respecter un
droit en disant « je suis malade/je suis
handicapé ». C’est une démarche
différente. La concertation amène
rapidement à la question du secret
professionnel. Les informations qui sont
partagées vont avoir un impact sur la
manière dont la personne va être
considérée et sur la violence qui va être
faite à son identité sociale ou personnelle.
C’est à la fois un intérêt et une limite des
réunions de concertation.