Donc, pour reprendre votre propre question, qu’est-ce qu’on attend de ces nouvelles formes d’intervention
dans la vie des personnes » ?
L’idéal commun à ces professionnels était de favoriser l’émancipation de personnes en proie à diverses formes de
dépendance : santé, conditions de vie, relations… La visée politique sous-jacente était de rendre à chacun sa place de
citoyen apte à s’investir dans la vie sociétale. Cet idéal a pris du plomb dans l’aile ! La crise économique a drastiquement
restreint l’accès au travail des personnes handicapées. Elles sont par conséquent maintenues dans une assistance
économique, quelle qu’elle soit, qui réduit d’autant leur niveau d’indépendance. L’idéal d’émancipation s’est peu à peu
transformé en idéal de mieux-être : les interventions des professionnels visent désormais à améliorer les conditions de
vie des gens, ou, a minima, à soulager une partie de leurs souffrances. Comment ? En tentant d’assurer une prise en
charge médicale adéquate, si besoin est, et en facilitant la régulation sociale des gens avec leur entourage. Ce type
d’interventions a, bien sûr, un impact sur la façon dont il est perçu par les bénéficiaires. Lorsque l’individu a cumulé une
longue période de chômage assortie de la reconnaissance d’une invalidité et que sa vie familiale est fortement dégradée
(divorce, rupture avec les enfants, isolement), les aides qu’on peut lui apporter sont tout à fait recevables. Un individu
jeune, qui sait que les enjeux de son existence se situent bien au-delà de l’investissement dans son logement et d’une
bonne entente avec son voisinage, peut manifester des réactions de refus. Les modes d’intervention apportant des
améliorations de proximité peuvent, en effet, être interprétés comme la confirmation douloureuse d’un renoncement fait
des idéaux de vie et d’autonomie. C’est intéressant à souligner car ceci explique le décalage qui peut exister entre la
bonne volonté, le remarquable travail de professionnels de terrain et la réticence de certains usagers. Cela peut susciter
incompréhension et repli des professionnels mais, à l’échelle de la vie de l’individu, accepter ces aides reviendrait à
s’inscrire dans une démarche de renoncement beaucoup trop coûteuse.
A votre avis, quelles sont les limites éventuelles d’un processus de concertation ?
Il n’y a pas de limites intrinsèques à la concertation. Elle est juste à resituer dans un contexte global de politiques
publiques et de dynamiques professionnelles. Le développement partenarial n’a pas à se faire au détriment d’une
réflexion continue des missions, mandats et compétences de chaque institution. Que la psychiatrie, les bailleurs sociaux
et l’action sociale travaillent ensemble ne doit pas dissimuler l’enjeu qu’il y a pour la psychiatrie de se réorganiser et de
s’adapter aux mutations actuelles. La concertation sert parfois de vitrine pour éluder ces questions. Très concrètement,
l’écart entre le niveau de réflexion très poussé des acteurs de terrain sur la souffrance psycho-sociale et celui de
l’institution elle-même est important. Cette rupture peut être dissimulée et dédouanée par la concertation. Je pense la
même chose pour les acteurs de l’action sociale et de l’habitat. Il y a, depuis une vingtaine d’années, une mutation du
métier de bailleur social qui passe par un fort développement des postes de fonction sociale. Ces professionnels
s’investissent dans des réunions partenariales, mais l’insuffisance de communication effective avec leurs directions
empêchent les uns et les autres de prendre la juste mesure des réorganisations et de s’interroger sur leurs pertinences.
Quand les bailleurs sociaux se positionnent sur le maintien à domicile des habitants âgés en organisant la venue de
services ou bien lorsqu’une politique d’attribution, ou, autrement dit, de peuplement se fait en sélectionnant des profils de
locataires plutôt que d’autres, les directions s’assurent-elles d’être en phase avec les difficultés rencontrées par leurs
professionnels de terrain ? Le temps passé à la concertation ne devrait-il pas davantage être consacré à faire remonter
les problèmes au sein de l’organisme ? C’est bien souvent un alibi pour ne pas réfléchir de manière plus globale à
l’orientation des institutions concernées.
Pourtant, des solutions innovantes peuvent émerger des processus de concertations et nourrir des instances
décisionnelles ?
Je m’explique. La concertation ne doit, par exemple, pas dissimuler la pénurie de logements disponibles. Des moyens
importants sont alloués au développement de l’accompagnement social pour garantir une certaine sécurité aux bailleurs.
Certes, c’est important d’être à l’écoute des difficultés sociales là où elles s’expriment. Néanmoins, cette réponse « micro
» dispense parfois d’apporter davantage de réponses « macro » en termes de politiques de l’habitat, de l’emploi, de
l’aménagement du territoire et de santé publique. Les bricolages inventifs des professionnels de terrain, le
développement du réseau, les partenariats… tout cela est très riche en ce qu’il conduit à reformuler des limites, des
frontières, des compétences. Je trouve cependant que tout le savoir qui s’échange là ne remonte pas beaucoup et n’est
pas tellement pris en compte au niveau des politiques plus globales. Il y a là un hiatus qui est problématique.
La concertation semble au moins bénéfique à l’usager, puisqu’il arrive souvent que des solutions soient
proposées au cas par cas ?
Chaque institution ne s’adresse pas au même public. Un médecin s’adresse à un patient ou à un malade (ce qui n’est
déjà pas tout à fait la même chose), un psychiatre à un patient, un usager de la psychiatrie ou de la santé mentale. Chez
les professionnels de l’habitat, il s’agit de locataire, de résident, d’habitant ou de client. Quant aux acteurs de l’action
sociale, ce peut être des usagers, des bénéficiaires ou des consommateurs. Bref, selon la dénomination, l’angle sous