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les jeux fictionnels collectifs sont un élément central dans la maturation cognitive et
affective de l’enfant et dans sa maîtrise progressive du réel. Etudier la fiction c’est
donc aussi étudier un élément central du développement cognitif et affectif des êtres
humains.
Malgré l’importance des pratiques fictionnelles, malgré notre familiarité avec elles, et
bien que notre know how pratique quant à la manière « correcte » d’en user soit
rarement pris en défaut, il n’existe pas à ce jour de consensus scientifique quant à sa
« nature » ou à ses traits constitutifs. Les difficultés rencontrées sont dues en partie à la
généalogie historique de la notion de « fiction » : loin d’être utilisée uniquement pour
désigner les fictions ludiques et artistiques, elle désigne aussi, selon les contextes, les
illusions cognitives (pour Hume l’idée de « moi » est une fiction), les manipulations de
tout ordre (c’est ainsi qu’on parle de « fictions » à propos de l’information manipulée),
les croyances auxquelles on n’adhère pas (les « mythes » seraient ainsi des fictions),
les modèles heuristiques (la « fiction » de l’état de nature ou celle du contrat social),
les entités théoriquement stipulées mais non observables (la « fiction » de l’électron),
et ainsi de suite. Il importe de comprendre ce qui distingue entre elles ces différentes
familles de stratégies représentationnelles qui sont désignées par le terme de
« fiction ».
Cette clarification est un préalable nécessaire pour pouvoir aborder les questions
centrales de la philosophie de la fiction. D’importants travaux ont été accomplis dans
ce champ, par les logiciens et les philosophes de l’esprit : question du statut référentiel
de la fiction, relation entre fiction et propositions contrefactuelles, relations entre la
structure logique des univers fictionnels et celle des mondes possibles, définition
pragmatique du statut des propositions fictionnelles, relation entre fiction et simulation
mentale….. Mais beaucoup de problèmes restent en suspens dont celui, fondamental,
de savoir s’il convient de considérer que la fiction identifie un type spécifique de
représentation ou si elle correspond plutôt à un usage spécifique des représentations. Il
semble bien que toute conception de la fiction présuppose aussi une théorie de la
représentation et qu’à l’inverse toute théorie de la représentation prédétermine aussi un
certain type de théorie de la fiction. Une clarification de la spécificité de la fiction
comme représentation est donc susceptible d’apporter une contribution importante aux
conceptions (philosophiques ou autres) de la représentation.