Même s’il faut garder une distinction claire entre la souffrance d’autrui et la souffrance
propre (sans quoi on ne comprendrait pas l’appel à la responsabilité qu’implique la souffrance
d’autrui), il n’est pas erroné de dire que la souffrance d’autrui se comprend en partie par la
souffrance propre. D’abord, le parcours de Levinas sur ce thème montre que l’expérience de
la souffrance propre joue le rôle, en quelque sorte, d’une préparation à l’expérience de la
souffrance d’autrui. Il est normal de relier les deux phénomènes, puisque l’expérience de la
souffrance d’autrui donne un sens à l’expérience de la souffrance propre. Ensuite, la réflexion
de Levinas sur le tiers montre qu’il a lui-même envisagé une comparaison possible des
incomparables. De même qu’il lui a été possible de mettre en balance les responsabilités (en
droit illimitées) envers autrui et envers le tiers, de même il doit être possible, en interprétant
Levinas, de comparer souffrance d’autrui et souffrance propre.
L’asymétrie dans la relation de soin
Lors de la quatrième conférence, Agata Zielinski, Maître de conférences en philosophie à
la faculté de médecine de l’Université de Rennes 1, a réfléchi sur les ressources de Levinas
pour penser l’asymétrie de la relation entre soignant et patient. Au début de son intervention,
intitulée « Asymétrie dans la relation de soin : quelques enjeux pour l’éthique médicale », elle
a mis en exergue les positionnements respectifs du soignant et du patient dans le milieu
hospitalier. Ceux-ci se caractérisent par une différence radicale du point de vue du savoir, du
savoir-faire et du pouvoir. Plusieurs philosophes ont tenté des approches en vue de rétablir un
semblant d’égalité dans le rapport soignant-patient, ou au moins d’éviter une prise de pouvoir
du premier sur le second.
Dans sa théorie des trois niveaux de l’action médicale, Viktor von Gebsattel 7
distingue : premièrement, la sympathie, soit la capacité élémentaire, à la portée de non-
professionnels, à être attentif à l’expression de la souffrance ; deuxièmement, la réponse
compétente du professionnel à la souffrance ; troisièmement, le rétablissement du patient dans
son statut de personne, ce qui implique un respect de son autonomie. L’apport de Paul
Ricoeur, qui affirme une réciprocité possible dans le rapport soignant-patient et met en avant
le concept d’alliance thérapeutique8 et l’affirmation d’une réciprocité possible dans le rapport
soignant-patient, fournit également des pistes de réflexion pour balancer l’asymétrie de la
relation médicale. Toutefois, c’est Levinas qui repense véritablement cette asymétrie d’une
manière originale et subversive : pour lui, l’asymétrie originelle de la relation est renversée.
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7 Voir Viktor von Gebsattel, « The meaning of medical practice », Theoretical Medicine, 1996 (16), pp. 41-72.
8 Voir Paul Ricoeur, « Les trois niveaux du jugement médical », Le Juste 2, Paris, Editions Esprit, 2001, pp. 227-
243.