La langue algérienne existe-t-elle vraiment ?
«L’arabe classique, c’est la langue de l’école et de la religion. Le français, c’est la langue du savoir, de
l’université et du colonialisme. L’arabe algérien, c’est notre langue, dialnaTelles ont été les réponses
majoritairement données à la chercheuse Ouardia Aci, lorsqu’elle a demandé à des centaines
d’Algériens et d’Algériennes ce que ces trois langues évoquent pour eux. Mais en réalité, que sait-on
vraiment de cette langue «dialna» ? Rien que sa dénomination et sa définition sont matières à débat.
Quant à son statut officiel, il est inexistant.
L’algérien : une langue ou un dialecte ?
La première interrogation, légitime et indispensable, est de savoir dans quelle catégorie nous devons classer
cette langue. «Sur le plan purement technique c’est d’abord une langue car tout dialecte est un système
linguistique. En revanche sur le plan social, c’est un dialecte car il n’est pas normé, il n’a pas de statut
officiel et est utilisé quasi exclusivement à l’oral», précise le sociolinguiste, directeur de laboratoire à
l’Université d’Oran, Farouk Bouhadiba. Une analyse qui n’est pas partagée par l’écrivain et essayiste Kamel
Daoud : «l’algérien est une langue à part entière comme toutes les autres langues utilisées pour
communiquer. On parle, on commerce, on débat, on vit, on aime en algérien». Selon lui, «la différence entre
un dialecte et une langue est idéologique et politique. On dénie (politiquement, idéologiquement et
religieusement) aux Algériens leur langue».
La chercheuse en sociodidactique et ex-chef du département des langues étrangères de l’université de Blida,
Ouardia Aci, ne s’aventure pas aussi loin. Elle affirme néanmoins que «l’arabe algérien n’est pas un
dialecte, mais bien une langue». Le point de passage entre le dialecte et la langue se situe au moment où l’on
donne une identité graphique à un système linguistique oral. Or cette consécration de l’algérien à l’écrit
s’achemine peu à peu. Aujourd’hui, sur internet ou par texto, les gens écrivent quotidiennement en algérien.
Même les campagnes publicitaires commencent à se faire dans cette langue. «C’est le cas de Nedjma, par
exemple, qui écrit certains de ses slogans en arabe algérien», précise Ouardia Aci. La compagnie de
téléphonie mobile a en effet bien compris le filon que représente la communication dans cette langue et
l’impact que cela peut avoir sur une population ayant enfin l’impression que l’on s’adresse à elle avec ses
propres mots.
Certains slogans publicitaires Nedjma sont en algérien
L’algérien : une langue arabe métissée
L’algérien est à l’image de l’Algérie. Une langue au carrefour des cultures, le fruit amer de l’apport et du
rejet des différents colonisateurs, l’acceptation consciente ou inconsciente du métissage. Mais l’identité
complexe de cette langue ne facilite pas sa dénomination. Certains parlent d’ «arabe algérien», tandis que
d’autres préfèrent «algérien» tout court rechignant à y accoler «arabe».
«Sur le plan linguistique, on parle généralement en Algérie de continuum de langue arabe. Un continuum
constitué d’un mélange d’arabe classique, moderne, parlé et des dialectes régionaux», explique le linguiste
Farouk Bouhadiba qui continue de développer sa pensée. «Au sein de ce continuum, une nouvelle forme
d’arabe est même en train de se construire : l’arabe médian, lougha al oustaâ, qui est un mélange entre
l’arabe officiel et le dialecte. L’arabe dialectal se rehausse alors avec des mots d’arabe classique pour
atteindre un niveau de langue plus soutenu».
L’ «arabe algérien» est un terme que réfute totalement Kamel Daoud qui a procédé à de nombreuses
recherches sur le sujet. «L’algérien n’est ni de l’arabe ni un dérivé de l’arabe. Bien sûr des mots arabes
existent mais ça n’en fait pas un dérivé de l’arabe. Il y a également des mots de français, d’espagnol ou de
berbère. Le propre d’une langue vivante est d’absorber des éléments des autres langues. Ce fut le cas du
français par exemple. Ce n’est pas un dérivé du latin, même s’il s’est constitué avec des mots provenant du
latin», explique l’écrivain et essayiste.
Le linguiste Farouk Bouhadiba s’accorde sur le fait que l’algérien est une langue mixte, avec des influences
extérieures nombreuses. «C’est un fort dosage d’arabe et des emprunts au français, au berbère, à l’espagnol,
car c’est une langue receveuse qui n’est pas fermée sur elle-même», précise-t-il. Mais, selon lui, cela
n’empêche pas l’algérien d’être une langue arabe. «Quand les gens disent que l’arabe algérien n’est pas de
l’arabe c’est parce qu’ils prennent pour référence l’arabe classique du Coran, or personne ne parle cet arabe
car ce n’est pas un arabe oral», estime-t-il.
Une langue non-officielle mais une langue nationale
L’algérien, ou arabe algérien, n’est pas reconnu en tant que langue officielle de l’Algérie. Il n’a même pas
été officiellement érigé au rang de langue nationale. Titre qu’a pourtant reçu le tamazight il y a plusieurs
années. Néanmoins, dans les faits, «qu’on le veuille ou non, cette langue algérienne est nationale», assure
l’universitaire Ouardia Aci.
La non-institutionnaliste de l’algérien est imputable à «une confusion ‘lexicale’ -bien entretenue-» qui
«assimile l’arabe au maghribi [autre nom donné à l’algérien] ; ce qui dispense d’émanciper juridiquement
cette langue vernaculaire, pourtant très largement majoritaire». C’est en tout cas ce qu’affirme Abdou
Elimam dans son essai intitulé Du Punique au Maghribi.
«Le jour on créera une académie de l’alrien, on guérira la honte de soi, de notre langue. Il faudra par
contre un pouvoir politique assez courageux pour le faire», estime Kamel Daoud. Mais une telle académie
ne pourra se faire sans un travail préalable de la société civile, des écrivains, des intellectuels, des artistes.
Le chercheur Farouk Bouhadiba se rend compte des manques en la matière. «Nous les linguistes, nous
devrions préparer le terrain en créant des dictionnaires, des méthodes de langue de l’arabe algérien. Il faut
réfléchir, trouver une plate-forme de discussions entre gens spécialisés pour déterminer cet arabe algérien au
niveau linguistique», espère-t-il.
Politique, linguistique, commercial ou culturel, l’institutionnalisation peut venir de divers déclencheurs. «La
langue égyptienne s’est imposée à travers la production culturelle et a été principalement véhiculée par le
cinéma», se souvient Kamel Daoud. En Algérie ça arrive petit à petit. «Le raï, par exemple, est une
expression artistique qui a essayé de donner ses lettres de noblesse à l’algérien. On observe aussi une
utilisation de l’algérien dans la publicité ou dans certains titres d’articles de journaux sportifs», souligne
l’écrivain.
Les différences régionales : le vrai-faux débat
Comme pour toute langue principalement orale et non normée par un pouvoir central, le problème de
l’algérien réside dans sa diversité. Chaque région possède sa propre variante de la langue avec des
différences de vocabulaire, de syntaxe et de prononciation. «L’arabe algérien est une panoplie de variétés
dialectales. Il y a trop de divergences régionales». Farid Bouhadiba craint donc une institutionnalisation par
le haut qui pourrait «être dangereuse». «Il ne faut pas tomber dans le piège de la Tunisie de Bourguiba qui
voulait imposer le parler arabe de Tunis dans tout le pays», s’inquiète le linguiste, d’après lequel «il faudrait
institutionnaliser l’arabe algérien de façon souple. On ne peut pas imposer un seul dialecte».
«Certes des différences entre les régions existent, mais arrêtons d’exagérer en disant qu’il y a beaucoup de
différences. Quelqu’un de Annaba comprend très bien quelqu’un d’Alger», martèle Kamel Daoud. Le seul
moyen que l’institutionnalisation fonctionne est que les «élites politiques imposent un jour une norme». Un
quelconque risque de domination linguistique ? «Ce n’est pas un problème», estime l’écrivain, «ça s’appelle
juste un Etat». «Celui qui a l’armée et le pouvoir impose sa langue». Ce qui inquiéterait le plus Kamel
Daoud n’est pas l’uniformisation de l’algérien mais un risque de dérive monopolistique comme ce fut le cas
avec l’arabe classique et la politique d’arabisation : «Quand on institutionnalisera l’algérien, il ne faudra pas
tomber dans le travers de l’arabe, qui s’impose comme un monopole. Plusieurs langues existent en Algérie,
il faut donc qu’elles cohabitent toutes ensemble».
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