02/08 AOUT 09 Hebdomadaire Paris OJD : 14064 57 BIS RUE D'AUTEUIL 75016 PARIS - 01 44 30 19 60 Surface approx. (cm²) : 1186 Page 1/3 Théâtre SUR LES PLAN Le Congolais Dieudonné Niangouna et le Malgache Jean-Luc Raharimanana invités officiels du Festival d'Avignon, une dizaine de pièces africaines programmées dans le « off»... la création théâtrale du continent a constitué l'un des volets majeurs de cette 63e édition. TIRTHANKARCHANDA, envoyé spécial A vec pour artiste-associé le Libano-Canadien Wajdi Mouawad, la 63e édition du Festival d'Avignon (France), qui s'est tenue du 7 au 29 juillet, ne pouvait être que cosmopolite. Tant par la provenance (Canada, Liban, Pologne, Congo, Suisse, Allemagne, Italie) des artistes invités que par les thématiques des spectacles proposés. Ainsi, pendant les trois semaines de la plus célèbre manifestation française consacrée au théâtre et aux arts de la scène, les festivaliers ont-ils pu choisir parmi une très large palette de spectacles convoquant les heurs et malheurs du monde. Les mille et une propositions du programme « off », ou informel, comme la trentaine de spectacles que comptait le « in » (programmation officielle) étaient autant d'invitations à « interroger le monde », un monde traversé par des émeutes (en Grèce ou à Madagascar), des conflits (au Moyen-Orient), la crise financière et ses conséquences sociales (en Occident). Ces spectacles ont témoigné aussi de l'originalité et de la créativité des artistes venus des quatre coins de la planète. CONTET 9905580200509/GFC/AKO/2 Notamment de l'Orient. Le « in » avait cette année une couleur résolument orientale avec la présence de plusieurs artistes méditerranéens. Le cinéaste israélien Amos Citai a ouvert la manifestation avec une création inspirée de l'œuvre d'un historien juif du Ier siècle de notre ère, évoquant la Eléments de recherche : prise de la forteresse de Massada et la dispersion du peuple juif. L'Orient contemporain était représenté par deux couples libanais : Lina Saneh-Rabih Mroué et Joanna Hadjithomas-Khalil Joreige. Alors que le premier a enchanté les festivaliers avec sa pièce moderne et délicieuse- PASCAL CONTET : accordéoniste, toutes citations 02/08 AOUT 09 Hebdomadaire Paris OJD : 14064 57 BIS RUE D'AUTEUIL 75016 PARIS - 01 44 30 19 60 Surface approx. (cm²) : 1186 Page 2/3 CNES D'AVIGNON expliquent les codirecteurs du festival, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, mettant en exergue l'axe narratif de l'édition 2009. QUÊTE EXISTENTIELLE La trilogie présentée par Wajdi Mouawad à la Cour d'honneur du palais des Papes ainsi que la nouvelle pièce créée pour l'occasion sont emblématiques de cette sensibilité narrative. Dramaturge, comédien et metteur en scène talentueux, Mouawad vit au Québec depuis l'âge de 10 ans. Ses pièces racontent sur le mode épique et philosophique l'exil, la guerre, l'incohérence du monde. Montées en intégrale pendant quatre nuits, la trilogie composée de Littoral, Incendies et Forêts mêle la fiction à des scènes de vie autobiographiques et donne à voir sa quête toujours recommencée des origines et du sens. Plus avant-gardiste, sa nouvelle pièce, Ciels, renouvelle le récit de la quête existentielle, en s'inspirant de l'actualité mondiale délétère sur laquelle pèsent des menaces d'attentats terroristes et de guerres de civilisations. « Pour combattre l'amnésie, l'homme a besoin de raconter des histoires. » tes Cauchemars du gecko, de Jean-Luc Raharimanana. ment satirique Photo-romance (voir J.A. n° 2532), qui met en scène une société libanaise déchirée entre sa double culture, le second a raconté la guerre civile libanaise à travers des oeuvres cinématographiques et photographiques. Plus que leurs origines communes, ce qui rapproche ces artisCONTET 9905580200509/GFC/AKO/2 Eléments de recherche : tes d'Orient, c'est leur propension à la narrativité, leur utilisation de récits comme autant de baumes sur nos douleurs existentielles. « L'homme a besoin de raconter des histoires car elles lui confèrent son humanité, lui permettent d'appréhender le monde et de combattre la tentation d'amnésie », PASCAL CONTET : accordéoniste, toutes citations Si l'Orient et sa narrativité ont dominé cette édition, l'Afrique, avec trois spectacles magistraux programmes dans le cadre du « in » ainsi qu'une dizaine de spectacles accueillis par le « off» (notamment Bmtou et Big Shoot, de Koffi Kwahulé, Carte d'identité, de Diogène Ntarindwa et Fada rive droite, d'Arezki Mellal), a constitué le second volet majeur de cette édition. Un volet très attendu, d'autant que les artistes invités étaient Dieudonné Niangouna et Jean-Luc Raharimanana, deux figures importantes des lettres africaines contemporaines. 02/08 AOUT 09 Hebdomadaire Paris OJD : 14064 57 BIS RUE D'AUTEUIL 75016 PARIS - 01 44 30 19 60 Surface approx. (cm²) : 1186 Page 3/3 Habitué du festival auquel il a participé il y a deux ans, en 2007, avec son monologue sur la clandestinité (Attitude clando), Niangouna est revenu cette année à Avignon avec Les Inepties volantes, un fragment poétique inspiré des guerres civiles successives qui ont ravagé son pays, le Congo-Brazzaville, dans les annees 1990 (voir J A n° 2531) Interprétant son propre texte en dialogue étroit avec l'accordéoniste français Pascal Contet, le Congolais a fait entendre une parole volcanique qui relève autant de la résistance que du cri Une parole souvent opaque, maîs le public l'a écoutée, médusé par la dramaturgie de Niangouna, ou se mêlent avec bonheur la virulence et la force poétique de la métaphore II a été aussi question de guerres et de résistances dans Les Cauchemars du gecko, un spectacle chante, dansé et monologué, né de la colla boration entre le metteur en scène français Thierry Bedard et l'écrivain SYLVIE CHALAYE Professeur à l'Institut d'études théâtrales de Paris III, spécialiste de dramaturgies afro-caribéennes. JEUNE AFRIQUE: Quelles sont les grandes tendances du théâtre africain contemporain? SYLVIE CHALAYE: La principale tendance du theâtre africain des annees 2000 est de ne plus être identifiable comme étant africain Ni tam-tams, ni palmiers, ni villages, ni griots Les auteurs d'aujourd'hui s'attachent a brouiller les marques d'une identité africaine reperable afin de mieux s'inscrire dans la pensée du monde C'est un theâtre hybride qui se situe au carrefour de différentes influences Je compare volontiers le nouveau theâtre africain au jazz, qui s'enracine profondement dans l'histoire de l'odyssée africaine, tout en étant véritablement universel H De quand date l'émergence de ce nouveau théâtre africain? La rupture avec le theâtre africain classique a lieu a la fin des annees 1980, avec l'entrée en scene de jeunes écrivains qui proposent une conception dramaturgique dégagée de toute revendication identitaire et géographique C'est le Togolais Kossi Efoui qui a ouvert la voie avec sa piece Le Carrefour Ses protagonistes n'ont pas de noms africains Le lieu est également indéterminé. L'action se déroule a un carrefour Kossi Efoui a reinvente l'économie dramatique et poétique du theâtre africain, mettant en crise le regard que l'on porte sur l'Afrique. S'agit-il toujours de théâtre africain? Oui et non Non, car les auteurs du nouveau theâtre africain comme Koulsy Lamko (tchadien), Koffi Kwahule (ivoirien), Caya Makhele et Dieudonne Niangouna (congolais), Marcel Zang et Kouam Tawa (camerounais), Jose Pliya (béninois), Kangni Alem et Gustave Akakpo (togolais), se définissent comme des identités singulières Artistes d'abord. Africains par hasard Leur afncanite se traduit par un lien profond avec l'oralite qui imprègne leur oeuvre, la rythmique, le phrase, la langue Elle est dans la façon de penser le monde, dans la maniere de respirer avec l'autre L'identité africaine n'est plus là où on l'attend, elle donne rendez-vous ailleurs. Par exemple, au-dessus du vide identitaire laisse par l'histoire tragique de l'Afrique Les auteurs africains savent que ce vide ne peut être comble ll leur faut mettre en oeuvre d'autres strategies, celle du détour, du rêve pour aller de l'autre côte Ils dansent au-dessus du vide pour s'élancer vers l'avenir • Propos recueillis parT.C. CONTET 9905580200509/GFC/AKO/2 Eléments de recherche : malgache Jean-Luc Rahanmanana Les deux hommes ont déjà travaillé ensemble pour la mise en scène de 47, pièce tirée d'une oeuvre de Raha nmanana et consacrée à la répression sanglante de l'insurrection malga che en 1947 par les forces coloniales françaises. REPTILE MALGACHE Pour l e u r n o u v e l l e c r e a t i o n , Thierry Bedard a demande à JeanLuc Rahanmanana « comment on voit le monde lorsqu'on habite dans un pays pauvre, très pauvre, à l'image de Madagascar, et qu'on regarde de la bas l'Occident riche bien qu'en crise » La réponse du Malgache est un chant complexe et argumenté qui n'est pas sans rappeler l'œuvre d'Aimé Césaire, nourri du politique et de l'Histoire, traversé par des fulgurances de lyrisme et d'impré cations Empruntant pour l'occasion le point de vue du gecko, le sympathique reptile malgache incarnant ici la résilience de l'opprimé, Rahanmanana chante les dysfonc- Raharimanana répertorie les crimes de l'Occident etde ses complices. tionnements du monde, répertorie les crimes de l'Occident et de ses complices (esclavage, colonisation, mondialisation) et laisse planer la nostalgie d'un temps immobile symbolisé par le gecko Mise en scène avec sobriété, interprétée par des comédiens talentueux qui n'ont pas su, toutefois, toujours éviter le piège du démonstratif et de la déclama lion, la piece a manifestement touche les spectateurs, « de plus en plus demandeurs d'Afrique », si l'on en croît les critiques de théâtre « Le Festival d'Avignon est de plus en plus attentif aux oeuvres des créateurs étrangers, comme en témoigne le choix de Wajdi Mouawad comme artiste associé C'est le premier artiste-associé non européen », explique pour sa part Thierry Bedard, qui sou haiterait revenir à la cité des Papes pour monter Nuruddm Farah « Le Faulkner africain i » • PASCAL CONTET : accordéoniste, toutes citations