La marche a commencé... sous l'eau Un dipneuste africain – un poisson à branchies et poumons – se propulse en appuyant ses nageoires sur le sol. Une découverte qui précise le scénario par lequel la marche est apparue. Marie-Neige Cordonnier Marie-Neige Pour la Science. Le locuteur: cet article a été publié dans la revue Pour La science par la journaliste Marie-Neige Cordonnier. Son article s'appuie sur une étude d' Heather M. King1, Neil H. Shubin1, Michael I. Coates et Melina E. Hale intitulée Behavioral evidence for the evolution of walking and bounding before danterrestriality in sarcopterygian fishes sur le site pnas.org King et al., PNAS, 2011 Le lieu de production Cette étude a été produite dans le Department of Organismal Biology and Anatomy, University of Chicago, aux Etats-Unis publiée une première fois le 10 septembre 2011, puis une seconde fois le 14 novembre 2011. Enfin il a été publié dans le Pour La Science du 21 décembre 2011 Protopterus annectens, un dipneuste africain long d'une vingtaine de centimètres, se déplace en prenant appui sur le substrat avec ses nageoires inférieures, parfois en les alternant (croix), parfois simultanément (étoiles). Les deux séquences de mouvements décomposées ici ont duré respectivement 8,48 secondes (en haut) et 11,18 secondes (en bas). Interlocution: Cet article s'appuie sur de nombreux travaux dont ceux d' Alexander-Marrak PD, Nicholson J, Yeats AK (1976) Devonian sediments ou d' East Greenland II: Sedimentary structures and fossils. Medd Gronl 206:1–91... Cette recherche s'adresse surtout à la communauté scientifique. Il marche et saute sous l'eau… à l'aide de ses nageoires : ainsi se déplace Protopterus annectens, un dipneuste africain. C'est ce qu'ont montré Heather King et ses collègues de l'Université de Chicago, aux États-Unis. En étudiant ce poisson sarcoptérygien , ils espéraient trouver une réponse à une question ancienne : comment les premiers tétrapodes – les premiers animaux vertébrés qui ont marché (à quatre pattes) sur le sol – sont-ils apparus ? En d'autres termes, dans quel ordre les différentes caractéristiques associées à la marche sont-elles apparues au cours de l'évolution ? concepts: sarcoptérygien( animaux avec des poumons). l'arbre de l'évolution: théorie de Charles Darwin qui repose sur l'idée que les espèces évolueraient afin d'assurer leur survie, ce qui expliquerait pourquoi certains poissons se seraient mis à marcher. Les dipneustes sont, dans l'arbre de l'évolution des espèces actuelles, un groupe frère des tétrapodes. Ils présentent en outre plusieurs caractéristiques communes avec des fossiles des premiers tétrapodes, tels des poumons alvéolés et fonctionnels, l'absence de sacrum (cette partie articulée du bas de la colonne vertébrale est apparue plus tard chez les tétrapodes), et deux paires de membres (ici des nageoires) très mobiles. Ces similitudes suggèrent que ces caractéristiques sont apparues plus tôt, chez un ancêtre commun des dipneustes et des tétrapodes. De même, s'il existait des similitudes de locomotion entre ces deux groupes, elles pourraient être apparues chez un ancêtre commun. Et elles renseigneraient les biologistes sur l'ordre d'apparition des principales caractéristiques de la marche : le passage de la vie aquatique à la vie terrestre, l'apparition de membres munis de doigts, la locomotion sur une surface solide en soulevant le corps et la propulsion par alternance des membres inférieurs. En filmant et décomposant les mouvements du dipneuste, les biologistes de Chicago ont observé qu'il se déplace en prenant appui sur le sol avec ses nageoires pelviennes, parfois l'une après l'autre, parfois de façon synchrone, effectuant ainsi de petits bonds. Il passe en outre continûment d'une démarche à une autre. Par contraste, le cœlacanthe, un cousin des dipneustes et des tétrapodes dans l'arbre de l'évolution, ne s'appuie pas sur le sol pour avancer, mais se déplace lui aussi en actionnant ses nageoires alternativement. Méthode et instuments: Les poissons dipneustes étudiés ont été achetés puis filmés avec une Photron APX-RS high-speed digital vidéo et une a Panasonic PVGS320. Grace à la caméra, les mouvements ont pu être décomposés. Les scientifiques ont ensuite utilisé le logiciel Wondows Excel et les caméras de façon simultanées afin de déterminer si les mouvements étaient simultanés et si les poissons prenaient appui sur le sol. Un scénario semble ainsi se dessiner : parmi les premiers sarcoptérygiens, ancêtres communs du cœlacanthe, des dipneustes et des tétrapodes, certains se sont probablement mis à se propulser par alternance des nageoires. Puis un ancêtre commun des dipneustes et des tétrapodes, mais pas du cœlacanthe, aurait utilisé le sol comme appui. Les membres munis de doigts et le passage à la vie terrestre seraient apparus plus tard, chez les tétrapodes. Bien sûr, il n'est pas exclu que ces caractéristiques communes soient apparues dans chaque groupe après leur séparation évolutive. Prochaine étape pour en savoir plus : remonter dans le temps en comparant les traces laissées sur le sable par les dipneustes actuels aux plus anciennes traces de locomotion sur le sol. Ces traces fossilisées datent du Dévonien, il y a environ 400 millions d'années, époque où les dipneustes se sont séparés des tétrapodes. Elles ressemblent en outre aux traces des quadrupèdes et bipèdes actuels. Ont-elles été imprimées par des nageoires ou par des pattes ? Le savoir permettrait de déterminer à quelles dates sont apparues les démarches correspondantes. H. M. King et al., Behavioral evidence for the evolution of walking and bounding before terrestriality in sarcopterygian fishes, PNAS, doi : 10.1073/pnas.1118669109, 12 décembre 2011. Financements et implications : Cette étude a été financée par le National Science Foundation aux Etats Unis. On peut se demander si les raisons de cette étude sont seulement scientifiques. Les chercheurs affirment n'avoir "aucun conflit d'intérêt " dans cette recherche, trouver l'origine de l'usage de la marche par les êtres vivants permettrait de faire avancer la recherche et de mieux comprendre l'évolution des espèces. Cependant cette étude n'est pas suffisante puisque le journaliste rappelle qu'il faut encore déterminer la date d'apparition de ce mode de locomotion, s'il est le fait de nageoires ou de jambes et qu'elles espèces ont été les premières à marcher : sarcoptérygiens ou leur évolution ? Ainsi cette étude servira de base pour de futures recherches pour affiner les scénarii évoqués.