Quelles sont les actions à mettre en place pour faire œuvre de prévention auprès
de ces jeunes ?
Dounia Bouzar : Il faut travailler sur les représentations négatives de l’islam, puisque la majorité de la
société le perçoit comme une religion par essence archaïque, qui invite à ne pas réfléchir… Il y a une forte
notion de soumission dans les représentations qu’on se fait de l’islam dans les relations hommes/femmes,
musulmans/non- musulmans, croyants/non-croyants. Les représentations négatives sont tellement
partagées par l’ensemble de la société que, du coup, on ne s’étonne plus de rien.
L’exemple que je répète à n’en plus finir, c’est quand même l’exemple du niqab. C’est une pratique
préislamique des tribus pachtounes et la seule parole du Prophète (Muhammad, ndlr) était de dire que si ces
tribus se convertissaient, il faudrait que leurs visages soient identifiés et identifiables quand ils feront le
pèlerinage. Ce sont ensuite les wahhabites d’Arabie Saoudite qui ont sacralisé ce niqab en disant que, depuis
14 siècles, les musulmans avaient mal compris leur islam !
L’Assemblée nationale a validé, pour moi, l’interprétation des wahhabites, puisque la commission statuant
sur l’interdiction du voile intégral a fait le procès de l’islam en faisant cette loi. Celle-ci ne parle pas d’islam,
certes, mais pendant un an, les débats ont validé l’idée que porter le niqab, c’était appliquer l’islam au pied
de la lettre. Pour moi, c’est un exemple typique : au lieu de traiter le besoin de cacher ses contours
identitaires comme un symptôme de souffrance pour la jeune fille, même si elle se sent très libre, on valide,
comme à chaque fois en France, des comportements qui sont des symptômes de rupture comme étant de
l’islam orthodoxe.
Vous citez aussi dans votre livre le fait de ne pas serrer la main comme une dérive
sectaire…
Dounia Bouzar : En 30 ans de terrain, aucun homme dans le milieu religieux que j’ai fréquenté n’a refusé
de me serrer la main ou de me raccompagner en voiture, je n’avais jamais rencontré ce type de
comportement. Depuis deux ans, j’ai des jeunes de 25 ans, de toutes origines, qui me disent que sa religion
(l’islam) l’empêche de regarder une femme ou de serrer la main d’une femme. Cela vient entériner la
représentation négative que les gens ont de cette religion. Le roi du Maroc vient de limoger un officier parce
qu’il refusait de tendre la main à une femme (la première femme wali du pays, en février 2014, ndlr) ! Plus il
y a des comportements de rupture, plus cela illustre les représentations négatives des gens : selon eux,
l’islam apparaît bien comme une religion archaïque, incompatible avec l’égalité hommes-femmes… Quand on
sait combien cette notion est, au contraire, au cœur de l’islam, c’est le comble !
Je sais que beaucoup de gens pensent, dans ce climat d’islamophobie général, qu’il aurait mieux fallu se
taire, que mes propos vont alimenter l’islamophobie. Mais je fais le pari contraire. Je dis que plus on laisse
ces comportements se revendiquer comme musulmans, plus ils viennent valider les représentations
islamophobes des gens. Il y a un moment où il faut les nommer autrement et je n’ai pas trouvé mieux que «
dérives sectaires », puisque le discours provoque rupture sur rupture… Voilà comment la réflexion s’est
construite dans mon esprit.
Pouvez-vous donner une définition de la secte pour clarifier votre pensée aux
lecteurs ?
Dounia Bouzar : « Secte » vient de couper, suivre. « Religion » vient de relier, accueillir. Pour ma part, je
regarde l’effet du discours religieux : dès qu’il permet de mettre en place une relation avec Dieu pour lui
permettre de trouver son chemin et vivre dans un espace avec les autres, c’est de la religion. Si l’effet du
discours mène, au contraire, la personne à s’autoexclure et exclure tous ceux qui ne sont pas exactement
comme elle, on est dans l’effet sectaire. C’est vraiment quantifiable. On n’est pas dans les mouvances, on
n’est pas Frères musulmans ou salafistes… cela peut s’appliquer à n’importe quel discours.
A quel moment placez-vous le curseur entre le radical et le sectaire ?
Dounia Bouzar : Pour moi, la radicalité, c’est vraiment l’exclusion. Je ne fais pas de lien avec la religion ou
la croyance car, justement, ces jeunes n’ont aucune réflexion spirituelle. Vous pouvez être orthodoxe sans
être dans la dérive sectaire. Je n’appellerai jamais cela de l’islam radical. Pour moi, « radical » est un terme
d’éducatrice qui se mesure dès que le jeune arrête l’école, renie ses parents, sa filiation, se renie lui-même…
quand il a une vision paranoïaque de la société.
Dans mes expériences, ces jeunes ont eu très peu de transmission religieuse et sont tombés dans le
discours d’Internet. Ce n’est pas pour rien qu’il se développe en Europe, dans les sociétés qui ont une
représentation négative de l’islam et où personne ne le régule. Quand vous vivez dans un milieu de
musulmans pratiquants ou de musulmans qui connaissent l’islam, vous êtes protégés. Être radical ne signifie
pas être très musulman, mais adopter des comportements de rupture et ne pas être musulman… du moins,
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