Transformation structurelle et transformation du monde rural

Transformation structurelle
et transformation
du monde rural en Afrique
RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT RURAL 2016
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Résumé
Le récit dominant, à propos du développement
économique et social en Afrique, est celui d’un
continent en transformation rapide dont la
performance est mitigée mais généralement positive.
Bien que cette tonalité positive soit justiée, elle doit
être modérée par la prise de conscience des tendances
préoccupantes et des lacunes persistantes qui
menacent la poursuite des progrès.
Avec l’augmentation des revenus et la
diversication des régimes alimentaires au cours
de la transformation structurelle, l’évolution
générale va dans le sens d’une diminution de
la demande de produits alimentaires de base
et d’une augmentation de celle de produits
de l’horticulture et de l’élevage, avec pour
conséquence une évolution de la structure
d’ensemble de la production agricole. Toutefois,
les données de fait recueillies en Afrique
permettent de penser que cette évolution, bien
réelle dans certains pays, n’est pas encore la norme
dans tout le continent. L’agriculture manifeste une
croissance vigoureuse, en termes de production
comme de productivité, mais la gamme des
produits n’a pas beaucoup été diversiée. Le
tableau qui émerge est celui d’un secteur agricole
en expansion, mais dont les fondamentaux sont
faibles et font obstacle à une réduction généralisée
de la pauvreté et de l’inégalité.
Les zones rurales de l’Afrique sont néanmoins
en voie de transformation profonde et rapide.
On ne dispose pas encore de données détaillées,
mais les éléments qui ressortent de l’étude de cas
mettent en évidence d’importants changements
en cours dans la structure et le fonctionnement
de ses systèmes alimentaires. Accompagnée d’une
évolution rapide des habitudes de consommation,
l’urbanisation a provoqué une modication
radicale des régimes alimentaires dans lesquels
les céréales cèdent la place à d’autres aliments,
comme les produits laitiers, le poisson, la viande,
les légumes, les fruits et les tubercules, et dans
lesquels une part très importante revient aux
aliments transformés. Malgré la persistance d’une
sévère pauvreté, les revenus moyens ont augmenté
et une classe moyenne est apparue, accentuant
encore la diversication de la demande.
On observe aussi de profonds changements
dans l’économie rurale non agricole de l’Afrique.
Le contexte économique rural non agricole
présente de nombreuses difcultés, notamment le
manque d’infrastructures de base, la faiblesse des
marchés du crédit et de l’assurance, l’insufsante
sécurité de jouissance des terres, et les disparités
entre les groupes ethniques et entre les sexes.
Le secteur rural non agricole commence à naître
en Afrique et, pour qu’il puisse offrir une échelle
permettant de passer du sous-emploi dans les
exploitations agricoles à un emploi indépendant
mieux rémunéré et à un emploi salarié régulier
dans l’économie locale, il doit également devenir
une source plus able de liquidité régulière.
Les pays africains sont, pour la plupart,
confrontés à trois grands dés du point de vue de
l’inclusion: faire face à l’explosion démographique
des jeunes (observée uniquement en Afrique);
prendre des mesures concernant des secteurs
manufacturiers de petite taille et en déclin;
et surmonter les obstacles, profondément
enracinés, à la mobilité des facteurs. Un élément
est commun à ces trois dés: l’urgente nécessité, en
Afrique, d’emplois ruraux stables et rémunérateurs.
L’importance de l’agriculture va bien au-delà de
la production primaire, et il est probable qu’elle
augmentera parallèlement à la poursuite de la
transformation des systèmes alimentaires et à
la faible croissance du secteur manufacturier.
Quel que soit le scénario, l’agriculture continuera
à jouer un rôle plus important que dans d’autres
transformations, parce que les proportions des
facteurs et l’avantage comparatif y sont favorables.
Les données recueillies conrment que
la plupart des pays africains ayant enregistré,
au cours des deux dernières décennies, des
taux relativement élevés de transformation
structurelle et de transformation du monde
rural ont réussi à réduire rapidement la
pauvreté, tandis que très peu de pays où la
transformation a été plus lente y sont parvenus.
La réduction de la pauvreté a néanmoins été
lente dans un nombre signicatif de pays où
la transformation a été plutôt rapide. Ces pays
ont pour caractéristique commune la faiblesse
du dynamisme technique dans le secteur de
l’agriculture (tel que mesuré par la croissance de
la productivité totale des facteurs).
Bien que la rapidité et les schémas de
transformation structurelle et de transformation
du monde rural diffèrent d’une partie à l’autre
du continent, les analogies dans les proportions
des facteurs et l’avantage compétitif donnent à
penser que la transformation inclusive prend
principalement sa source dans l’agriculture
et dans le secteur rural non agricole.
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Ces deux secteurs ont besoin, pour exprimer
tout leur potentiel, d’investissements soutenus
visant au renforcement de la productivité.
Les politiques et les investissements des
pouvoirs publics doivent avoir pour but de
stimuler la création d’emplois dans ces secteurs.
Il sera utile, dans la focalisation sur les jeunes
ruraux, d’établir une distinction entre ceux qui
choisissent de rester sur les exploitations et ceux
qui décident de partir.
L’amélioration des perspectives pour les
agriculteurs de demain suppose une gestion plus
rentable des exploitations existantes, avec un
meilleur accès à la technologie, aux marchés,
à la nance, à l’information et à l’infrastructure.
Pour la plupart des jeunes agriculteurs africains,
la sécurité des droits de propriété sur les terres
est insufsante, il est donc indispensable de
consolider et de promouvoir les progrès récents
dans les domaines de l’administration foncière
et de la documentation des droits fonciers, et
de renforcer les marchés locatifs. Il est essentiel
de réduire les inégalités entre les sexes en
matière d’accès aux actifs, intrants et services
fondamentaux – terre, bétail, main-d’œuvre,
éducation, services de vulgarisation et services
nanciers, et technologie.
Les jeunes Africains qui quittent le monde
agricole doivent développer les compétences
qui pourront accroître leur employabilité et leur
capacité entrepreneuriale. Le renforcement de
l’employabilité exige une amélioration ciblée
des compétences techniques clés, une formation
professionnelle en vue d’emplois dans le secteur
commercial et une formation aux compétences
de base de la vie quotidienne pour réussir dans
les environnements professionnels. Les jeunes
doivent aussi acquérir des compétences de base
en matière de développement d’entreprises.
Il ne suft toutefois pas de disposer de
meilleures compétences, elles doivent être
accompagnées d’un accès élargi à la nance et
aux services nanciers. Par ailleurs, la plupart
des activités rurales étant de type informel, la
croissance et l’approfondissement de l’économie
rurale informelle doivent être appuyés, en partie,
par des infrastructures matérielles.
Il est essentiel d’attirer des investissements
privés dans le secteur de l’agriculture et
dans l’économie rurale non agricole, mais
de nombreuses réglementations agricoles,
en Afrique, servent à dissuader plutôt qu’à
encourager ces investissements. Il faut donc
considérer comme prioritaire la réforme
des réglementations qui limitent l’accès et
l’investissement du secteur privé dans les
lières qui desservent les petits exploitants
agricoles. L’innovation dans les technologies de
l’information et des communications prisées par
les jeunes et dans d’autres ressources fondées
sur l’information doit se poursuivre, avec pour
objectif l’approfondissement de l’accès au crédit
et aux services nanciers.
Tendances et modèles principaux de
transformation structurelle
et de transformation du monde rural
La transformation structurelle rend compte des
modications des contributions relatives des
secteurs agricole, manufacturier et des services
au PIB. La transformation du monde rural est
intégrée à la transformation structurelle, étant
donné que les populations rurales modient
leurs occupations, investissent, diversient leurs
moyens d’existence et n’ont plus les mêmes
rapports entre eux au sein de leurs familles,
de leurs communautés et des institutions
sociales. La présente section examine comment
ces doubles processus se déroulent dans
l’Afrique contemporaine.
Évolutions structurelles à l’échelle de
l’ensemble de l’économie
Entre le début des années 1990 et la période
2010-2012, les revenus par habitant, en Afrique,
ont augmenté en moyenne de 1,28% par
an – 1,57% dans la région d’Afrique orientale et
australe (ESA) et 1,06% dans la région d’Afrique
de l’Ouest et du Centre (WCA). La plus forte
croissance de la région ESA a été accompagnée
d’une transformation structurelle plus rapide
(gure 1). La part de l’agriculture dans le PIB a
diminué plus rapidement dans la région ESA
que dans la région WCA, tandis que la part des
services y augmentait plus rapidement.
Pour ce qui concerne le secteur manufacturier,
on observe l’inverse, sa part diminuant
davantage et plus rapidement dans la région
WCA que dans la région ESA. D’autres secteurs
industriels ont vu leur part s’accroître plus
rapidement et jusqu’à un niveau plus élevé
en WCA qu’en ESA.
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La transformation structurelle de l’Afrique
est semblable à d’autres processus de
transformation. La régularité du rétrécissement
relatif de la part de l’agriculture, aussi bien
dans le PIB que dans la main-d’œuvre, est
bien illustrée dans la gure 2 pour un certain
nombre de pays africains. Lorsque les niveaux
du PIB sont peu élevés, la part de l’agriculture est
importante, et le pourcentage de la population
active employée dans l’agriculture est encore
plus fort en raison de la faible productivité de la
main-d’œuvre. À mesure que le revenu augmente,
la part relative de l’agriculture diminue, et celle de
la main-d’œuvre diminue encore plus rapidement
en raison du départ des travailleurs agricoles et
de l’augmentation de la productivité de ceux qui
restent. Enn, à des niveaux de revenu très élevés,
l’agriculture primaire représente une petite
part de l’économie (encore que l’ensemble de
l’industrie agroalimentaire soit plus important),
la main-d’œuvre agricole ne représente
qu’une petite partie de la population active,
et la productivité individuelle des travailleurs
employés sur les exploitations est à peu près la
même que celle des travailleurs employés ailleurs.
Dans la plupart des pays africains, la
production agricole demeure le secteur le
plus important, avec une moyenne de 24%
du PIB pour la région. Les fournitures, la
transformation, la commercialisation et la
distribution au détail du secteur des industries
agroalimentaires représentent une part
supplémentaire de 20% du PIB (Banque
mondiale, 2013). Mais, dans de nombreux
pays africains, parmi lesquels la Côte d’Ivoire,
l’Afrique du Sud et la Zambie, le secteur agricole
est déjà moins important qu’il ne l’était, au
même point, dans des pays classés aujourd’hui
comme pays à revenu intermédiaire ou élevé
(tableau 1). La réduction de la taille du secteur
agricole est compensée par l’augmentation de
celle des secteurs des services et de l’extraction.
La dépendance à l’égard de l’agriculture varie
selon les pays – élevée en Éthiopie et en Sierra
Leone (où l’agriculture primaire contribue
pour près de la moitié de l’ensemble du PIB)
ou faible en Afrique du Sud et en Zambie.
Malgré leurs différences, les pays du continent
présentent des évolutions communes en
matière de démographie (taux de natalité
élevés, diminution des taux de mortalité,
croissance rapide de la population et de la
population active) et, dans une moindre
mesure, d’urbanisation.
FIGURE 1. Changement structurel de l’économie en Afrique subsaharienne, 1990-2010
Structure par secteur – ESA
Part du sous-secteur (%)
Part du sous-secteur (%)
Année Année
Structure par secteur – WCA
Source: FIDA, sur la base de la Banque mondiale (2015).
Agriculture Secteur manufacturier Autres industries Services
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Les industries agroalimentaires occupent
aussi une place prépondérante dans le secteur
manufacturier de nombreux pays africains
(gure 3), contrairement à d’autres régions
où les activités manufacturières, légères ou
lourdes, pèsent davantage que les activités
de transformation des produits alimentaires.
L’importance de l’agriculture va donc
au-delà de celle de la production primaire,
et il est probable qu’elle augmentera avec la
poursuite de la transformation des systèmes
alimentaires et le retard de croissance du
secteur manufacturier.
Le secteur des services est déni de manière
générale et couvre une grande partie de ce
qui se situe “entre” l’agriculture et l’industrie,
notamment le commerce et le transport, les
services personnels, les réparations mécaniques,
la couture, la menuiserie, les services sociaux et
les activités du secteur des organisations non
gouvernementales (ONG), ainsi que les services
à forte intensité de compétences dans les secteurs
de la nance, de l’assurance, de la médecine et
de l’éducation. Les activités de services sont en
grande partie assurées par des travailleurs non
qualiés dans un cadre informel, et les employés
des entreprises informelles sont souvent des
membres de la famille. Les coûts d’entrée sont
peu élevés. Dans les services de transport, de
communications et nanciers, l’augmentation
de la productivité a été rendue possible par le
changement technique. L’essor du secteur des
services permet de penser que la productivité et
les gains doivent y être légèrement supérieurs
à ceux de l’agriculture, mais probablement de
peu au niveau d’entrée. Les données de l’Étude
sur la mesure des niveaux de vie – Enquêtes
intégrées sur l’agriculture (LSMS-ISA) réalisée
par la Banque mondiale conrment l’existence
d’un gradient positif de productivité, mais pas
très fort (McCullough, 2015). Le déplacement
de nombreuses personnes sur un gradient de
productivité relativement plat ne stimulera pas
fortement la productivité nationale globale, mais
elle en prévient le déclin qui ne manquerait pas
de se produire si le mouvement était impossible.
(Ces questions seront examinées de manière
plus détaillée ci-après.)
FIGURE 2. Part de l’agriculture dans l’emploi total et le PIB, vers 2010-2013
Afrique orientale et australe Afrique de l’Ouest et du Centre
Part de l’agriculture (%)
Part de l’agriculture (%)
Logarithme du PIB par habitant
% de l’agriculture dans le PIB
% de l’agriculture dans le PIB (ajusté) % de l’agriculture dans l’emploi (ajusté)
% de l’agriculture dans le PIB – % de l’agriculture dans l’emploi (ajusté)
% de l’agriculture dans l’emploi % de l’agriculture dans le PIB – % de l’agriculture dans l’emploi
Logarithme du PIB par habitant
Source: FIDA, sur la base de la Banque mondiale (2015).
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