Méthode Dépassement « … la métaphysique consiste à dépasser. » Lévinas, Totalité et infini, p. 239. Intuition « Nous assignons à la métaphysique un objet limité, principalement l’esprit, et une méthode spéciale, avant tout l’intuition. Par là nous distinguons nettement la métaphysique de la science. » Bergson, La pensée et le mouvant, p. 33. « S'il existe un moyen de posséder une réalité absolument au lieu de la connaître relativement, de se placer en elle au lieu d'adopter des points de vue sur elle, d'en avoir l'intuition au lieu d'en faire l'analyse, enfin de la saisir en dehors de toute expression, traduction ou représentation symbolique, la métaphysique est cela même. La métaphysique est donc la science qui prétend se passer de symboles. » Bergson, La pensée et le mouvant, p. 181-182. Art d’inventer « J’ai reconnu que la Métaphysique n’est guère différente de la vraie Logique, c’est-à-dire de l’art d’inventer en général. Car en effet la Métaphysique est la Théologie naturelle, et le même Dieu qui est la source de tous les biens, est aussi le principe de toutes les connaissances. C’est parce que l’idée de Dieu renferme en elle l’Être absolu, c’est-à-dire ce qu’il y a de simple en nos pensées, dont tout ce que nous pensons prend son origine. » (Leibniz, Lettre à Elisabeth, 1678, GP, IV, 292 ; Prenant, 127) Objet Au-­‐delà de la physique (metaphysica = transphysica) La définition de la métaphysique comme « transphysica scientia » remonte au moins à Albert le Grand (Metaphysicorum lib., I, 1, 1). « Elle [la théologie] est dite d’un autre nom métaphysique, c’est-à-dire transphysique, parce qu’elle nous advient à apprendre après la physique, nous à qui il revient de passer des sensibles aux insensibles. » Thomas d’Aquin, In Boethii de trinitate expositio, q. 5, a. 1. « Cette science fait abstraction des choses sensibles ou matérielles (que l’on nomme physiques, parce que la philosophie naturelle s’y consacre) et elle considère les choses divines et séparées de la matière, et les raisons communes de l’étant qui peuvent exister sans la matière, c’est pourquoi on l’appelle métaphysique en tant que venant après, ou au-delà de la physique. » Suarez, Disputes métaphysiques, Vrin, 1988, p 50 (Proême). « Quant au nom de métaphysique, il ne faut pas croire qu’il ait surgi par hasard, tant il convient précisément avec la science en question elle-même ; puisqu’ici physis signifie nature, mais comme nous ne parvenons à atteindre le concept de nature autrement que par l’expérience, donc la science qui suit celle-ci se nomme métaphysique (de meta, trans, et physica). Il y a une science qui se situe en quelque sorte hors du domaine de la physique, au-delà de lui. » Kant, Metaphysik L1 (Heinze), Ak., 28.1, p. 174. Au-­‐delà de l’expérience « Par métaphysique, j’entends tout ce qui a la prétention d’être une connaissance dépassant l’expérience, c’est-à-dire les phénomènes donnés, et qui tend à expliquer par quoi la nature est conditionnée dans un sens ou dans l’autre, ou, pour parler vulgairement, à montrer ce qu’il y a derrière la nature et qui la rend possible. » Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, Supplément XVII (« Sur le besoin métaphysique de l’humanité »), PUF, p. 856. Esprit « Nous assignons à la métaphysique un objet limité, principalement l’esprit, et une méthode spéciale, avant tout l’intuition. Par là nous distinguons nettement la métaphysique de la science. » Bergson, La pensée et le mouvant, p. 33. Intelligibilia Dans le prologue de son commentaire de la Métaphysique d’Aristote, saint Thomas note que la sagesse (sapientia), science « rectrice », est celle qui porte sur ce qui est le plus intelligible (circa maxime intelligibilia). Cela peut être entendu en trois sens (Maxime autem intelligibilia tripliciter accipere possumus) : 1) Sens qui se tire de l’ordre de l’intellection (ex ordine intelligendi). Ce dont l’intellect reçoit la certitude (ex quibus intellectus certitudinem accipit), ce sont les causes. De ce point de vue, les maxime intelligibilia sont les primae causae. 2) Sens qui se tire de la comparaison de l’intellect au sens (ex comparatione intellectus ad sensum). Ce qui différencie l’intellect, c’est le caractère universel de ce qu’il comprend. La science la plus « intellectuelle » est, de ce point de vue, celle qui porte sur les principes les plus universels (principia maxime universalia). « Ces principes sont l’être (ens) et ce qui est consécutif à l’être, comme l’un et le multiple, la puissance et l’acte. » 3) Sens qui se tire de la connaissance même de l’intellect (ex ipsa cognitione intellectus) : « Puisque chaque chose a une capacité d’intelligibilité de ce qu’elle est dépouillée ou exempte de matière (a materia immunis), il faut que les choses les plus intelligibles soient celles qui sont les plus séparées de la matière (quae sunt maxime a materia separata). ». La science la plus intellectuelle, de ce point de vue, est la science de Dieu et des intelligences (Deus et intelligentiae). Cette science a un sujet (subjectum) unique, « l’être commun » (ipsum solum ens commune) : « En effet, ce qui est le sujet d’une science, c’est ce dont nous recherchons les causes et les propriétés, et non pas les causes elles-mêmes du genre étudié ». Mais, conformément aux trois choses qu’elle étudie, « par rapport auxquelles doit se prendre sa perfection », elle a reçu trois noms : 1) Science divine ou théologie, en tant qu’elle considère Dieu ou les « substances intellectuelles ». 2) Métaphysique (metaphysica), « en tant qu’elle considère l’être (ens) et ce qui lui est consécutif. En effet, ces choses trans-physiques (transphysica) sont trouvées par voie de résolution (in via resolutionis), comme les choses plus communes sont trouvées après les choses moins communes. » 3) Philosophie première, « en tant qu’elle considère les causes premières des choses. » Intersubjectivité transcendantale « La phénoménologie (…) n’exclut que la métaphysique naïve et opérant sur d’absurdes choses en soi, mais non pas la métaphysique en général. Elle ne fait pas violence aux motifs et aux problèmes qui animaient intérieurement la tradition ancienne. C’étaient sa méthode et sa position des problèmes qui étaient absurdes, non point ses problèmes et les motifs de leur position. La phénoménologie ne refuse aucunement les « questions ultimes et dernières ». « L’être, premier en soi », qui sert de fondement à tout ce qu’il y a d’objectif dans le monde, c’est l’intersubjectivité transcendantale, la totalité des monades qui s’unissent dans des formes différentes de communauté et de communion. » Husserl, Méditations cartésiennes, § 64. Principes de la connaissance Lorsque l’on s’est acquis quelque habitude à trouver la vérité touchant des questions faciles et simples, comme sont celles des mathématiques, l’on « doit commencer pour de bon à s’appliquer à la vraie philosophie, dont la première partie est la métaphysique qui contient les principes de la connaissance, entre lesquels est l’explication des principaux attributs de Dieu, de l’immortalité de nos âmes, et de toutes les notions claires et simples qui sont en nous. » Descartes, Principes de la philosophie, Lettre-Préface. « Par la métaphysique, je n’entends pas ces considérations abstraites de quelques propriétés imaginaires, dont le principal usage est de fournir à ceux qui veulent disputer de quoi disputer sans fin, j’entends par cette science les vérités générales qui peuvent servir de principe aux sciences particulières. » Malebranche, Entretiens sur la métaphysique et sur la religion, VI, § II. « … j’ai reconnu que la vraie métaphysique n’est guère différente de la vraie logique, c’est à dire de l’art d’inventer en général. » Leibniz, À Sophie de Bohème, dans Die philosophischen Schriften, Gerhardt, IV, 292. « La métaphysique est la science des premiers principes de la connaissance dans la connaissance humaine. » Baumgarten, Metaphysik, § 1. « La métaphysique est la science des premiers principes de la connaissance humaine. » Kant, Critique de la raison pure, A 843/B 871. « … suivant mon usage de la langue (meinem Sprachgebrauch nach), le terme de « doctrine de la science » ne caractérise pas du tout la logique, mais la philosophie transcendantale ou la métaphysique elle-même » Fichte, Lettre à Schelling, septembre 1799, dans Fichte/Schelling, Correspondance, 1991, p.58. Varia Analytique transcendantale « Les principes <de l’analytique transcendantale> sont simplement des principes de l’exposition des phénomènes, et le nom orgueilleux d’une ontologie qui prétend donner des choses en général des connaissances synthétiques a priori, dans une doctrine systématique (par exemple le principe de causalité) doit faire place au nom modeste d’une simple analytique de l’entendement pur. » Kant, Critique de la raison pure, Analytique des principes, ch. III (Pléiade, I, 977 ; Ak. III, 207). Art d’inventer « … j’ai reconnu que la vraie métaphysique n’est guère différente de la vraie logique, c’est à dire de l’art d’inventer en général. » Leibniz, À Sophie de Bohème, dans Die philosophischen Schriften, Gerhardt, IV, 292. Étrangeté « La conscience métaphysique n’a pas d’autres objets que l’expérience quotidienne : ce monde, les autres, l’histoire humaine, la vérité, la culture. Mais, au lieu de les prendre tout faits, comme des conséquences sans prémisses et comme s’ils allaient de soi, elle redécouvre leur étrangeté fondamentale pour moi, et le miracle de leur apparition. Ainsi comprise, la métaphysique est le contraire du système. Si le système est un arrangement de concepts qui rende immédiatement compatibles et compossibles tous les aspects de l’expérience, il supprime la conscience métaphysique. » MerleauPonty, Sens et non-sens, 188-189. Logique et métaphysique « … j’ai reconnu que la vraie métaphysique n’est guère différente de la vraie logique, c’est à dire de l’art d’inventer en général. » Leibniz, À Sophie de Bohème, dans Die philosophischen Schriften, Gerhardt, IV, 292. Sur le rapport entre logique et métaphysique, voir Hegel, Encyclopédie, Concept préliminaire, §§ 18-36. « La Logique, dans la signification essentielle de philosophie spéculative, prend la place de ce qui était en d’autres temps nommé métaphysique et dont on traitait comme d’une science séparée d’elle » (§ 18). Cf. Science de la logique (1812), Préface, Aubier-Montaigne, 1972, I, 1, p. 5 : la science logique « constitue (ausmacht) la métaphysique proprement dite ou la pure philosophie spéculative ». La logique « peut être divisée en général en la logique de l’être et du penser, en logique objective et subjective. » (Science de la logique, Aubier-Montaigne, 1972, I, 1, p. 34). La logique objective, qui correspond en partie à la logique transcendantale de Kant (p. 34-35), « prend tout simplement la place de la métaphysique d’autrefois » : « Premièrement, sous mode immédiat, la place de l’ontologie, la première partie de la métaphysique, qui devait présenter la nature de l’ens en général ; — l’ens comprend en lui aussi bien l’être que l’essence, différence pour laquelle notre langue, par bonheur, a préservé une diversité au niveau de l’expression. — Mais ensuite, la logique objective comprend en elle aussi le reste de la métaphysique, dans la mesure où celle-ci contenait les formes-dupenser pures appliquées aux substrats particuliers, pris tout d’abord de la représentation, l’âme, le monde, Dieu, et dans la mesure où ces déterminations du penser constituaient l’essentiel du type de considération métaphysique. La logique considère ces formes [comme] libres par rapport à ces substrats, elle considère leur nature et leur valeur en et pour soi-même. Quant à cette métaphysique, elle négligeait cela, et s’attira en conséquence le reproche justifié d’avoir usé de ces formes sans critique, sans l’investigation préalable [visant à décider] si et comment elles sont capables d’être déterminations de la chose-en-soi, selon l’expression kantienne, — ou plutôt déterminations du rationnel. — La logique objective est par conséquent la véritable critique de ces formes, — une critique qui ne les considère pas simplement selon la forme universelle de l’a priori, dans son opposition à ce qui est a posteriori, mais qui les considère elles-mêmes, dans leur contenu particulier. » (Ibid., p. 37). La démarche de « la métaphysique d’autrefois », dont la logique objective constitue la critique, est bien décrite dans la Logique subjective (Science de la logique, Deuxième tome, Logique subjective, Aubier-Montaigne, 1981) : « La métaphysique de l’esprit, ou comme par ailleurs on a dit davantage, de l’âme, tournait autour des déterminations de substance, simplicité, immatérialité ; — des déterminations à propos desquelles se trouvait placé au fondement la représentation de l’esprit à partir de la conscience empirique [entendue] comme sujet, et [à propos desquelles] on demandait alors quelles sortes de prédicats concordaient avec les perceptions. » (p. 304). Même démarche en cormologie rationnelle : « La métaphysique d’antan en a usé avec ces concepts [de finalité et de mécanisme] comme avec ses autres ; elle a en partie présupposé une représentation-du-monde et s’est efforcée de montrer que l’un ou l’autre concept lui convenait et que l’opposé était déficient parce qu’elle ne se laissait pas expliquer à partir de lui. » (p. 247). Cette « métaphysique d’antan », que Kant a à juste titre critiquée, n’est pas la véritable philosophie antique : « Kant n’a là de façon générale devant lui que l’état de la métaphysique de son temps, qui en restait surtout à de telles déterminations abstraites, unilatérales, sans aucune dialectique ; les idées vraiment spéculatives de philosophes plus anciens sur le concept de l’esprit, il ne leur prêtait attention ni n’en faisait l’examen » (p. 306). Cf. Science de la logique de l’Encyclopédie, § 36, Add. : « Platon n’est pas un métaphysicien de ce genre, et Aristote encore moins, quoique l’on croie habituellement le contraire. » (Vrin, p. 493). Mourir pour l’invisible « « La vraie vie est absente. » Mais nous sommes au monde. La métaphysique surgit et se maintient dans cet alibi. Elle est tournée vers l’ « ailleurs » et l’ « autrement », et l’ « autre ». Sous la forme la plus générale qu’elle a revêtue dans l’histoire de la pensée, elle apparaît, en effet, comme un mouvement partant d’un monde qui nous est familier — quelles que soient les terres encore inconnues qui le bordent ou qu’il cache — d’un « chez soi » que nous habitons, vers un hors-de-soi étranger, vers un là-bas. Le terme de ce mouvement est dit autre dans un sens éminent. (…) Le désir métaphysique tend vers (…) l’absolument autre. (…) Le désir est absolu si l’être désirant est mortel et le Désiré, invisible. (…) Mourir pour l’invisible — voilà la métaphysique. » Lévinas, Totalité et infini, A, 1, p. 23. Nature et métaphysique Expliquer la nature « Par métaphysique, j’entends tout ce qui a la prétention d’être une connaissance dépassant l’expérience, c’est-à-dire les phénomnes donnés, et qui tend à expliquer par quoi la nature est conditionnée dans un sens ou dans l’autre, ou, pour parler vulgairement, à montrer ce qu’il y a derrière la nature et qui la rend possible. » Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, Supplément XVII (« Sur le besoin métaphysique de l’humanité »), PUF, p. 856. Phénoménologie « La phénoménologie (…) n’exclut que la métaphysique naïve et opérant sur d’absurdes choses en soi, mais non pas la métaphysique en général. Elle ne fait pas violence aux motifs et aux problèmes qui animaient intérieurement la tradition ancienne. C’étaient sa méthode et sa position des problèmes qui étaient absurdes, non point ses problèmes et les motifs de leur position. La phénoménologie ne refuse aucunement les « questions ultimes et dernières ». « L’être, premier en soi », qui sert de fondement à tout ce qu’il y a d’objectif dans le monde, c’est l’intersubjectivité transcendantale, la totalité des monades qui s’unissent dans des formes différentes de communauté et de communion. » Husserl, Méditations cartésiennes, § 64. Sagesse et métaphysique « La science parvient finalement à détemriner les limites qui lui sont imposées par la nature de la raison humaine ; quant à tous les projets immenses, qui du reste peuvent fort bien en eux-mêmes n’être pas fautifs, n’ayant que le tort d’être hors de la portée des hommes, ils disparaissent dans les limbes de la vanité. À tel point que la métaphysique devient ce dont actuellement elle demeure assez éloignée, et à quoi de sa part on s’attendrait le moins : la compagne de la sagesse. » Kant, Rêves d’un visionnaire, Vrin, p. 113-114. Science et métaphysique Doctrine de la science « … suivant mon usage de la langue (meinem Sprachgebrauch nach), le terme de « doctrine de la science » ne caractérise pas du tout la logique, mais la philosophie transcendantale ou la métaphysique ellemême » Fichte, Lettre à Schelling, septembre 1799 Vérités générales « Par la métaphysique, je n’entends pas ces considérations abstraites de quelques propriétés imaginaires, dont le principal usage est de fournir à ceux qui veulent disputer de quoi disputer sans fin, j’entends par cette science les vérités générales qui peuvent servir de principe aux sciences particulières. » Malebranche, Entretiens sur la métaphysique et sur la religion, VI, § II.