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comme ceux de Bernard Senécal6 ou de Claire Ly7 –, les sources et les documents consacrés aux
« chrétiens-bouddhistes » sont rares en langue française, si ce n‟est inexistants8. Peu de recherches en
sciences humaines ont en effet étudié en tant que telle cette interaction entre les deux grandes
religions universelles jusque là séparées, mais particulièrement comparables du fait de leurs valeurs,
de leur dimension missionnaire et de leur irréductibilité à un ordre socio-politique déterminé9. En
revanche, l‟existence de personnes concernées par la problématique christiano-bouddhique est mise
en évidence par pratiquement tous les travaux sociologiques publiés sur le bouddhisme en France ; et
si c‟est à la marge de leurs développements, ce n‟est pas sans fournir de précieux éléments
d‟information dans un domaine où elles manquent cruellement. Sur la base de ces études, on peut
donc établir l‟existence de cette double-appartenance et commencer à la caractériser un tant soit peu,
dans l‟attente de données empiriques plus systématiques. De quoi amorcer une exploration de ce sujet
complexe, en repérant un certain nombre d‟enjeux, de points d‟attention, de questions à creuser dans
le futur.
L’appartenance, une notion problématique
Evaluer quantitativement la double-appartenance chrétien-bouddhiste est la première difficulté,
surtout en France où il est interdit d‟établir des fichiers de données ethno-religieuses. Restent les
sondages et l‟auto-déclaration des acteurs, ce qui apparaîtra comme insatisfaisant à beaucoup... Mais
au-delà même de ce problème de comptage, évaluer la portée de cette double-appartenance interroge
surtout la définition de ce qu’est d’une part être bouddhiste, et de l’autre être chrétien, sachant qu’en
France, 43 % des jeunes « catholiques » interrogés en mars 1997 par un sondage CSA/La Vie disaient
« croire à la réincarnation »... Entre d’un côté l’auto-reconnaissance des acteurs comme « chrétien »
ou « bouddhiste », le sens le plus large, et de l’autre la définition par les institutions de l’une et l’autre
religion, le sens le plus précis, l’on imagine bien la variabilité des situations concrètes. Et l’on se
demande ce qu’entendent les répondants sous ces étiquettes si vagues, tout comme ce que mesurent
exactement les sondages.
Mais au-delà même des difficultés d’une définition puis d’une évaluation quantitative de telle ou
telle « appartenance religieuse », c’est au fond cette notion elle-même qui s’avère problématique ;
notre thème le montre assez lui-même. Pensée a priori comme exclusive, la notion d’appartenance
met en effet de la rupture, du discontinu, du définitif et de la limite dans ce qui est du continu, du
flou, de l’incertain, du temporaire et du flottant en ce temps de sécularisation, de pluralisation des
réalités croyantes et de dissémination des éléments du religieux. Tout comme celle d’« identité »,
cette notion demeure pourtant aujourd’hui le prisme obligé à travers lequel sont spontanément
envisagées ces réalités, en particulier par les médias et les pouvoirs publics. Mais est-ce là le tout,
voire le plus important du vécu religieux, de l’être au monde croyant ? Est-il une question d’être ou
les chrétiens ». Aloysius Pieris, "The Buddha and the Christ : Mediators of Liberation", in J. Hick et P.-F. Knitter (éds.),
The Myth of Christian Uniqueness : toward a pluralistic theology of religions, Maryknoll, New York, Orbis Books, 1987.
John B. Cobb, Bouddhisme-christianisme, au-delà du dialogue ?, Labor et Fides, Genève, 1988. Collectif, Convergence
du christianisme et du bouddhisme, Editions Prajna, Arvillard, 1993. François Chenique, Sagesse chrétienne & mystique
orientale, Dervy, Paris, 1996. Dennis Gira, Le Lotus ou la Croix, Bayard, Paris, 2003. Mayeul de Dreuille, Chemins de
Paix : pratiquer en chrétien la méditation bouddhique ?, Médiaspaul, Montréal, 2005. Scheuer, Jacques, Un chrétien dans
les pas du Bouddha, Lessius, Bruxelles, 2009. Pour une bibliographie sur les relations bouddhisme-christianisme, voir
aussi Magnin, Paul, Bouddhisme, unité et diversité, Cerf, 2003. Pour une synthèse sur le dialogue chrétien-bouddhiste :
Michael von Brück, Whalen Lai, Bouddhisme et Christianisme : histoire, confrontation, dialogue, Salvator, Paris, 2001 ;
édition originale en allemand, 1997.
6. Bernard Senécal, Jésus le Christ à la rencontre de Gautama le Bouddha, Cerf, Paris, 1998, en particulier p. 207-228.
7. Claire Ly, Revenue de l’enfer : Quatre ans dans les camps des Khmers rouges, l‟Atelier, Ivry sur Seine, 2002 et Retour
au Cambodge : le chemin de liberté d’une survivante des Khmers rouges, l‟Atelier, Ivry sur Seine, 2007.
8. à la notable exception de Dennis Gira et Jacques Scheuer (dir.), Vivre de plusieurs religions : promesse ou illusion ?,
Ed. de l‟Atelier, Paris, 2000, ouvrage consacré à la double ou (multi-) appartenance.
9. A la différence du judaïsme, de l‟islam, de l‟hindouisme.