La nouvelle société du coût marginal zéro : une utopie

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Analyse
La nouvelle société du coût marginal zéro : une utopie ?
Publié le 24/03/2015
CULTURE NUMÉRIQUE ECONOMIE environnement internet industrie
Il y a quelques mois, l’économiste Jeremy Rifkin générait un véritable buzz médiatique avec la sortie de son livre
« la nouvelle société du coût marginal zéro ». Dans ce livre, l’économiste annonçait l’avènement d’une nouvelle
société d’abondance induite par la révolution technologique, dont le nouvel Internet des objets et l’impression 3D
constitueraient des moteurs privilégiés.
D’après Rifkin, ces nouvelles technologies permettraient de produire énergie et biens manufacturés en abondance à
un coût marginal proche de zéro, remettant en cause le modèle du capitalisme au profit d’une communauté de
prossomateurs
(consommateurs
et
producteurs).
Conte de fées technologique ou réelle perspective d’avenir ? Nous nous proposons ici d'apporter quelques
éclairages
sur
cette
nouvelle
société
du
coût
marginal
zéro.
Qu'entend-on tout d'abord par « Coût marginal zéro » ?
Le coût marginal zéro
En micro-économie, on définit le coût marginal de production comme étant le coût supplémentaire induit par la
dernière unité produite. (définition wikipedia)
Le coût marginal est souvent modélisé par une courbe
parabolique. La courbe est dans un premier temps
descendante à mesure des unités produites, puis
ascendante, ce qui s’explique traditionnellement par la
nécessité d’augmenter les facteurs de production
(embauche de personnel, achat d'une machine
supplémentaire par exemple).
En réalité, dans beaucoup de processus de production
industrielle, le coût marginal est stable, voire diminue à
mesure des unités produites. Le producteur a donc intérêt à
augmenter sa production, puisqu'il encaisse à chaque unité
supplémentaire vendue une marge bénéficiaire positive,
voire croissante.
Depuis Adam Smith, qui dès la fin du 18ème siècle prônait
la division du travail, en passant par la mécanisation de la
chaîne de production d’Henry Ford, la réduction de ce coût
marginal a été au cœur des préoccupations des capitaines
d’industrie capitalistes qui tentaient de maximiser le profit et
les rendements en rationalisant et en modernisant le
processus de production.
Mais pour Rifkin, ce qui a fait l'essence même
du capitalisme va se retourner contre lui. Dans
l’hypothèse où la technologie permettrait une
« productivité extrême » rapprochant le coût
marginal de production de zéro, et dans le
contexte d’une « concurrence acharnée »
entre entreprises obligeant les entreprises à
vendre à un prix au niveau du coût marginal, la
mise en vente des nouvelles unités produites
se ferait à un prix quasi nul. Ainsi, le profit qui
fait vivre le capitalisme se tarirait.
Sans perspective de profits, permettant de
couvrir les coût fixes, l’initiative privée
capitaliste disparaîtrait au profit d’un nouveau
système d’organisation : les communs , dont la
motivation ne serait plus le profit mais l’envie
« d’améliorer le bien-être social de l’
humanité ».
Internet, la e-société du
coût marginal zéro
Sur Internet, et plus largement dans les
industries numériques, l’avènement de la
société du coût marginal zéro a déjà eu lieu.
La dématérialisation de l’information et donc, la
possibilité de la reproduire et de la distribuer à
un coût marginal proche de zéro, a
profondément
bouleversé le modèle
économique de ces industries. L’émergence d’
une offre alternative gratuite par des
prosommateurs de contenus et d’information
(wikipedia, youtube, etc.) ont obligé les acteurs
traditionnels à s’aligner en proposant une offre
gratuite.
L’idée d’une économie de la gratuité sur
Internet a été théorisée dès 2009 par Chris
Anderson, ex-rédacteur en chef du magazine
Wired, dans un livre Free ! Entrez dans l’
économie du gratuit. Dans ce livre, Anderson
explique qu’avec Internet et le développement
des technologies, le coût marginal des
industries numériques tombe mécaniquement
à zéro.
"Si c’est numérique, tôt ou tard ce sera gratuit. Sur un marché concurrentiel, les prix chutent jusqu’au
coût marginal. L’Internet est le marché le plus concurrentiel que le monde ait jamais vu, et le coût
marginal des technologies qu’il utilise -traitement, bande passante, stockage- se rapproche
constamment de zéro. Le gratuit devient, non seulement une option, mais un aboutissement
inévitable. Les bits veulent être gratuits."
Ch
Anderson, Free ! Entrez dans l'économie du gratuit
Pour Anderson, le nouveau paradigme du gratuit ne signifie pas pour autant la disparition d’un modèle économique
viable, mais pour Rifkin, le pronostic est plus tranché. L’auteur de la nouvelle société du coût marginal zéro prédit à
terme la disparition des acteurs économiques traditionnels du secteur et le remplacement du modèle capitaliste par
un modèle collaboratif basé sur l’échange.
L’Internet des objets : quand les bits pilotent les atomes
Selon Jeremy Rifkin, le coût marginal zéro dépasserait largement les frontières du monde numérique. A la manière
de ce qui s’est produit pour les industries numériques, le coût marginal zéro se propagerait selon lui à des secteurs
ancrés dans le monde physique. Comme pour l’information hier, nous deviendrions demain des prossomateurs d’
énergie et de biens, fédérés au sein de communs collaboratifs.
A l’origine de ce changement de paradigme, l'avènement d'une infrastructure intelligente qui agirait comme un
gigantesque système nerveux global renseigné par des capteurs de plus en plus nombreux permettant de mesurer
en temps réel, énergie, flux, températures, ou niveau de matières premières : l ’Internet des objets.
Premier secteur économique concerné par le coût marginal zéro, l’énergie. Pour Jeremy Rifkin, le développement
des énergies renouvelables pilotées par un "Internet de l’énergie" devrait permettre à terme de bénéficier d’une
énergie abondante et donc gratuite.
Avec les éoliennes et les panneaux solaires qui équiperont la plupart des bâtiments, chaque unité de consommation
deviendrait également productrice d’énergie. Cette production d’électricité atomisée serait échangée et distribuée
via cet Internet de l’énergie.
La révolution de l’énergie serait déjà en
marche. En Allemagne, en 2013 23% de
l'énergie était d'origine renouvelable. En
France, la région Nord-Pas-de-Calais a
commandé à l’économiste un plan de
développement consacré aux énergies
renouvelables
(production,
stockage,
distribution…) une étude d'une centaine de
pages qui devrait permettre d'initier la
« Troisième révolution industrielle » en NordPas-de-Calais .
La révolution sera « 3D
imprimée »
La prédiction la plus spectaculaire de Rifkin
concerne l'industrie. Grâce aux imprimantes 3D
, nous passerions d'après lui d’ « une
production de masse à une production par les
masses ».
Avec les imprimantes 3D, il est déjà possible
de produire et reproduire à un coût marginal faible et constant des objets dessinés et conçus sur des logiciels open
source par des créateurs passionnés répartis aux quatre coins du monde.
De nouveaux sites Internet, tels Thingiverse
préfigurent le modèle productif collaboratif et atomisé à venir. Ces
sites proposent une multitude d’objets à télécharger et imprimables en 3D, aujourd’hui, en se rendant dans un
Fablab et demain, chez soi sur son imprimante 3D privée ou dans l’une des nombreuses micro-unités de production
qui couvriront le territoire.
Si l’impression 3D n’en est encore qu’à ses balbutiements, certaines réalisations spectaculaires citées par Rifkin
laisseraient présager due l'ampleur du potentiel de cette technologie : des imprimantes 3D géantes capables
d'imprimer des maisons en béton
ou cette voiture canadienne nommée Urbee
par exemple dont les parties
orange ont été imprimées en 3D.
Jérémy Rifkin a même prédit dans une
interview accordée aux Inrockuptibles
, que l’
on pourrait un jour imprimer des smartphones
en 3D.
Un « conte de fées High
Tech » ?
Si la thèse de Jérémy Rifkin a été accueillie et
relayée avec beaucoup d’enthousiasme par la
plupart des journalistes, celle-ci a fait
également l’objet de nombreuses critiques.
Rifkin, le premier, pointe les limites de son
anticipation. Pour que cette nouvelle société
voie le jour, il est indispensable selon lui que l’
infrastructure intelligente qui l’anime soit
communaliste et ouverte. Cet idéal paraît
difficilement atteignable au regard des forces
qui sévissent déjà sur Internet. Certes, il existe
des communs ouverts tels que Wikipedia, mais
la majeure partie des réseaux est d’abord la
propriété de géants de l’Internet, Google et
Facebook par exemple.
De plus, l’idée d’une hyper-abondance matérielle et énergétique paraît totalement utopiste à certains économistes.
Certes, le vent et le soleil sont des ressources énergétiques inépuisables, mais « les panneaux photovoltaïques, les
éoliennes, et les réseaux intelligents nécessaires pour capter cette énergie, exigent des matériaux, des métaux et
des terres rares qui sont et seront chers » explique l’économiste Jean Gadrey, collaborateur au magazine
Alternatives économiques, dans un article de blog ironiquement intitulé
« Jérémy Rifkin, l’Internet des objets, e
société des Barbapapas » .
Dans ce même article, Jean Gadrey questionne le véritable impact des imprimantes 3D sur la production de biens, n’
hésitant pas à qualifier la thèse de Jérémy Rifkin de « Conte de fées High Tech ».
Selon l’économiste, « la part de la consommation de biens susceptibles d’être fabriqués avec des imprimantes 3D »
représenterait « moins de 10% de la consommation effective des Français aujourd’hui ».
A propos de l'auteur
Y.F.
Bibliographie
Free ! Entrez dans l'économie du gratuit
Publié le 24/03/2015
A la Bpi Niveau 2 339.62 AND
La nouvelle société du coût marginal zéro :
l'Internet des objets, l'émergence des communaux
collaboratifs et l'éclipse du capitalisme
Publié le 24/03/2015
A à la Bpi Niveau 2 339.62 RIF
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