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transmission familiale. Ainsi, les dons augmentent toutes choses égales par ailleurs la probabilité de devenir
propriétaire d'une résidence ou d'une entreprise, tandis que le facteur familial rend compte de plus de la moitié
de la variance du niveau d'études.
Les données du doc.4 sont formulées en termes d'écart-type, ce qui présente l'intérêt de rapporter à une
commune unité de mesure et donc de pouvoir comparer le poids des différentes variables explicatives du
facteur familial. On y mesure le poids prépondérant du niveau de diplôme des parents sur celui de l'enquêté,
de la transmission familiale du capital culturel. La reproduction à l'école relève d'une part d'un facteur externe
développé par R. Boudon (L'inégalité des chances, 1973) : l'agrégation des décisions individuelles
d'orientation prises en rationalité limitée produit avec l'allongement des études une translation vers le haut des
inégalités scolaires. P. Bourdieu et J;-C. Passeron mettent l'accent sur le facteur interne (La reproduction,
1970) : “l'école apprend aux poissons à nager”, c'est-à-dire qu'elle sanctionne des compétences et dispositions
acquises largement au sein de la famille. B. Bernstein (Langage et classes sociales, 1971) souligne
l'adéquation précoce des codes langagiers des enfants des classes supérieures aux normes véhiculées à
l'école concernant notamment l'usage des pronoms et des connecteurs argumentatifs.
Le poids de la transmission familiale du capital a imposé à la science économique de se départir de son
individualisme originel. Les modèles intertemporels ont longtemps conçu l'épargne comme un arbitrage
intertemporel entre le présent et le futur (I. Fisher, La théorie de l’intérêt, 1930), et plus spécifiquement sur le
cycle de vie. Reconnaissant le poids du souci de transmission familiale du capital sur l'épargne (F. Modigliani
& R. Berumberg, « Utility analysis and the consumption function: interpretation of cross-section data »,
1954), G. Becker a incorporé l'altruisme à la fonction d'utilité de l'homo oeconomicus (A treatise on the
family, 1981). La mesure du poids du capital sur les trajectoires individuelles a donc aussi pesé sur
l'orientation des sciences sociales.
I - C) comme contrainte : son caractère cumulatif creuse les inégalités et rend compte de la
reproduction sociale
Les agents économiques sont soumis à une contrainte de crédit. Le capital constitue un collatéral qui bien
souvent conditionne l'accès au crédit. Ainsi, les taux des crédits aux microentreprises sont supérieurs de 1 à un
point et demi aux taux des crédits aux grandes entreprises depuis l'éclatement de la crise des subprimes
(doc.6). Il s'agit d'une prime de risque pesant sur les entreprises qui ont des effectifs, un chiffre d'affaires et
surtout un bilan, et donc un actif comptable plus faible. En effet, la relation de crédit est soumise à des
asymétries d'information. Le prêteur connaît ex ante moins bien que l'emprunteur sa capacité de
remboursement et contrôle mal ex post les efforts de l'emprunteur pour honorer ses engagements. Le capital
de l'emprunteur constitue alors une garantie. Aussi la prime de risque observable sur le doc. 6 ne donne qu'une
estimation minimale du poids du capital comme contrainte économique. Comme la hausse du taux d'intérêt
créditeur aggrave la sélection adverse et l'aléa moral, dans la mesure où les emprunteurs conscients de leur
risque de défaut sont relativement moins sensibles au coût financier de l'emprunt, les prêteurs préfèrent plutôt
restreindre le crédit aux mieux dotés en capital (J. Stiglitz & A. Weiss, “Credit rationing in Markets with
Imperfect Information”, American Economic Review, 1981).
Les agents sociaux sont soumis aux obligations qu'impose l'impératif d'accumulation du capital. Ainsi,
dans le Béarn rural étudié par P. Bourdieu, le fils aîné bénéficie d'un droit exclusif sur l'exploitation familiale,
mais il en est davantage le dépositaire que le détenteur. Il lui incombe d'accomplir les stratégies familiales
d'accumulation notamment dans le choix d'une épouse dont l'apport en dot soit à la mesure du capital de sa
propre famille. Le poids de cette contrainte de reproduction du capital se révèle particulièrement lourd avec
l'industrialisation et l'urbanisation : les aînés ne peuvent profiter des opportunités de mobilité géographique et
sociale dont se saisissent les cadets et leurs sœurs, et la dépréciation relative du capital agricole affaiblit leurs
chances matrimoniales (Le bal des célibataires, 2002). Les partages sont des moments critiques de cette
imbrication des trajectoires individuelles aux stratégies familiales de conservation et d'accumulation du
capital (doc. 3). La reprise de la pâtisserie par le fils Pilon et les études de ses sœurs prennent sens au sein de
la fratrie. C'est en partie parce que le capital professionnel est transmis au fils que les sœurs accumulent du
capital scolaire, et réciproquement. C'est bien le poids DU capital et non la distinction de ses formes qui rend
compte des devenirs individuels. L'approche ethnographique (doc.3) donne ainsi accès à l'unité du capital, qui
est artificiellement fractionné en ses diverses formes par les variables économétriques (doc.2 et 4)
Le poids du capital tient donc à sa contribution aux processus de production économique et de
reproduction sociale. La mesure de ce poids permet d'appréhender les logiques d'accumulation qui sont à
l'oeuvre non seulement dans la sphère économique de la production, mais aussi dans les champs sociaux.
Cette pesanteur est une force dynamique de création de richesses mais aussi une force d'inertie.