Que pèse le capital ? Cette question peut se lire de façon

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Que pèse le capital ?
Cette question peut se lire de façon intransitive ou transitive, et nous demande d'envisager le capital au
singulier, dans sa globalité et son unité. Il s'agit de quantifier sa place et son poids dans les processus de
production économique et de reproduction sociale. Mais les différentes formes de capital sont-elles
commensurables ?
Que font les sciences sociales lorsqu'elles pèsent le capital ? S'agit-il d'en évaluer la place et le pouvoir
explicatif, ou bien de construire un indicateur des transformations sociales et économiques ? Le capital est-il
facteur ou vecteur de production économique et de reproduction sociale ?
I) Le capital pèse lourd
I - A) comme facteur de production
Le poids du capital se mesure le plus couramment en économie par la part de sa rémunération dans le
P.I.B. (doc.1). Lorsqu'on prend du recul en mesurant cette part en moyennes décennales pour lisser ses
fluctuations conjoncturelles, en remontant jusqu'au milieu du siècle dernier, en comparant différents pays et
en agrégeant ses formes financières, immobilières et professionnelles, on est frappé de sa relative stabilité. Il
varie à l'intérieur d'un intervalle de 10 points de P.I.B., entre 23 % dans la France des années 2000 et 33 %
dans l'Italie des années 1990 et 2000, relativement étroit au regard de la diversité des pays et des périodes de
collecte de ces données.
La microéconomie néoclassique rationalise cette invariance. Elle formalise l'analyse initialement conduite
par J.B. Say dans son Traité d’Économie Politique (1803). En régime concurrentiel, le capital comme le
travail sont rémunérés à hauteur de leur « service productif », de leur contribution à la production. En
appliquant le raisonnement à la marge, la microéconomie en déduit que le poids unitaire de cette rémunération
nous est donnée par la productivité marginale du capital.
Le poids global de la rémunération du capital découle alors du volume de capital engagé et de sa
productivité. Aussi on peut rendre compte de sa stabilité en considérant son imparfaite substituabilité au
travail. Elle serait de nature technologique, le capital contribuant pour un tiers de l'activité productive, un peu
moins quand on retranche sa dépréciation pour en estimer le poids net, comme dans les données compilées par
M. Rognlie (Doc. 1).
L'imparfaite substituabilité des facteurs de production se formalise par une fonction Cobb-Douglas Q(K,
L) = AKαLβ, avec K le volume de capital, L le volume de travail, A une constante technologique, α et β les
paramètres captant le poids respectif du capital et du travail dans la production. Si la répartition des richesses
se fait de façon concurrentielle et pour α+β=1, la fonction de production Cobb-Douglas implique alors que la
part du capital vaut :
L)Q(K, L)K(K,Q'K
=
A
Aα
βα
β1-α
LK KLK
= α. Les données empiriques suggèrent alors une valeur 1/3 pour α.
I - B) comme ressource valorisable, accumulable et convertible
Le poids du capital se jauge également à l'observation des stratégies individuelles et collectives
d'accumulation. Il faut alors englober dans cette pesée des formes non-économiques. Avec P. Bourdieu on
peut ainsi considérer à du capital économique le capital social comme ensemble de ressources
valorisables que procurent un réseau de relations, et le capital culturel comme ensemble de dispositions, de
savoirs, de savoir-faire et de goûts valorisables. Le capital culturel peut d'ailleurs être approximativement
soupesé par le niveau du diplôme.
Les régressions économétriques permettent de mesurer le poids de ces différents éléments de capital sur
l'accès à la création ou reprise d'entreprises, la propriété immobilière et la mobilité sociale (doc.2 et 4). Ainsi,
la détention d'un capital immobilier double toutes choses égales par ailleurs la probabilité d'acquisition d'un
capital professionnel, et réciproquement. La détention d'un diplôme au moins égal au C.A.P. a un effet du
même ordre par comparaison avec un individu non-diplômé, ce qui corrobore l'approche du patrimoine et du
niveau de diplôme comme deux formes, économique et culturelle, du capital. Leur poids tient notamment à la
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transmission familiale. Ainsi, les dons augmentent toutes choses égales par ailleurs la probabilide devenir
propriétaire d'une résidence ou d'une entreprise, tandis que le facteur familial rend compte de plus de la moitié
de la variance du niveau d'études.
Les données du doc.4 sont formulées en termes d'écart-type, ce qui présente l'intérêt de rapporter à une
commune unité de mesure et donc de pouvoir comparer le poids des différentes variables explicatives du
facteur familial. On y mesure le poids prépondérant du niveau de diplôme des parents sur celui de l'enquêté,
de la transmission familiale du capital culturel. La reproduction à l'école relève d'une part d'un facteur externe
développé par R. Boudon (L'inégalité des chances, 1973) : l'agrégation des décisions individuelles
d'orientation prises en rationalité limitée produit avec l'allongement des études une translation vers le haut des
inégalités scolaires. P. Bourdieu et J;-C. Passeron mettent l'accent sur le facteur interne (La reproduction,
1970) : “l'école apprend aux poissons à nager”, c'est-à-dire qu'elle sanctionne des compétences et dispositions
acquises largement au sein de la famille. B. Bernstein (Langage et classes sociales, 1971) souligne
l'adéquation précoce des codes langagiers des enfants des classes supérieures aux normes véhiculées à
l'école concernant notamment l'usage des pronoms et des connecteurs argumentatifs.
Le poids de la transmission familiale du capital a imposé à la science économique de se départir de son
individualisme originel. Les modèles intertemporels ont longtemps conçu l'épargne comme un arbitrage
intertemporel entre le présent et le futur (I. Fisher, La théorie de l’intérêt, 1930), et plus spécifiquement sur le
cycle de vie. Reconnaissant le poids du souci de transmission familiale du capital sur l'épargne (F. Modigliani
& R. Berumberg, « Utility analysis and the consumption function: interpretation of cross-section data »,
1954), G. Becker a incorporé l'altruisme à la fonction d'utilité de l'homo oeconomicus (A treatise on the
family, 1981). La mesure du poids du capital sur les trajectoires individuelles a donc aussi pesé sur
l'orientation des sciences sociales.
I - C) comme contrainte : son caractère cumulatif creuse les inégalités et rend compte de la
reproduction sociale
Les agents économiques sont soumis à une contrainte de crédit. Le capital constitue un collatéral qui bien
souvent conditionne l'accès au crédit. Ainsi, les taux des crédits aux microentreprises sont supérieurs de 1 à un
point et demi aux taux des crédits aux grandes entreprises depuis l'éclatement de la crise des subprimes
(doc.6). Il s'agit d'une prime de risque pesant sur les entreprises qui ont des effectifs, un chiffre d'affaires et
surtout un bilan, et donc un actif comptable plus faible. En effet, la relation de crédit est soumise à des
asymétries d'information. Le prêteur connaît ex ante moins bien que l'emprunteur sa capacité de
remboursement et contrôle mal ex post les efforts de l'emprunteur pour honorer ses engagements. Le capital
de l'emprunteur constitue alors une garantie. Aussi la prime de risque observable sur le doc. 6 ne donne qu'une
estimation minimale du poids du capital comme contrainte économique. Comme la hausse du taux d'intérêt
créditeur aggrave la sélection adverse et l'aléa moral, dans la mesure les emprunteurs conscients de leur
risque de défaut sont relativement moins sensibles au coût financier de l'emprunt, les prêteurs préfèrent plutôt
restreindre le crédit aux mieux dotés en capital (J. Stiglitz & A. Weiss, “Credit rationing in Markets with
Imperfect Information”, American Economic Review, 1981).
Les agents sociaux sont soumis aux obligations qu'impose l'impératif d'accumulation du capital. Ainsi,
dans le Béarn rural étudié par P. Bourdieu, le fils aîné bénéficie d'un droit exclusif sur l'exploitation familiale,
mais il en est davantage le dépositaire que le détenteur. Il lui incombe d'accomplir les stratégies familiales
d'accumulation notamment dans le choix d'une épouse dont l'apport en dot soit à la mesure du capital de sa
propre famille. Le poids de cette contrainte de reproduction du capital se révèle particulièrement lourd avec
l'industrialisation et l'urbanisation : les aînés ne peuvent profiter des opportunités de mobilité géographique et
sociale dont se saisissent les cadets et leurs sœurs, et la dépréciation relative du capital agricole affaiblit leurs
chances matrimoniales (Le bal des célibataires, 2002). Les partages sont des moments critiques de cette
imbrication des trajectoires individuelles aux stratégies familiales de conservation et d'accumulation du
capital (doc. 3). La reprise de la pâtisserie par le fils Pilon et les études de ses sœurs prennent sens au sein de
la fratrie. C'est en partie parce que le capital professionnel est transmis au fils que les sœurs accumulent du
capital scolaire, et réciproquement. C'est bien le poids DU capital et non la distinction de ses formes qui rend
compte des devenirs individuels. L'approche ethnographique (doc.3) donne ainsi accès à l'unité du capital, qui
est artificiellement fractionné en ses diverses formes par les variables économétriques (doc.2 et 4)
Le poids du capital tient donc à sa contribution aux processus de production économique et de
reproduction sociale. La mesure de ce poids permet d'appréhender les logiques d'accumulation qui sont à
l'oeuvre non seulement dans la sphère économique de la production, mais aussi dans les champs sociaux.
Cette pesanteur est une force dynamique de création de richesses mais aussi une force d'inertie.
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II) La mesure du poids du capital pose des problèmes méthodologiques
II - A) Les différents capitaux ne sont pas fongibles.
L'agrégation de différentes formes du capital pour en mesurer le poids est une opération scientifique
fructueuse, mais aussi problématique. Les différentes formes de capital ne sont pas interchangeables. Les
équivalences établies par les Pilon sont des constructions sociales. Elles résultent de négociations, comme le
rapporte lors d'un entretien Renée à propos de la conversion de capital économique en capital scolaire par la
vente d'un moulin (doc.3). Cette conversion opère également un déplacement dans l'espace social qui selon P.
Bourdieu est structuré non seulement par le volume global de capital mais aussi sa structure selon la part
relative du capital économique et culturel (La distinction, 1979). Or la position dans l'espace social confère à
l'agent un habitus, des représentations qui disposent à la conservation non seulement du volume des capitaux,
mais de leur structure. On comprend alors les résistances du père de Renée à la vente du moulin. La
conversion de capitaux présente également un enjeu symbolique. Le capital symbolique n'a pas de contenu
spécifique, il n'est rien d'autre que la combinaison des différentes formes de capital, mais cette combinaison
est une « configuration » relative à un champ. Ce serait une erreur économiciste de poser une équivalence
entre le rendement locatif ou productif d'un moulin et celui d'études, car les termes de la comparaison sont
inscrits dans un champ spécifique, formé ici par les familles originaires de Tournègue : une conversion qui
paraît avantageuse à Renée peut induire pour son père une perte de capital d'autochtonie.
La transmission de capitaux peut entraver leur conversion. Elle revêt une dimension identitaire qui oriente
leur usage par le destinataire. Cette transmission est marquée par la tension du « keeping-while-giving ». A.
Weiner (Inalienable possessions, 1992), partant du constat que le « hau » chez les Maoris est à la fois l'esprit
de la chose donnée et du clan qui donne, montre que plus généralement le don n'aliène pas complètement la
relation du donateur à la chose donnée. Une conséquence pourrait être la propension des capitaux à conserver
leur forme spécifique après transmission dont témoignent certains résultats des régressions économétriques
(doc.2 et 4). La détention de la résidence principale par les parents augmente toutes choses égales par ailleurs
de près de moitié la probabilité d'achat de la résidence principale, mais a un effet moins significatif sur la
probabilité de création et reprise d'entreprise. Symétriquement, avoir des parents détenteurs d'assurance-vie, et
donc d'un capital financier, a un effet positif et statistiquement significatif sur l'acquisition d'entreprise, mais
pas de la résidence principale. On retrouve cette symétrie à propos du nombre d'années d'études et du score
de la profession (doc.4), mise en exergue par le choix de formuler les résultats de la régression en termes
d'écart-type. Le nombre d'années des études des parents a un effet statistique plus fort sur le nombre d'années
d'études des enquêtés que sur le score de leur profession ; et le score de la profession des parents a un effet
statistique plus fort sur le score de la profession des enfants que sur leur nombre d'années d'études.
Même la forme de capital la plus liquide, à savoir la monnaie, fait l'objet d'un marquage social qui en
oriente les usages. L'analyse qualitative par V. Zelizer de La signification sociale de l’argent (1994) pointe
ainsi que l'argent gagné de façon illégitime par les prostituées ou les délinquants est rapidement consommé,
tandis que l'argent dépensé à la messe ou pour l'éducation des enfants est puisé dans les ressources légitimes
que sont les prestations sociales et la rémunération d'activités professionnelles légales. L'analyse quantitative
de l'influence des dons et héritages sur l'acquisition d'une entreprise et d'une résidence principale (doc.2) fait
apparaître un marquage analogue. Les dons et héritages reçus par le conjoint favorisent toutes choses égales
par ailleurs l'acquisition d'une résidence principale, mais pas celle d'une entreprise.
II - B) Un poids fluctuant
La microéconomie du producteur examine la détermination du poids du capital dans la combinaison
productive par son coût, par le coût du travail et par la technologie de production. Ainsi, si le coût du capital
diminue et que les facteurs de production sont substituables, le volume de capital mobilisé par le producteur
augmente par effet substitution et par effet volume. L'effet substitution correspond plus précisément à la
variation du poids relatif du capital. C'est alors l'élasticité de substitution des facteurs de production qui est
déterminante. Si les facteurs de production sont complémentaires, le poids relatif du capital est insensible au
coût des facteurs de production. Une forte élasticité de substitution avive en revanche cette sensibilité.
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Cas où les facteurs de production sont
complémentaires
(technologie de type Leontieff)
Cas où les facteurs de production sont substituables
(technologie de type Cobb-Douglas)
K
x F
x I L
K
x I : combinaison productive initiale
x S : effet substitution
x F : combinaison productive finale
x F
x S
x I L
Or le coût du capital connaît des variations différenciées selon les agents. Ainsi l'expansion monétaire
consécutive à l'éclatement de la crise des subprimes fin 2008 s'est traduit par un effondrement du coût du
capital plus marqué pour les grandes entreprises, dont le taux d'intérêt des crédits étant divisé par trois en
moins d'un an, alors qu'il n'a été divisé que par deux pour les microentreprises (doc.6). Le poids du capital
connaît donc des déterminants politiques, mais subit aussi les aléas des comportements financiers : mimétisme
esprits animaux, renversement des conventions (cf. J. M. Keynes, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et
de la monnaie, 1936). C'est ainsi en raison d'une brutale dégradation des anticipations que le coût du capital et
son accumulation se sont effondrés en 2008.
Ces fluctuations du poids et de la valeur des différents capitaux sont également documentées par la
sociologie. La conversion du moulin en capital scolaire s'inscrit dans le contexte plus général de salarisation et
de qualification de la population active : l'investissement en capital scolaire devient plus rentable, ce que
perçoit mieux la génération de Renée (doc.3), y compris peut-être en termes symboliques. Les champs se
valorisent les capitaux connaissent des transformations, voire des révolutions, tels le déclin de la haute
couture et la montée du prêt-à-porter dans le champ de la mode analypar P. Bourdieu et Y. Delsaut (« Le
couturier et sa griffe : contribution à une théorie de la magie », Actes de la recherche en sciences sociales,
1975) :
« Aux uns les stratégies de conservation qui visent à maintenir intact le capital
accumulé (le "renom de qualité") contre les effets de la translation du champ et dont la
réussite dépend évidemment de l'importance du capital détenu et aussi de l'aptitude de
ses détenteurs, fondateurs et surtout héritiers, à gérer rationnellement la reconversion,
toujours périlleuse, du capital symbolique en capital économique. Aux autres les
stratégies de subversion, qui tendent à discréditer les détenteurs du plus fort capital de
légitimité, à les renvoyer au classique et de au déclassé, en mettant en question (au
moins objectivement) leurs normes esthétiques, et à s'approprier leur clientèle présente
ou, en tout cas, future, par des stratégies commerciales que les maisons de tradition ne
peuvent se permettre sans compromettre leur image de prestige et d'exclusivité. » (p.8)
Au vu des fluctuations et de la relativité du poids des multiples formes de capital, l'entreprise scientifique
visant à en mesurer le poids agrégé paraît fragile.
II - C) Les conditions sociales et historiques de la prise de poids du capital
Ce n'est pas seulement les rapports d'équivalence entre différents capitaux mais la définition même d'un
capital qui pèserait que l'on peut soumettre à la critique des variations sociales et historiques. L'analyse de M.
Weber dissipe en quelque sorte l'ethnocentrisme implicite du présent atemporel de la question du sujet
(doc.5). L'émergence d'un capital qu'on peut peser est relativement récente historiquement. Les termes de la
description par M. Weber du capitaliste des origines le présentent comme une figure de la déviance : « son
entrée en scène […] fut rarement pacifique […] heurté à la méfiance, parfois à la haine, surtout à l'indignation
morale, […] « style nouveau » ». Il peut se ranger dans la catégorie de la rébellion si l'on suit la typologie
dressée par R. Merton, avec des objectifs et des moyens qui tranchent avec les valeurs et normes de son temps
(Eléments de théorie et de méthode sociologique, 1957). Le fait que le capital puisse peser est donc propre aux
sociétés contemporaines, a rencontré et rencontre encore des résistances. M. Herskovits rapporte que les
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bergers africains cherchent à posséder le plus de têtes de bétail possibles non par logique capitalistique
puisqu'ils n'en tirent pas nécessairement de production, mais par prestige social (Anthropologie économique,
1952). Et pourtant l'étymologie suggère que ces « têtes » ont constitué une forme primitive du capital en
Europe. Au moment la bourgeoisie commençait à asseoir son poids social sur le capital, la noblesse
stigmatisait l'accumulation et prônait la dépense, comme le relève N. Elias à propos du duc de La
Rochefoucauld qui jette par la fenêtre la bourse que son fils lui rapporte pleine (La société de cour, 1969).
Même à son apogée, le capitalisme et la bourgeoisie n'adhèrent pas complètement à la logique d'accumulation,
comme en témoigne la consommation ostentatoire (T. Veblen, Théorie de la classe de loisir, 1899)
Il faut alors envisager ce que pèse le capital de façon transitive et non plus intransitive, ce qu'il permet de
soupeser et non plus seulement sa masse.
III) Le capital soupèse. Son poids est un indicateur.
III - A) Un indicateur des transformations du capitalisme
Selon M. Weber, le capital ne pèse pas sur le capitalisme, son poids n'est que le reflet de la diffusion de
l'esprit du capitalisme. Cette analyse renverse la dépendance de la superstructure à l'infrastructure par le
marxisme qui met l'accumulation du capital au centre de l'explication du capitalisme, et influence en cela
toutes les tentatives économiques et sociologiques de mesure du poids du capital. Pour M. Weber, le capital
ne pèse guère que comme indicateur de l'avènement du capitalisme. Il n'en est pas le facteur mais le vecteur.
Ce sont des « qualités éthiques bien déterminées », l'ascèse, le goût du travail, la perception de la richesse
comme signe d'élection divine dans la doctrine protestante, qui pèsent véritablement.
De nos jours le poids du capital et ses évolutions peuvent être interprétés comme des indicateurs de
l'avènement d'un nouvel esprit du capitalisme (cf. L. Boltanski & E. Chiapello, 1999). Le premier esprit du
capitalisme émane de la cité domestique et de la cité marchande, que reflète le poids du capital familial et des
fondateurs d'entreprise. Le second esprit du capitalisme émane de la cité civique et de la cité industrielle, que
reflètent la « scission entre propriété et gestion du capital » (cf. J. M. Keynes, Théorie générale de l'emploi, de
l'intérêt et de la monnaie, 1936, chap. XII) ou encore le poids du capital public. Depuis les années 1970 le
capitalisme a incorporé la critique artiste et se légitime par un nouvel esprit émanant de la cité par projets. La
montée du capital financier (doc.1) découle de cette nouvelle fluidité de la configuration du travail et du
capital dans les entreprises.
Les différentes formes de capital économique ont des déterminants spécifiques. Leur coût et les revenus
qu'elles procurent n'évoluent pas de façon identique, ce qui rend compte de leurs variations dans le temps et
l'espace. Les économies d'échelle, l'industrialisation puis la tertiarisation, la concentration des entreprises
réduisent progressivement le poids du capital professionnel dans la réparation des revenus. La répartition des
revenus en France est marquée depuis le milieu du XXème siècle par le doublement du poids du capital
immobilier, ce qui peut en partie s'expliquer par la réorientation de la politique du logement de l'aide à la
pierre à l'aide à la personne, dont G. Fack a montré qu'elle bénéficiait non aux locataires mais aux détenteurs
de capital immobilier (« Pourquoi les ménages à bas revenus paient-ils des loyers de plus en plus
élevés ? L’incidence des aides au logement en France (1973-2002) », Economie et Statistique, 2005), et qui
entretient la hausse du prix du logement et les plus-values immobilières. L'encadrement des marchés
financiers puis leur libéralisation à partir des années 1980 se ressent sur l'évolution du poids du capital
financier au Royaume-Uni, et sans doute en Australie, mais pas dans les autres pays.
III - B) Un indicateur des transformations de la science économique
Le capital est une notion économique à géométrie variable. La mesure de son poids est le reflet de son
extension scientifique.
C'est dans le Tableau économique (1758) de F. Quesnay qu'on en trouve une estimation originelle, sous la
forme des avances « primitives » et des avances « annuelles ». Mais les avances n'ont pas de poids propre
dans le processus de production, elles ne sont que l'adjuvant déclencheur de l'extraction de richesses qui sont
en dernière instance fournies par la nature. Les économistes classiques font des capitalistes la classe motrice
de l'enrichissement des nations imputé à l'épargne et à l'accumulation du capital. En même temps la théorie de
la valeur travail s'applique au capital, qui n'est en dernier ressort que du travail incorporé (D. Ricardo,
Principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817). Le poids de sa rémunération et sa valeur ne sont alors
que le résultat de rapports sociaux.
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