Pourrait-on dire de Philippe Rebbot que
c’est votre pendant masculin ? Lui aussi
semble lunaire et décalé.
Il est très poétique, la tête dans les nuages,
extrêmement touchant, extrêmement drôle,
mais nous sommes très différents. Moi j’ai les
pieds sur terre, je me sens concrète et j’ai un
côté cadré avec les enfants. Dans la vie, je
suis sage et posée. Dans mon métier, je
m’accorde toutes les extravagances sans
aucune peur. Je m’accorde le droit de me
tromper, de rater. La seule chose que je ne
m’accorde pas, c’est de manquer de sincérité
dans mes choix. Si le choix n’est pas motivé
par l’argent ou un calcul de carrière, mais
uniquement parce que c’est là où j’ai envie
d’être, où je vais apprendre, où je vais être
utile, je pense que j’ai droit à l’erreur et que
personne ne m’en voudra. C’est peut-être un
peu naïf de penser ça, mais ça rend libre.
Et je préfère être dans un film pas abouti,
bancal, qui se cherche, mais qui essaie
quelque chose. Pas comme ces films
parfaitement réussis où tout colle, mais dont
on sort en se disant qu’on a déjà vu ce film
vingt-cinq fois.
Dans ce film, ce sont les enfants les
adultes.
C’est vrai, je n’avais pas pensé à ça… C’est
juste. Marie disait qu’à l’école, il y a ceux qui
savent, ce qui ont déjà trouvé leur place, qui
ont leur petite autorité, leur auditoire. Enfant,
j’appelais ça « avoir le truc ». Bien
évidemment, moi, je n’avais pas le truc, j’avais
pas les fringues qu’il fallait, j’étais pas à la
mode, j’étais pas populaire… J’avais pas le
truc, quoi (rires). Et je comprends que tout à
coup, elle ait eu envie qu’on tourne avec ces
mômes qui ont le truc.
Quel regard portez-vous sur votre travail ?
Je vois un truc très bizarre, qui ne correspond
pas du tout à ce que j’imaginais. Je me
souviens de scènes et de l’émotion que j’avais
en moi et de l’idée que je me faisais du rendu.
Et le résultat n’avait rien à voir avec ce que
j’avais dans la tête, ce que je pensais vouloir
faire. Peut-être que c’est bien parce que cela
prouve que l’on ne contrôle pas tout et que
beaucoup de choses vous échappent, c’est
super. Mais cela crée un sacré trouble. On ne
se reconnaît pas.
Comme j’ai beaucoup de mal à me voir, je ne
vais pas systématiquement voir les films. Et je
crois que je vais faire comme mon copain
Benoît Poelvoorde, je vais arrêter d’aller me
voir. Il y a beaucoup d’acteurs qui ne se voient
pas finalement. Avant, j’avais des scrupules,
j’avais peur de vexer le réalisateur en n’y allant
pas, mais je vais prendre ce pli-là. Il y a
toujours une déception à se voir, je pense
toujours que ce que j’ai fait était mieux. D’un
côté, j’en tire des leçons, cela me fait
progresser. Et en même temps, je me dis que
je ferais mieux si je me lâchais davantage,
sans m’inquiéter du résultat. Parce qu’on n’est
pas acteur du résultat, et ça on l’oublie. Avant
de faire ce métier, j’allais au cinéma pour voir
des acteurs, surtout des actrices,
éventuellement une histoire, mais jamais pour
un réalisateur. Et puis, en travaillant dans le
cinéma, j’ai compris que vous proposez une
chose, mais selon la direction d’acteurs,
surtout si vous êtes en empathie avec le
réalisateur, vous ne contrôlez plus et vous ne
savez pas ce qui sort. Après, il y a le montage
qui fait beaucoup, la position de la caméra…
Tout ça fait que l’on ne sait pas comment on
joue et qu’on n’a qu’une partie de la
responsabilité. J’ai réfléchi à cela sur le film
des frères Larrieu (Vingt et une nuits avec
Pattie, ndlr) où j’ai adoré le montage. Et je me
suis dit qu’on ne parle jamais du montage. Un
acteur qui reçoit un prix ne remercie jamais le
monteur. De même, si un acteur est mauvais, il
ne dira jamais que le montage y est pour
beaucoup, et pourtant cela peut être vrai. C’est
pourquoi je pense que je vais prendre un peu
de recul.