C`est avec un réel plaisir que nous avons retrouvé Isabelle Carré

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C’est avec un réel plaisir que nous avons
retrouvé Isabelle Carré pour parler du
premier film de Marie Belhomme, Les
Chaises musicales. L’occasion également
d’évoquer ses choix de comédienne. Entre
fou rire et confidence, un moment délicieux
avec une jeune femme tout sauf presque.
Interview réalisée par Sophie Loria
C’est important d’accepter de jouer dans un
premier film ?
Oui, c’est important d’avoir des gens qui
acceptent de tenter l’aventure parce qu’il faut
bien commencer. Moi aussi, j’ai eu la chance
que des personnes me fassent confiance pour
pouvoir débuter dans le métier.
Mais il y a aussi une part d’égoïsme : comme
quand on retourne dans un cours de théâtre,
on se retrouve avec des jeunes qui ont une
patate d’enfer. Je n’ai rien perdu de mon envie,
ni de mon enthousiasme, mais travailler avec
quelqu’un qui débute est générateur d’énergie,
parce que c’est toute sa vie qu’il joue avec son
projet et que c’est cet instant qui est important.
Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ?
J’ai eu envie de tourner ce premier longmétrage parce que j’ai trouvé que c’était une
comédie romantique décalée. Il y a d’abord
cette fille qui se déguise en banane pour jouer
‒ mal ‒ du violon, qui est presque musicienne,
mais qui est presque tout en fait. Elle court
après quelque chose qu’elle n’arrive jamais à
saisir. Son manque de confiance et sa
maladresse m’ont beaucoup touchée. Et puis
cette rencontre amoureuse qui commence
dans une décharge. Pour une histoire d’amour,
c’est pas mal (rires). Enfin, il y a lui qui est
immobilisé. C’est un peu Parle avec elle
d’Almodovar, mais en version comique.
Quand j’ai rencontré Marie Belhomme, la
réalisatrice, je l’ai trouvée tellement à l’image
du personnage que je me suis dit qu’elle en
parlerait forcément bien. Elle, doutait, elle avait
un sentiment d’illégitimité parce qu’elle voulait
être scénariste au départ, pas réalisatrice. Ce
sont les producteurs (qui ont produit
Hippocrate) qui lui ont dit de se lancer. Et au fil
du tournage, à l’image de Perrine, je l’ai vue
prendre son envol. C’était très touchant.
Cette similitude aurait pu vous gêner. Vous
ne vous êtes pas dit : « Elle jouerait Perrine
mieux que moi. » ?
Si. Je lui ai d’ailleurs demandé si ce n’était pas
un rôle qu’elle avait écrit pour elle. J’étais un
peu embêtée de penser que je lui volais le rôle
– même si c’est elle qui était venue me
chercher. Et puis, très vite, j’ai vu qu’elle était
contente de ce qui se passait et cela m’a
rassurée. On a fait le chemin ensemble, main
dans la main. Il y avait deux Perrine sur le
plateau.
Cela devait faire beaucoup, non ?
C’était pas mal. On dit que deux timides qui se
rencontrent s’intimident davantage encore. Et
là, c’était l’effet inverse. On s’est stimulées
l’une l’autre.
Vous pensez qu’elle a lâché quelque chose
sur ce film ?
Complètement. Elle s’est imposée et elle a
trouvé sa voie.
Le spectateur peut avoir l’impression que
Perrine, c’est vous.
Un peu, oui. C’est davantage moi il y a
quelques années. Ce métier m’a quand même
donné un peu de confiance en moi ‒ même si
on en manque toujours ‒ et il m’a structurée.
Mais au niveau social, c’est vrai que je suis
encore le personnage, et j’ai du mal à me
sentir à ma place. C’est en cela que j’aime
beaucoup le titre, Les Chaises musicales ; je
trouve que c’est très dur de se sentir légitime
ou à l’aise à l’endroit où l’on est. C’est aussi
pourquoi j’aime beaucoup le film de Xavier
Giannoli, Quand j’étais chanteur, qui raconte
qu’on peut avoir l’ambition de remplir un
Zénith, ou celle de réussir un bal musette pour
donner du bonheur aux gens. Et peut-être que
ça n’a pas de prix. Ce n’est pas le modèle
qu’on agite sous nos yeux comme un drapeau
qu’il faut absolument suivre, cette ambition,
cette
compétition,
la
performance
permanente... Le secret du bonheur ne serait-il
pas de trouver sa propre place, celle où l’on se
sent bien ? Perrine anime une fête chez des
retraités précaires, déguisée en petit pois.
Certains pourront trouver ça médiocre, mais je
trouve qu’il y a du bonheur à être là aussi.
Vous aimez les personnages qui doutent et
qui ont de la fantaisie. On pense aux
Emotifs anonymes, à Cheba Louisa, à du
Vent dans mes mollets…
J’aime beaucoup le burlesque, oui. J’aime les
gens empêtrés, un peu maladroits. Bien sûr, je
choisis les rôles, mais c’est vrai que les
réalisateurs pensent à moi pour certaines
choses. On part de soi pour trouver le
personnage, et j’ai une part d’enfance très
forte. C’est avec ça que j’ai joué. Je voulais
qu’elle soit habillée comme si elle avait gardé
ses habits de petite fille. Comme c’est mon cas
(rires). J’ai besoin de garder un lien, un contact
avec ce que je suis. Pirandello disait : « On
n’est pas un, on est mille. » Il faut trouver
lequel on a en soi à ce moment-là.
Il faut également apprendre de l’univers du
metteur en scène. En l’occurrence, quand je
regardais Marie, je voyais le personnage et je
m’inspirais de ses gestes et de sa façon d’être.
De la même manière, la chanson d’Anne
Sylvestre, Les gens qui doutent, constitue
une habile mise en abyme de l’histoire de
Perrine, mais le sourire qui vous illumine
dans la scène donne à penser que la
chanson parle de vous.
J’étais vraiment émue en l’écoutant, j’avais
l’impression que cela parlait de moi. Et c’est
vrai, j’aime les gens qui doutent parce que
moi-même je doute. Comment ne pas douter,
se questionner sur ce qu’on fait, sur ce qu’on
est ? Je pense que le doute apporte de la
justesse et de la douceur dans notre relation
aux autres.
Parlons de vos partenaires. Carmen Maura,
tout d’abord. Vous la connaissiez déjà ?
Oui, nous avions fait un film improbable, raté,
Superlove. Il est introuvable ! C’était un
premier long-métrage avec Grégoire Colin,
Luis Rego et Marthe Villalonga. Le scénario
était super. On avait beaucoup ri avec
Carmen, on s’était vraiment trouvées et je me
rappelle qu’entre deux prises, on enfilait des
perles ! (Rires.) Je la fais parler de sa carrière,
d’Almodovar, de sa vie…C’est une femme
extraordinaire.
Pourrait-on dire de Philippe Rebbot que
c’est votre pendant masculin ? Lui aussi
semble lunaire et décalé.
Il est très poétique, la tête dans les nuages,
extrêmement touchant, extrêmement drôle,
mais nous sommes très différents. Moi j’ai les
pieds sur terre, je me sens concrète et j’ai un
côté cadré avec les enfants. Dans la vie, je
suis sage et posée. Dans mon métier, je
m’accorde toutes les extravagances sans
aucune peur. Je m’accorde le droit de me
tromper, de rater. La seule chose que je ne
m’accorde pas, c’est de manquer de sincérité
dans mes choix. Si le choix n’est pas motivé
par l’argent ou un calcul de carrière, mais
uniquement parce que c’est là où j’ai envie
d’être, où je vais apprendre, où je vais être
utile, je pense que j’ai droit à l’erreur et que
personne ne m’en voudra. C’est peut-être un
peu naïf de penser ça, mais ça rend libre.
Et je préfère être dans un film pas abouti,
bancal, qui se cherche, mais qui essaie
quelque chose. Pas comme ces films
parfaitement réussis où tout colle, mais dont
on sort en se disant qu’on a déjà vu ce film
vingt-cinq fois.
Dans ce film, ce sont les enfants les
adultes.
C’est vrai, je n’avais pas pensé à ça… C’est
juste. Marie disait qu’à l’école, il y a ceux qui
savent, ce qui ont déjà trouvé leur place, qui
ont leur petite autorité, leur auditoire. Enfant,
j’appelais ça « avoir le truc ». Bien
évidemment, moi, je n’avais pas le truc, j’avais
pas les fringues qu’il fallait, j’étais pas à la
mode, j’étais pas populaire… J’avais pas le
truc, quoi (rires). Et je comprends que tout à
coup, elle ait eu envie qu’on tourne avec ces
mômes qui ont le truc.
Quel regard portez-vous sur votre travail ?
Je vois un truc très bizarre, qui ne correspond
pas du tout à ce que j’imaginais. Je me
souviens de scènes et de l’émotion que j’avais
en moi et de l’idée que je me faisais du rendu.
Et le résultat n’avait rien à voir avec ce que
j’avais dans la tête, ce que je pensais vouloir
faire. Peut-être que c’est bien parce que cela
prouve que l’on ne contrôle pas tout et que
beaucoup de choses vous échappent, c’est
super. Mais cela crée un sacré trouble. On ne
se reconnaît pas.
Comme j’ai beaucoup de mal à me voir, je ne
vais pas systématiquement voir les films. Et je
crois que je vais faire comme mon copain
Benoît Poelvoorde, je vais arrêter d’aller me
voir. Il y a beaucoup d’acteurs qui ne se voient
pas finalement. Avant, j’avais des scrupules,
j’avais peur de vexer le réalisateur en n’y allant
pas, mais je vais prendre ce pli-là. Il y a
toujours une déception à se voir, je pense
toujours que ce que j’ai fait était mieux. D’un
côté, j’en tire des leçons, cela me fait
progresser. Et en même temps, je me dis que
je ferais mieux si je me lâchais davantage,
sans m’inquiéter du résultat. Parce qu’on n’est
pas acteur du résultat, et ça on l’oublie. Avant
de faire ce métier, j’allais au cinéma pour voir
des
acteurs,
surtout
des
actrices,
éventuellement une histoire, mais jamais pour
un réalisateur. Et puis, en travaillant dans le
cinéma, j’ai compris que vous proposez une
chose, mais selon la direction d’acteurs,
surtout si vous êtes en empathie avec le
réalisateur, vous ne contrôlez plus et vous ne
savez pas ce qui sort. Après, il y a le montage
qui fait beaucoup, la position de la caméra…
Tout ça fait que l’on ne sait pas comment on
joue et qu’on n’a qu’une partie de la
responsabilité. J’ai réfléchi à cela sur le film
des frères Larrieu (Vingt et une nuits avec
Pattie, ndlr) où j’ai adoré le montage. Et je me
suis dit qu’on ne parle jamais du montage. Un
acteur qui reçoit un prix ne remercie jamais le
monteur. De même, si un acteur est mauvais, il
ne dira jamais que le montage y est pour
beaucoup, et pourtant cela peut être vrai. C’est
pourquoi je pense que je vais prendre un peu
de recul.
Qu’est-ce qui vous fait accepter un projet ?
L’histoire. Et la rencontre avec le réalisateur. Il
faut que je sente si c’est quelqu’un avec qui je
peux bien m’entendre, qui a un univers, de
l’humanité et de la douceur. Je n’aime pas les
gens qui manipulent. Cela fait peut-être passer
à côté de belles choses, mais je fais ce métier
pour être heureuse et donner du bonheur, pas
pour souffrir. J’ai eu des tournages très très
durs, et je préfère que cela se passe dans la
douceur.
Vous avez tourné six films l’an dernier,
quatre vont sortir cette fin d’année, deux en
2016. Vous n’arrêtez pas de tourner ?
On peut se dire qu’il y aura peut-être un film de
trop, mais je ne voulais pas enchaîner comme
ça. En fait, ce sont des films qui ont mis
beaucoup de temps à se faire. ParisWilloughby a mis quatre ans. Comme je
m’étais engagée, je suis restée. Le film des
Larrieu m’est tombé dessus trois mois avant et
je ne pouvais pas dire non parce que j’adore
leur cinéma, leur audace et leur singularité. Et
le film tourné au Japon a mis également trois
ans à se faire. En fait, ce sont des projets
placés en accordéon. Là, je reste jusqu’en
février sans tourner.
Cette pause vous réjouit-elle ou vous
angoisse-t-elle ?
Non, je suis très contente parce que je vais
faire une petite mise en scène au théâtre de
l’Atelier. A 19 heures, que 40 dates, au mois
de décembre. Autant dire une planque !
(Rires.) C’est presque du théâtre ! Pour une
première mise en scène, cela me rassure. Et je
joue dedans, une mère indigne, dans les
années 1970. La pièce s’appelle De l’influence
des rayons gamma sur le comportement des
marguerites.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire
de la mise en scène ?
Cela fait très longtemps que j’ai envie parce
que j’aime la direction d’acteurs. Je ne sais
pas si un jour je me lancerai au cinéma, parce
que j’ai l’impression que je ne saurai pas faire
tout ce qui est technique. Il y a une écriture,
une vision cinématographique. Et moi, quand
je vois un film, je ne vois pas les plans, je vois
les acteurs. Remarque, j’ai été très surprise
parce que j’ai toute ma scénographie dans la
tête. Je sais même absolument ce que je veux
comme décor. Je suis très pressée et très
excitée par ce projet.
C’est bien de vous revoir au théâtre, cela
faisait longtemps.
Cela me manque beaucoup. Cette souffrance
dont je vous parlais quant au rendu, on ne la
connaît pas au théâtre. Le rendu est dans la
tête des gens, chacun a ses propres images et
chacun emporte ce qu’il veut. Je trouve ça
chouette et rassurant. Glenn Gould, c’était le
contraire, il ne supportait pas de ne pas
pouvoir corriger, et c’est pourquoi il a arrêté de
faire des concerts. Quand il enregistrait, il
changeait deux notes. C’était un fou furieux !
Moi, je trouve que le direct est plus rassurant
et donne plus de liberté. Le perfectionnisme,
c’est de l’angoisse.
Et puis, le théâtre permet de recommencer
tous les soirs.
Absolument. C’est une chose dont j’avais parlé
avec Weber, quand nous jouions L’Ecole des
femmes. Je trouvais à la fois fou et énervant
de réussir un soir la première scène, rater la
deuxième, etc., et le lendemain c’était
l’inverse. Je lui avais alors demandé si un soir
tout serait parfait. Et il m’avait répondu :
« C’est pour ça qu’on y retourne. »
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