Plaquette agroforesterie

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L’AGROFORESTERIE À L’INRA
Des recherches ancrées dans l’Agroécologie,
au cœur d’enjeux sociétaux
Membre fondateur de
Vers une agriculture plus écologique
intégrant mieux les arbres
Depuis les années 1950, l’agriculture a connu une forte augmentation de productivité.
Cette évolution a été permise par une utilisation importante d’intrants de synthèse. Elle a
été associée à une plus grande spécialisation des exploitations agricoles et des régions de
production, une diminution progressive des systèmes de polyculture-élevage, une simplification des assolements et des rotations, un agrandissement des parcelles et aussi
la suppression d’une grande partie des haies et arbres épars. On estime ainsi qu’ont été
détruits près de 70% des 2 millions de kilomètres de haies vraisemblablement présents en
France au début du XXe siècle. Cependant, cette agriculture intensive impacte fortement
l’environnement et les ressources aussi bien non renouvelables (phosphore, pétrole, etc.)
que renouvelables (biodiversité, eau, etc.). Pour faire face à ces enjeux agricoles et de
société, développer une agriculture conjuguant performances économiques, environnementales et sociales est une nécessité. Facteurs de diversification, source de biens et de
services que parfois l’on redécouvre, les arbres et l’ensemble des formations ligneuses
des paysages font aujourd’hui partie de la palette des outils à mobiliser à cette fin.
Agroforesterie
des arbres au cœur des territoires agricoles
et de pratiques agroécologiques
Les arbres font partie intégrante de nos paysages ruraux, qu’ils
soient localisés dans les parcelles agricoles (alignements, arbres
isolés) ou à leur périphérie (bois, bosquets, haies).
Les relations entre arbres et agriculture, souvent conflictuelles
jusque dans un passé récent, peuvent être aujourd’hui envisagées
de manière renouvelée selon les principes de l’agroécologie,
notamment sur la base d’associations d’une large gamme
d’espèces présentant des complémentarités aux échelles de la
parcelle et du paysage.
Cette plaquette présente les orientations de recherches sur les
produits et les services issus de l’agroforesterie où les arbres
sont intégrés dans les pratiques agricoles mais aussi dans les
politiques publiques, comme celle du “produire autrement” en
France.
L’agroforesterie recouvre en pratique une gamme variée de formations arborées, allant
des bois aux arbres isolés dans les parcelles agricoles, en passant par les haies, les
bosquets et les arbres plantés volontairement dans les parcelles cultivées ou pâturées
(encart 1). Certaines de ces formations sont issues d’usages ruraux traditionnels (les haies
des bocages, les forêts paysannes, les prés-vergers, le sylvo-pastoralisme). D’autres
sont nouvelles ou sont à adapter aux activités agricoles et aux matériels actuels, comme la
pratique consistant à cultiver sous alignements d’arbres plantés au sein de parcelles. Les
innovations tiennent aussi aux choix des essences et des variétés (choisies, par exemple,
au titre d’une morphologie limitant l’ombrage), aux nouvelles pratiques de plantation,
d’entretien et d’exploitation des arbres et à de nouvelles valorisations et utilisations des
ressources boisées ainsi développées (Bois Raméal Fragmenté : BRF, bois plaquette pour
le chauffage, paillage, litière, abris cynégétiques, esthétique paysagère).
Offrant une grande diversité de produits et de services, les arbres des paysages agricoles
sont au carrefour d’enjeux multiples. Ils restent pourtant globalement mal pris en compte
dans des politiques sectorielles très segmentées. Du côté forestier, ces formations arborées sont souvent considérées comme négligeables, voire gênantes, car s’accommodant
mal des principes sylvicoles propres aux forêts. Du côté agricole, la haie reste encore
souvent vue comme un obstacle à la modernisation ou tout au moins comme une complication. Une politique territoriale de l’arbre champêtre reste ainsi largement à construire.
Encart 1
Les arbres dans les paysages agricoles
peuvent se présenter isolés, en
alignements, en haie avec d’autres
composantes de la végétation, avoir été
plantés dans les champs ou des pâtures
ou provenir d’accrus naturels suite à
l’enfrichement, se trouver dans des bois
et bosquets ou dans les forêts et leurs
lisières.
Les produits de l’arbre :
diversifier et mieux valoriser
les produits et les usages
Encart 2
LES EXPÉRIMENTATIONS
AGROFORESTIÈRES À L’INRA
(UMR SYSTEM À MONTPELLIER)
Depuis 20 ans, l’Inra développe
des expérimentations sur
la conception de nouvelles
parcelles agroforestières
où l’arbre a « les racines
dans les cultures » et les
« cultures se glissent dans
l’ombre mouvante des
arbres ». Si les premières
parcelles expérimentales
étaient monospécifiques
avec de fortes densités
d’arbres, les plus récentes
sont plurispécifiques avec
des densités d’arbres plus
faibles. Il a été montré que
l’association permet de
produire autant de biomasse
que sur 1,2 à 1,5 hectare dans
le cas où les cultures sont
séparées.
Les utilisations traditionnelles des arbres poussant en contexte agricole sont déjà multiples : production de bois d’œuvre et de chauffage,
de piquets, utilisation du feuillage comme fourrage, récolte des fruits.
Aujourd’hui la modernisation des techniques de récolte permet la
conception de nouveaux produits issus de ces formations ligneuses.
La plantation d’arbres au sein de parcelles cultivées ou pâturées sur
la base de règles d’assemblage élaborées scientifiquement combine, à
différentes échelles de temps, des productions provenant des arbres et
des cultures, grâce aux complémentarités de niche des espèces et de
leur capacité d’adaptation. L’intensification écologique qui en découle
permet de produire sur un hectare agroforestier plus que si les arbres
et les cultures sont séparés, sans apport d’intrants supplémentaires
(encart 2). A l’origine de ce résultat essentiel des processus de complémentarité et de facilitation entre espèces permettent de capter plus de
ressources (minéraux, eau), ou bien de créer les conditions favorables
à la croissance de l’une des espèces (ombrage). Les connaissances
acquises permettent ainsi d’améliorer les itinéraires techniques pour
renforcer ces processus. Outre la productivité biologique, l’efficacité économique, évaluée grâce à des simulations, montre que ce type
d’agroforesterie peut être rentable. Sans nécessairement sacrifier le
revenu à court terme, le produit des arbres peut en effet augmenter
fortement le revenu, mais ce de manière différée lors de leur exploitation. Pour progresser encore, de nouveaux thèmes de recherche sont
aujourd’hui explorés : l’adaptation, via notamment la sélection variétale,
des cultures à l’ombre, le comportement des parcelles en agroforesterie face au changement climatique, l’impact de la présence des arbres
sur les cycles du carbone, de l’eau et des nutriments, la mise au point
de systèmes agroforestiers à bas niveau d’intrants, etc.
À côté des produits ligneux traditionnels, apparaissent de nouveaux
usages prometteurs. Par exemple, le bois raméal fragmenté (BRF, broyat
non composté de jeunes branches et rameaux frais) peut être utilisé en
couverture du sol ou en amendement en plein champ. Il en va de même
avec les copeaux de bois utilisés comme substituts au paillage en plastique dans les opérations de plantation, comme litière pour les animaux
d’élevage afin de limiter les achats de paille. En outre, l’utilisation du
Biochar (amendement sous forme de poudre de charbon de bois) pourrait contribuer à améliorer significativement l’état physique, chimique
et biologique de certains sols agricoles. Enfin, les produits non ligneux
associés à l’arbre (champignons, plantes médicinales et aromatiques,
petits fruits, châtaignes, noix, noisettes, etc.) peuvent aussi être sources
de revenus additionnels et au-delà être facteurs de solidarités territoriales renouvelées ; il s’agit alors d’organiser leur valorisation, par
une cueillette organisée, par une forme spécifique de mise en culture
impliquant un entretien et des pratiques particulières (encart 3).
Des services intrants pour renforcer l’autonomie
des systèmes agricoles
Rendre le microclimat plus favorable aux cultures
Encart 3
Mécanisation
de la taille
des haies pour
produire du BRF
Les services écosystèmiques
rendus par les arbres
Au-delà des produits ligneux et non ligneux, les milieux naturels et
cultivés fournissent divers services utiles à l’agriculture et à la société,
dits services écosystémiques. L’agroécologie porte une attention particulière aux services rendus à l’agriculture, ou “services intrants” qui
permettent de réduire le recours aux intrants industriels. Le concept de
service écosystémique (encart 4) invite ainsi à reconsidérer les termes
des interactions entre les activités humaines et la nature au sens large,
soulignant les interdépendances et fournissant de nouveaux leviers
d’actions.
Encart 4
Outre les services de production, trois grands types de
services écosystémiques peuvent être distingués :
•les « services intrants » permettent de réduire, voire de
supprimer certains intrants (azote, phosphore, certains
pesticides) tout en conservant un niveau de production
acceptable. Ils correspondent à la fourniture de
ressources (par exemple la fixation symbiotique de l’azote
atmosphérique par les légumineuses) et au développement
de régulations biologiques (par exemple l’utilisation des
auxiliaires des cultures pour réduire la pression des
bioagresseurs) ;
• les services environnementaux (par exemple la régulation
du climat par le stockage du carbone) et culturels (par
exemple la qualité des paysages) constituent des biens
publics produits par les agriculteurs et dont la société
est bénéficiaire. Certains de ces services s’évaluent
localement (esthétique des paysages), d’autres au
minimum au niveau régional.
Plantés en alignement ou en haies, les arbres influencent les composantes du microclimat aux échelles de la parcelle mais aussi du paysage. Les arbres jouent sur deux éléments essentiels du bilan d’énergie
qui contrôlent le microclimat : le rayonnement et l’écoulement d’air. Ce
sont les effets de l’un ou de l’autre facteur qui prédominent selon les
caractéristiques du climat local et selon les espèces d’arbres, leur densité d’implantation et leur localisation dans le paysage.
Lorsque la ressource en eau du sol n’est pas limitante - en climat tempéré humide, ou au voisinage des cours d’eau ou d’une nappe phréatique - l’arbre isolé est un système qui évapore plus d’eau qu’un arbre
en forêt ou qu’un couvert herbacé. Cet effet a des implications sur les
mouvements de l’eau dans le sol et le sous-sol, et la présence d’arbres
favorise l’infiltration de l’eau et son drainage. Par contre, dans les zones
où la ressource en eau du sol est limitante et où la température est
élevée, ils peuvent entrer en compétition pour l’eau avec la culture à
proximité. Mais les arbres ont aussi un effet d’ombrage pouvant induire
une réduction de l’évapotranspiration dans leur voisinage ou bien jouer
le rôle « d’ascenseur hydraulique » dans les sols profonds, et ainsi
accroître la disponibilité en eau dans les horizons de surface du sol. Au
niveau de l’écosystème dans son ensemble, les arbres ont une action
de régulation hydraulique : des structures comme les haies jouent le
rôle de barrières physiques qui ralentissent le ruissellement superficiel
des eaux de pluie vers les cours d’eau et favorisent l’infiltration de l’eau
dans le sol. La présence d’arbres peut aussi limiter les crues de faible
intensité.
De part leur rôle sur les vents et les transferts d’eau, les arbres ont
des effets favorables sur la conservation des sols par la limitation de
l’érosion éolienne et hydrique. Dans les paysages bocagers anciens par
exemple, les haies ont un rôle facilement observable : on constate une
accumulation de sol en amont des haies (pouvant atteindre plus d’1m),
et une érosion immédiatement en aval. Ainsi les versants plantés de
haies présentent globalement moins de pertes absolues de sol vers
les cours d’eau, les particules étant en grande partie retenues avant
d’atteindre les bas de versant.
Améliorer les régulations biologiques des ravageurs
des cultures et la pollinisation
Certains organismes vivants peuvent fournir des services écosystémiques dits de régulation (encart 4) : le contrôle biologique des ravageurs des cultures par des ennemis naturels (aussi appelés auxiliaires)
et la pollinisation. La présence de milieux semi-naturels, comme les
structures ligneuses mais aussi les prairies et bords de champs, ont un
impact favorable sur ces animaux à différents moments de leur cycle
de vie. Par exemple, les larves de syrphes consomment les pucerons
dans les parcelles, les adultes se nourrissant de pollen dans les éléments semi-naturels et pouvant hiverner en lisières de bois. Quant
aux pollinisateurs, ils bénéficient aussi de la proximité des structures
ligneuses leur fournissant un gîte et des ressources (pollen, nectar)
complémentaires et alternatives à celles qu’ils trouvent dans les vergers ou les parcelles agricoles. Cela leur permet de se nourrir lorsque
les plantes cultivées ne sont plus en fleurs. En proposant aux auxiliaires
et pollinisateurs ces éléments semis-naturels à proximité des cultures,
on obtient une meilleure régulation biologique et une meilleure pollinisation grâce à leur plus grande abondance et diversité (encart 5). Ainsi
les syrphes, qui hivernent sur place, peuvent assurer une protection
des cultures précoce plus tôt au printemps et plus tard en automne,
permettant ainsi de réduire les utilisations de produits phytosanitaires.
Mais les formations arborées peuvent aussi être favorables aux ravageurs des cultures. Cependant, il a été démontré, indépendamment des
ressources trophiques très variables selon les contextes, que ces derniers sont en règle générale moins favorisés par des situations microclimatiques tamponnées que les auxiliaires des cultures, plus sensibles
aux extrêmes thermiques et hygrométriques notamment. Pour les pol-
linisateurs, l’enjeu est de taille car la majorité des plantes à fleurs, et
donc des productions agricoles, est pollinisée par des insectes (abeilles
domestiques et sauvages, bourdons, syrphes) qui sont actuellement en
net déclin. Pour rendre ce service, les formations arborées doivent cependant être adaptées : si les lisières et certaines haies sont des guides
aux mouvements des pollinisateurs, ils peuvent aussi être des barrières
(haies hautes et denses) limitant leur passage.
Services environnementaux
Contribuer à réguler les grands cycles
Les milieux semi-naturels arborés jouent un rôle bénéfique sur la
qualité des eaux qui se dégrade dans bien des régions agricoles. Leur
premier effet direct est d’éloigner les passages de tracteur (épandage
d’engrais, traitements phytosanitaires) des cours d’eau. Ils favorisent
aussi l’épuration des eaux de ruissellement lorsqu’elles sont chargées de molécules dissoutes (nitrates, pesticides) ou de particules de
sol (phosphore, polluants adsorbés) via l’augmentation des temps de
transfert, permettant ainsi leur absorption par la végétation ou leur biodégradation. Lorsque ces milieux sont en interaction avec une nappe,
ils améliorent localement la qualité des eaux souterraines via le prélèvement de nutriments tels que les nitrates, jouant ainsi un rôle de filtre
d’épuration qui peut être valorisé par une sylviculture adaptée.
Les arbres dans les systèmes agroforestiers ont aussi des impacts
directs et indirects sur la dynamique de la matière organique du sol et
sur le stockage de carbone, pour trois raisons :
•les apports de carbone au sol par la végétation aérienne et racinaire pérenne des arbres sont souvent plus importants que pour
les cultures annuelles ; le carbone apporté est aussi plus lentement
décomposé par les microorganismes du sol ;
•les apports de matière organique via le système racinaire se font sur
l’ensemble de la profondeur d’enracinement des arbres ;
•dans les situations où les arbres ont un rôle contre l’érosion, ils
limitent les exportations de matière organique en dehors du bassin
versant et favorisent le stockage intra-parcellaire.
Cependant, l’évolution et la stabilisation de la matière organique dans
le sol s’établissent sur des temps longs. L’effet favorable des systèmes
arborés sur le stockage de carbone dans les sols est d’autant plus marqué que l’âge des peuplements est élevé et que la densité d’arbres est
élevée. Les modes de gestion des arbres et des cultures avoisinantes,
ainsi que le microclimat généré, peuvent également moduler cet effet.
Encart 5
DES HAIES POUR LES CULTURES
Jacques Hicter, céréalier sur 300 ha dans l’Aisne, décide dans les années 1980 de réinstaller des haies,
fourrés et bandes herbacées pour faire revenir le gibier sur son exploitation, fortement remembrée dans
les années 1960. Ses parcelles restent grandes mais peu larges, séparées par ces nouveaux habitats à
faune. Rapidement le gibier revient, et les ennemis naturels des ravageurs des cultures aussi. Il n’utilise
plus aujourd’hui d’anti-limaces et très exceptionnellement des insecticides contre les pucerons. Pour
en savoir plus : Le Roux et al. (2008). Agriculture et biodiversité – Valoriser les synergies. Expertise
Scientifique Collective INRA, Paris, France www6.paris.inra.fr/depe/Projets/Agriculture-et-biodiversite
Conservation de la biodiversité et trame verte
Outre leurs effets sur le microclimat et sur les régulations biologiques
et les grands cycles, les structures ligneuses fournissent habitats,
gîtes et ressources à une diversité d’espèces, qu’il s’agisse d’espèces
ordinaires, patrimoniales ou menacées. Elles contribuent ainsi à la
conservation de la biodiversité. Au-delà de ces fonctions, le maillage
des paysages ruraux par les arbres favorise le déplacement des individus de diverses espèces entre populations plus ou moins éloignées.
Cette connectivité entre des habitats fragmentés est recherchée lors de
la mise en place de la Trame Verte car elle est une condition essentielle
pour la conservation de la biodiversité dans ses multiples dimensions.
Associer arbres et agriculture :
nécessité d’apprentissages et de nouvelles formes de gouvernance
L’agroforesterie: un maillon de la transition
agroécologique ?
Lorsque les pratiques de gestion des formations ligneuses et des
arbres au sein des exploitations agricoles s’inscrivent dans une logique
de transition agroécologique, elles sont généralement accompagnées
d’autres pratiques agroécologiques avec lesquelles elles interagissent :
choix des cultures, de leur combinaison dans l’espace et le temps
(association de cultures), utilisation de couverts végétaux pendant les
intercultures, simplification ou arrêt du travail du sol, etc. Cet ensemble
de pratiques en interaction détermine la gamme et l’intensité des services écosystémiques délivrés. Les pratiques agroforestières doivent
donc être pensées en cohérence avec les autres pratiques agricoles
pour favoriser les processus de complémentarité et de facilitation, mais
aussi pour gérer ceux de compétition entre les différentes espèces
végétales (ex. arbre et culture) pour les ressources, notamment l’interception de la lumière, l’absorption d’eau et d’éléments minéraux.
Selon les objectifs recherchés, l’amélioration d’un service pourra
être antagoniste d’un autre, conduisant alors à gérer des compromis.
Le plus souvent, tous les services ne peuvent être satisfaits simultanément, et leur hiérarchie est parfois délicate à établir lorsqu’ils ne
se manifestent pas aux mêmes échelles d’espace et de temps et ne
concernent pas les mêmes bénéficiaires. Par exemple, il est important
de distinguer les services pour lesquels l’agriculteur est à la fois le
producteur et le bénéficiaire et ceux dont la société (aux échelles locale,
régionale ou globale) bénéficie sans que le producteur (l’agriculteur)
ne soit rémunéré pour autant. Les arbitrages et/ou les rémunérations
à mettre en œuvre pour favoriser tel(s) ou tel(s) service(s) sont donc
potentiellement très dépendants de ces logiques producteurs-bénéficiaires. L’INRA, avec son métaprogramme Ecoserv (metaprogrammes.
inra.fr/), s’est donné pour ambition d’élaborer des méthodes pour évaluer ces services et ainsi contribuer à mieux gérer conjointement des
ensembles de services. L’agroforesterie devrait jouer à cet égard un
rôle de premier plan dans ces travaux.
Repenser les filières dans les territoires
Par le passé, le temps nécessaire à extraire et préparer les produits
du bois (grumes, bûches, fagots), les coûts élevés de mécanisation
et les risques de détérioration du matériel agricole ont conduit à une
forte réduction des activités de valorisation des formations ligneuses,
engendrant ainsi une profonde modification de la structure des bois
et des haies par le vieillissement des arbres. De nos jours, la balance
commerciale nationale très déficitaire sur les produits du bois, le regain
d’intérêt pour les diverses formes de « bois énergie » (par exemple la
transformation du bois en plaquettes ou “pellets” pour les chaufferies
individuelles et collectives) et les nouvelles technologies d’exploitation
de ces ressources offrent de nombreuses opportunités pour valoriser
encore mieux la ressource en bois d’œuvre et d’industrie.
La diversité des produits “bois” tirés des activités agroforestières est
un atout pour développer plusieurs filières structurées. Cependant, la
grande dispersion de la ressource au sein et entre les territoires des
exploitations agricoles, la rentabilisation du matériel d’exploitation des
formations ligneuses, les contraintes de travail au sein des exploitations restent un frein puissant à leur développement. L’enjeu est alors
de développer des organisations sociales et économiques, à l’échelle
locale ou régionale, permettant de lever ces contraintes. Par exemple,
la création de CUMA permettrait la mise en commun de ressources pour
l’acquisition et l’entretien de matériels adaptés, voire la réalisation de
prestations de services. Une filière locale, basée sur une logique d’économie circulaire ou d’économie de proximité, pourrait être développée
dans les cadres légaux. Ces schémas économiques, promus à l’échelle
nationale et européenne, visent à valoriser les complémentarités entre
les systèmes et secteurs de production à l’échelle locale. On peut alors
envisager de donner au développement territorial une nouvelle dimension basée sur la valorisation des arbres et formations ligneuses des
milieux agricoles.
Ingénierie agroécologique pour des pratiques
territorialisées
Développer des modes de gestion et d’organisation basés sur l’agroécologie nécessite une reconfiguration des systèmes agricoles qui va
bien au delà d’une amélioration de l’efficience d’utilisation des intrants
par la mise en œuvre de “bonnes pratiques agricoles” ou d’une agriculture de précision.
Au niveau des agriculteurs, alors que leurs leviers d’action sont potentiellement très nombreux (ex. agencement spatial et conduite des
arbres, cultures, travail du sol), les connaissances nécessaires à la
conception et la gestion de nouveaux systèmes agricoles diversifiés et
adaptés aux situations locales sont très incomplètes. Pour faire face
à ce déficit de connaissances, de nombreux agriculteurs intègrent
des réseaux d’appui technique où les échanges d’expériences sur les
essais-erreurs-réussites des membres du réseau permettent, entre
autres, d’accélérer le processus d’apprentissage individuel nécessaire
à la mise en œuvre d’un ensemble cohérent de pratiques agroécologiques.
Encart 6
Un système laitier OasYs a été conçu avec une approche agroécologique globale
afin de produire du lait en économisant les intrants, dans un contexte d’aléas
climatiques, tout en contribuant à une agriculture durable (expérimentation
système conduite à l’INRA de Lusignan). L’implantation d’espèces ligneuses
dans ce système de polyculture-élevage vise à sécuriser l’approvisionnement
fourrager, limiter le stress thermique des animaux et des couverts végétaux,
valoriser l’eau et les éléments nutritifs présents dans les couches profondes du
sol, mieux exploiter le rayonnement solaire, favoriser la biodiversité et stocker
du carbone. De nouvelles conduites associant agroforesterie et élevage laitier
sont testées afin d’identifier les essences ligneuses et les modes d’exploitation
les mieux adaptés au pâturage de ces nouvelles ressources fourragères. Citons
l’insertion dans les parcelles de trognes basses, d’allées couvertes de vignes et
de taillis broutés.
Pour répondre à ce besoin de produire des connaissances pertinentes
et utiles pour les acteurs, la nécessaire transition agroécologique fait
donc émerger de nouveaux enjeux pour la recherche. Outre l’approfondissement des connaissances sur les liens entre pratiques, biodiversité et processus écologiques, la recherche doit aussi développer
des méthodes permettant aux acteurs de concevoir et mettre en œuvre
une gestion adaptative des systèmes agroécologiques et de nouvelles
formes de collaborations au sein des filières et des territoires. De
nouveaux types d’outils permettront par exemple de sélectionner des
espèces/variétés ou des mélanges de celles-ci à implanter en fonction
des conditions pédoclimatiques locales et des services écosystémiques
attendus. Une approche par pratique isolée pour un objectif particulier
serait insuffisante ; en effet, un tel objectif nécessite un raisonnement
systémique et holistique basé sur la conception d’ensembles cohérents
de pratiques et de services. Les mots clefs d’une nouvelle recherche
adaptée à ces défis seront alors : complémentarité, synergie, multifonctionnalité... (encart 6)
Lorsqu’un partage des ressources (par exemple l’eau) et de l’espace
(organisation du paysage) est en jeu, un dispositif multi-acteurs de gestion collaborative est nécessaire. Des dispositifs de concertation avec
des supports permettant d’évaluer à priori les bénéfices et contraintes
attendues de nouveaux modes d’usage des terres sont à construire. Par
exemple, la généralisation de certaines pratiques demande une organisation collective au sein de territoires lorsqu’elle génère un supplément
de travail pouvant freiner ou empêcher leur adoption (entretien des
haies ou émondage des arbres par exemple) (encart 7). L’acquisition
d’équipements collectifs en entreprise ou CUMA peut résoudre ces
difficultés en rationalisant les tâches, et en développant par la même
occasion de nouveaux usages des produits de la taille (BRF, biochar).
En outre, certaines pratiques peuvent nécessiter d’associer d’autres
acteurs que ceux de l’agriculture, ainsi pour la mise en place d’une
filière bois-énergie, la construction d’un méthaniseur fonctionnant à
base de sous-produits des arbres et des haies, mais aussi de déchets
industriels ou urbains.
Encart 7
Les agriculteurs de l’association Bois Paysan en Ariège mènent
une démarche de valorisation des arbres sur leurs exploitations,
soutenue par le projet APIL (CASDAR 2013-2014) porté par la
Chambre d’agriculture de l’Ariège, en partenariat avec l’INRA de
Toulouse. Elle a pour objectif de construire des synergies avec les
autres acteurs du territoire aussi concernés par la valorisation
des arbres et du bois. Pour accompagner cette réflexion sur
l’agroforesterie à l’échelle d’un territoire, en lien avec des
pratiques agro-écologiques, les chercheurs mettent au point un
modèle pour représenter spatialement les différents types de
formations arborées et leurs apports dans les territoires agricoles.
L’objectif est de visualiser et de qualifier les rôles des arbres sur
différentes dimensions (agronomique, écologique, esthétique)
afin de faciliter le dialogue et la prise de décisions concertée par
les différents porteurs d’enjeux concernant les arbres dans leur
territoire
C’est donc en quelque sorte un métabolisme territorial qu’il s’agit de
promouvoir pour organiser de manière efficace l’utilisation des produits et « sous-produits » de l’agriculture et de l’agroforesterie, tout
en incluant la fourniture de services écosystémiques dont les agriculteurs (réduction des charges de production) et la société (régulation du
climat, réduction des pesticides) sont les bénéficiaires. Compte-tenu
du temps nécessaire pour que les produits et services attendus soient
effectifs (une haie n’est pas opérationnelle dès son implantation...),
l’appui de la recherche peut être décisif.
CONTRIBUTEURS
UMR AGIR (Agroécologie, Innovations, Territoires, INRA Toulouse) :
Michel Duru (coordinateur), Eric Justes, Jean Pierre Sarthou, Olivier Therond
Contact : [email protected]
UMR Dynafor (Dynamique et écologie des paysages agriforestiers, INRA Toulouse):
Marc Deconchat (coordinateur), Emilie Andrieu, Martin Vigan
Contact : [email protected]
UMR System (Fonctionnement et conduite des systèmes de culture tropicaux
et méditerranéens, INRA Montpellier) :
Christian Dupraz, Christian Gary, Marie Gosme, Delphine Meziere
Contact : [email protected]
UMR SAS (Sol Agro et hydrosystème Spatialisation, INRA Rennes) :
Valérie Viaud, Philippe Mérot
Contact : [email protected]
UE FERLUS (Fourrages, Environnement, Ruminants, INRA Lusignan) :
Jean Claude Emile, Sandra Novak
Contact : [email protected]
Crédits photo : ©Inra et D. Mansion
Studio Inra / Août 2014
147 rue de l’Université
75 338 Paris Cedex 07
France
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