introduction Les auxiliaires être et avoir

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Introduction
PRÉSENTATION DES DONNÉES
[« Les auxiliaires Être et Avoir », Pierre-Don Giancarli]
[ISBN 978-2-7535-1370-9 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]
Les corpus utilisés
Nous nous appuierons sur un corpus authentique comptant au total plus de 2 millions
de mots (2 082 084), comprenant un corpus d’acadien traditionnel, un corpus trilingue
français-corse-anglais, et divers corpus bilingues (français-corse, corse-français, françaisanglais, anglais-français) :
Le corpus d’acadien est le corpus Péronnet dit “85” : il s’agit d’un corpus d’acadien
traditionnel (75 000 mots) réalisé dans le sud-est de la province du Nouveau-Brunswick
(seule province du Canada officiellement bilingue anglais-français) à partir de sept informateurs âgés et ruraux, qui sont nés et habitent dans des villages à forte majorité francophone, dorénavant nommés de INF1 à INF7, et qui racontent des contes et légendes. Leurs
anglicismes sont intégrés et anciens, moins dus à des contacts individuels avec l’anglais
qu’à une influence exercée dès le début : l’Acadie, revendiquée par la France en 1534 avec
des implantations françaises dès 1604, fut la première colonie française en Amérique.
Le corpus trilingue, que nous avons constitué et aligné et qui n’est sans doute pas loin
d’être exhaustif dans ce domaine, comporte 195 478 mots en anglais 1, correspondant à
222 733 mots en corse et à 280 972 mots en français 2.
Le corpus bilingue aligné français-corse et corse-français comporte 643 706 mots
en corse, correspondant à 664 195 mots en français. Si on y ajoute les parties bilingues
français-corse et corse-français incluses dans les corpus trilingues ci-dessus on obtient
866 439 en corse correspondant à 945 167 mots en français.
Le corpus est assez hétérogène, ce qui était à la fois une contrainte imposée par
la limitation des corpus authentiques de certaines langues et un choix nécessaire pour
d’autres langues en rapport avec le sujet abordé.
Le corpus acadien consiste en la transcription écrite de contes. Des transcriptions
d’oral étaient la meilleure façon d’avoir de l’acadien vernaculaire pourvu de ses spécificités propres (qu’il s’agisse de néologismes, d’anglicismes ou d’emplois archaïques
1. Auxquels s’ajoutent des extraits unilingues de Oscar Wilde (The Happy Prince) et Douglas Hyde
(Beside The Fire).
2. Auxquels s’ajoute le Corpus de Référence du Français Parlé (CRFP) de l’équipe DELIC (Description
Linguistique Informatisée sur Corpus) d’Aix-en-Provence, d’« usage général et courant », qui compte
environ 440 000 mots et est consultable sur http://delic.univ-provence.fr/index.html.
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LES AUXILIAIRES ÊTRE ET AVOIR…
hérités de ce qui se parlait dans l’Ouest actuel de la France à la fin du XVIe / début du
XVIIe siècle) plutôt que des productions à fonction véhiculaire qui s’efforceraient de tendre
vers un français standardisé exogène parfois mal maîtrisé et artificiel et qui ne seraient
qu’un produit de communication désincarné à seule fin de transcender les frontières de la
province. Même si le corpus trilingue français – corse – anglais dépasse ce seul type de
source et offre tout un éventail de supports tels romans et pièces de théâtre, nous avons
veillé à ce que les contes et l’oral soient présents aussi dans le corpus trilingue dans le
sens français / corse et français / anglais (Daudet, Saint-Exupery) et même dans le sens
corse / français au travers de contes traditionnels transcrits exactement de même nature
que ceux de l’acadien (Fole de Franchi, Contra Salvatica de Giacomo-Marcellesi).
La co-existence de sources écrites et orales n’est un inconvénient ni en anglais ni en
corse pour un sujet tel que le nôtre qui porte sur la sélection de l’auxiliaire, dans la mesure
où dans ces deux langues la sélection d’auxiliaire ne repose pas sur le niveau de langue
(soutenu / familier / populaire / etc.) ni sur la dichotomie écrit / oral (ce qu’a fortiori prouve
la constance des relevés au travers de la variété des supports) mais sur des critères qui
transcendent cette dichotomie.
Et elle est un avantage en français, dans la mesure où dans cette langue par contre le
fait qu’il s’agisse de langue écrite ou parlée est à même de changer la donne, car il s’agira
d’envisager l’hypothèse selon laquelle le français parlé (mais non pas écrit) peut dans
un niveau de langue familier (et populaire, comme signalé par Bauche, 1946, Guiraud,
1969, Grevisse & Goose, 1986, p. 1218, Wagner & Pinchon, 1991, p. 296) accepter une
variation d’auxiliaire par sélection de avoir au lieu de être en fonction du contexte. D’où
la nécessité d’inclure dans les corpus aussi bien de l’écrit que de l’oral transcrit, et c’est
en l’occurrence pour ce dernier que nous avons fait appel au Corpus de Référence du
Français Parlé de DELIC.
Les sources du corpus sont détaillées en fin d’ouvrage. Elles sont suivies des Annexes
A et B qui présentent l’abréviation donnée à chaque source et mettent en regard les sources
et les sens de traductions.
Des difficultés à reconnaître
ou interpréter certaines occurrences
Il convient de se demander au préalable sur quels extraits travailler, car certaines
formes ne sont pas aisément identifiables et pourraient échapper à l’analyse, tandis que
d’autres pourraient s’y glisser alors qu’elles relèvent d’une problématique autre.
Absences d’auxiliaire et précautions méthodologiques pour le corpus acadien
En acadien les difficultés sont de trois ordres, à commencer par une absence d’auxiliaire dans les formes censées être auxiliées. En effet certains extraits (7 en tout, dont
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5 produits par le même locuteur à savoir le locuteur 6) ne transcrivent apparemment pas
d’auxiliaire au passé composé :
(4ac) Allez vous reposer / a dit / i a encore de quoi là / a dit / qui m’intéresse / a dit / je
vois les deux jeunes filles / deux jeunes garçons que vous avez icitt / a dit / ça c’est
signe de tout ouèr / pendant la nuit là / ils allé rouvrir ma boîte (INF 6)
(5ac) Quoi ce qu’arrivé / quoi ce qu’arrivé / il a dit / […] quand qu’arrivé là (INF 6)
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(6ac) La vieille reine dit / al a dit / c’est ien que quinze mille piasses / qu’est-ce
qu’on ferait de quinze mille piasses / al a dit / achète-les / le vieux roi descendu en
bas / il a dit / ’well’/ c’est ben (INF 7)
(7ac) Pis là ça menu qu’i parliont pus fort / pis i riont pus fort (INF 1)
Nous avons considéré que la transcription était correcte, c’est-à-dire qu’il s’agissait
bien de passés composés et non pas d’imparfaits. Cela est clair au travers de l’exemple
le vieux roi descendu en bas qui comprend un verbe du troisième groupe. Mais même
avec les verbes du premier groupe (ils allé, quoi ce qu’arrivé), alors que le français de
France pourrait prêter à hésitation (ils allé / ils allaient, quoi ce qu’arrivé / qu’arrivait),
l’acadien possède à la sixième personne une forme particulière à l’imparfait à savoir i +
-ont 3 (ils alliont), ce qui permet d’affirmer que ils allé n’est pas la transcription erronée
de ils allaient mais bien du passé composé, du passé composé sans auxiliaire.
L’hypothèse d’une absence de l’auxiliaire être est envisageable dans la mesure où les
verbes concernés (descendre, venir / menir, aller, arriver) sont tous ouverts à essivité, les
trois premiers au parfait, le dernier à des formes autres que le parfait.
Nous nous sommes aussi posé la question d’une éventuelle assimilation de aouèr,
plausible à certaines personnes, qui aurait contribué à la fois à prendre en compte ces
exemples et à augmenter la part de l’auxiliaire aouèr. Par exemple une assimilation
progressive d’un a auxiliaire de troisième personne est envisageable devant arrivé 4, et
une assimilation régressive d’un a après ça est envisageable dans le contexte pis là ça
menu qu’i parliont pus fort. Cependant elle ne l’est pas dans le vieux roi [a ?] descendu
en bas / il a dit.
En l’absence de marqueur auxiliaire explicite, ces 7 occurrences n’ont pas été prises
en compte.
D’autre part, les limites de notre corpus acadien doivent être signalées. Tout d’abord
plusieurs verbes que nous aurions aimé vérifier n’ont pas été vérifiables, car absents du
corpus : rentrer se trouve mais pas entrer, qui s’emploie d’ailleurs en acadien surtout
limité à la locution entrer compagnie (au sens de s’associer, former un regroupement).
3. Le même locuteur (INF6) dit d’ailleurs : tous ceuse que j’ai logé icitt qu’alliont pour le ouèr […].
4. Hypothèse confortée par notre collègue canadienne L. Péronnet (communication personnelle).
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LES AUXILIAIRES ÊTRE ET AVOIR…
Absents également éclore / écloure, naître, décéder et échoir, ainsi que tous les préfixés
de venir : devenir / advenir / survenir / provenir / intervenir / parvenir. L’absence de certains
préfixés est compensée chez les locuteurs acadiens par l’emploi plus large du dérivant
(venir) assumant le rôle de surordonné. C’est ainsi que venir apparaît là où le français
de France aurait eu recours à devenir, cf. exemples (8) et (9), ou à advenir / survenir, cf.
exemples (10) et (11) :
(8ac) C’est vrai que vous êtes venu pas mal barbu / pis des grands cheveux longs
su a tête (INF 3)
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(9ac) La dent / blanchissait / changeait de couleur / al a venu manière de blancbleu (INF 1)
(10ac) Quand que ç’a venu que faulit boire en mangeant 5 (INF 1)
(11ac) Ç’a menu que / quand que les matelots d’Angelterre alliont en Belgique / i
faisiont du désorde (INF 4)
Enfin, les verbes effectivement présents ont dû être recherchés aussi dans leurs
versions acadiennes, qu’il s’agisse de spécificités sur le radical et sur le participe passé,
ou seulement sur le participe passé.
Pour ce qui est des premières, à côté de tomber, arriver, retourner, revenir et venir,
il existe respectivement timber, arriver back, retourner back, menir (jamais préfixé) et
ervenir. Timber est la forme normale ; tomber, la forme employée en France, n’apparaît
que chez un seul locuteur (locuteur 3), une seule fois, et est en variation avec timber
chez ce même locuteur 6. La particule back héritée de l’anglais se trouve avec arriver
et retourner, de façon minoritaire. Arriver back n’apparaît que deux fois sur cent vingtcinq, chez le même locuteur (locuteur 3), pour préciser qu’il s’agit d’un retour à un lieu
initial 7. Retourner back apparaît une seule fois (sur quatre), chez le locuteur 2, de façon
pléonastique :
5. Faulit est le subjonctif imparfait de falloir. Ce temps, rare à l’oral en français de France tout comme
l’est le passé simple, s’emploie à l’oral en acadien, avec une morphologie particulière qui est celle du
passé simple acadien, lui aussi particulier puisqu’il prend pour sa forme régulière une désinence en / i / .
Cette dernière est un archaïsme qui vient de l’anglo-normand du XIIIe-XIVe siècle, qui a continué jusque
dans la langue littéraire des XVe et XVIe siècles (PERONNET, 1986, p. 89) et qui a existé en France dans
les parlers du Nord-Ouest jusqu’au XIXe siècle (il fallait que j’allisse au lieu de il fallait que j’allasse)
(CHAUVEAU, 1995, p. 161).
6. (12ac) Y avait pas des fusil / y avait pas de ‘rifles’/ y avait pas rien de ça / ça fait toujou / i avont voyagé
de même un bon boutt / pis là i avont timbé dans un grand chemin qu’y avait / (INF 3). (13ac) Bétôt il a
vu deux ouéseaux qui venaient / qu’aviont des ailes comme six à sept pieds de large / i s’en veniont ben
tranquillement / quand qu’il avont arrivé environ de vingt pieds de la côte / il ont tombé à l’eau / tous
les deux / (INF 3).
7. (14ac) Quand al a arrivé « back » chu zeux / (INF 3). (15ac) Quand qu’il a arrivé « back » / il a été mette
son cheval dans l’écurie / (INF 3).
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(16ac) Pis Marin était parti / pis i était loin / ça fait que le lendemain matin / i
a retourné « back » / […] i s’avait mis un casse par-dessus la tête / quantt i a
rentré / i a pas louté son casse (INF 2)
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Ervenir apparaît une seule fois, chez le locuteur 2 dans l’exemple (17) ci-dessous, sans
particularité sémantique évidente par rapport à revenir. Ervenir peut donner l’impression
d’une métathèse de par l’inversion des phonèmes / r / et / v / en contact (la voyelle médiane
ne se prononçant pas) mais en réalité il s’agit sans doute non pas d’une inversion mais de
l’ajout d’une voyelle prosthétique (épenthèse à l’initiale) afin d’éviter l’agrégat consonantique, autrement dit d’une syllabification du / r / , ce qu’on retrouve sur d’autres mots
dans la production de ce locuteur, cf. exemple (18) :
(17ac) A dit / pognez-moi / je vas timbe / i pognont la reine / al évanouissait / pis i i
avont goroché un sceau d’eau dans a face / pis al a ervenu (INF 2) 8
(18ac) A pensait à quoi c’est qu’i ersemblait (INF 2)
L’acadien présente aussi des spécificités sur certains verbes dans leur forme participiale puisque mourir et aller connaissent, à côté de mort et allé, respectivement mouri
et gone. Sur mouri et gone se superpose, au sein des formes verbales composées, une
spécificité sémantique que n’ont ni mort ni allé, comme nous le verrons dans la partie 3.2.
Auxiliaires contractés en anglais : ’s de has (AVOIR) ou ’s de is (ÊTRE) ?
En anglais, une évaluation du nombre de verbes acceptant ÊTRE (be) peut, à l’oral
comme à l’écrit, être malaisée. Non pas du fait de l’ellipse de cet auxiliaire comme on a
pu le voir en acadien 9 mais du fait de sa possible contraction, à même au perfect de créer
à la troisième personne et notamment dans les parties dialoguées une ambivalence. La
contraction ’s, en effet, neutralise toute distinction entre has (have c’est-à-dire AVOIR)
et is (be c’est-à-dire ÊTRE), par exemple he’s gone 10.
8. Pogner correspond à empoigner ou prendre en français de France, garocher à lancer des roches ou
lancer quel que soit l’objet.
9. L’ellipse de be se trouve dans le cadre de be + –ING, en particulier en Black American English : he
walking (GACHELIN, 1997, p. 34), mais pas dans le cadre d’un parfait ou d’un plus-que-parfait en
anglais standard.
10. Avec l’anglais, le corse est la seule des langues abordées ici à connaître des auxiliaires contractés. Ils
apparaissent sur AVOIR conjugué au présent (par exemple au parfait ou au futur en avè da + infinitif)
des 1re et 2e personnes du pluriel normalement trisyllabiques, et réduites alors à des dissyllabiques
dépourvues de la première syllabe inaccentuée : avemu / emu (nous avons) et aveti / eti (vous avez), mais
sans ambivalence avec ÊTRE (emu / semu, eti / seti). Mais alors que l’anglais peut réduire have qu’il
soit auxiliaire (I’ve got to go) ou verbe (I’ve something I’ve been meaning to say to you), pourvu qu’il
ne soit ni en fin de groupe verbal (*yes I’ve) ni en début (*’ve you been to the hut ?) (COTTE, 1997,
p. 46), la contraction de avè en corse n’est possible que pour l’auxiliaire, qui se distingue donc ainsi
du verbe, qui a une forme toujours pleine. Belle illustration du principe guillaumien de subduction du
signifié en parallèle à la réduction phonétique du signifiant.
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Cette précaution serait inutile pour des textes antérieurs au XVIIIe siècle, puisque ’s
semble avant cette date n’être mis que pour is (Ryden & Brorström, 1987, p. 32), mais
la question se pose pour des textes qui, comme ceux de notre corpus, sont postérieurs au
XVIIIe siècle.
L’anglais est démuni de système d’accord en nombre / genre sur le participe passé
(pas de variabilité avec be / invariabilité avec have) qui aurait pu permettre de déduire
quel est l’auxiliaire qui le précède, ni de façon graphique s’il avait eu le même système
que l’acadien, ni de façon graphique et audible s’il avait eu le même système que le corse
(le français de France comme l’acadien fait quant à lui une différence graphique de par
l’accord en nombre / genre mais varie peu ses auxiliaires). En effet la transcription écrite
de l’acadien fait figurer partie avec un –e dans ielle est partie avec être, cf. (19) ci-dessous,
mais parti avec aouèr avec un même sujet féminin dans al a parti, cf. (20), ce qui pourrait
avoir un intérêt (à l’écrit) en cas d’absence d’auxiliaire :
(19ac) Pis i dit / j’ai délivré une ville là depuis que je vous ai laissé / pis i dit / j’ai
sauvé une princesse / pis i dit / je sus obligé d’aller avec sous peine de mort / i
dit / ielle est partie asteur / j’ai été trahi / j’ai pas pu m’en aller avec ielle / pis asteur
faut je la trouve (INF 3)
(20ac) Là asteur / un heure qu’arrivait / pis i était pas revenu / là la princesse
ielle / al a commencé à ête intchiète de lui / quoi ce qu’i i a arrivé / al a parti en
avant de lui pour essayer le rencontrer (INF 3)
Le corse fait une distinction graphique et phonique entre par exemple hà vulsutu
scappà et hè vulsuta scappà (cf. partie 3.5.1), avec d’ailleurs une différence de sens :
respectivement il a voulu fuir (mot à mot a voulu fuir) et elle a dû fuir (mot à mot est
voulue fuir). Mais la différence est déjà marquée par les auxiliaires.
L’anglais dit he’s gone et she’s gone sans modification sur gone, que ’s soit be ou have
l’absence d’accord sur gone interdit toute hypothèse quant au choix opéré sur l’auxiliaire.
Alors comment interpréter le marqueur ’s dans des extraits comme les suivants ?
(21e) And look what I find : the old humbug’s fallen downstairs !
(21f) Et voilà comment je le trouve, ce satané farceur ! Excellent, le coup de la
marche !… (BC)
(22e) I’ll take the gourd back before Asterix notices that it’s gone !
(22f) Je vais vite ramener la gourde avant qu’Astérix ne s’aperçoive de sa disparition ! (RG)
(23e) You didn’t see by any chance – (He misses Vladimir). Oh ! He’s gone !…
(23f) Vous n’auriez pas vu - (Il s’aperçoit de l’absence de Vladimir. Désolé. Oh !
Il est parti !…) (EAG)
PRÉSENTATION DES DONNÉES
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(24e) And here’s Signora Castafiore. I see she’s come round.
(24f) Et voici madame Castafiore. Je vois qu’elle a repris connaissance. (BC)
(25e) Look ! He’s gone to sleep !
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(25f) Tiens ! Il s’est endormi. (PP)
En (21e) et (22e), les anglophones consultés considèrent que le ’s est certainement mis
pour AVOIR (has) dans la mesure où le verbe fall se conjugue avec ÊTRE (be) seulement
dans un sens religieux que n’a pas (21e), et considèrent que celui de (22e) l’est probablement pour ÊTRE (is) sans trop savoir pourquoi.
Quels sont les éléments permettant l’interprétation de ’s dans un sens ou dans un
autre ? Nous tenterons de répondre à cette question dans la partie 3.1.
Copule + adjectif ou auxiliaire + participe ?
Quand c’est ÊTRE, se pose même la question d’une juste interprétation de la nature
de la forme qui le suit, en particulier en anglais. Par exemple gone dans l’exemple (26e)
ci-dessous this Marionette is dead and gone est-il un adjectif représentant un simple état,
non-événementiel, dans une structure attributive, ou un participe passé en –EN marquant
un état résultant qui garde la mémoire d’un processus antérieur 11 ?
(26e) To my mind this Marionette is dead and gone ; but if, by any evil chance, he
were not, then that would be a sure sign that he is still alive !
(26f) A mon avis, cette marionnette est bel et bien morte. Pourtant, si par hasard
elle n’était pas morte, alors on pourrait dire sans hésitation possible qu’elle est
toujours vivante !
(26c) A parè meiu, l’umucciu di legnu hè bellu chè mortu : ma sì per disgrazia ùn
fusse mortu, allora sarebbe l’indiziu sicuru ch’ellu hè sempre vivu ! (P)
La réponse à cette question aura des conséquences sur la nature de la forme conjuguée
elle-même : si gone est un participe passé en –EN, is est un auxiliaire et is gone est bien
une forme composée formant un parfait, mais si gone est un adjectif, is est une copule et
il n’y a pas de forme composée mais un adjectif précédé d’une copule porteuse de temps
présent (« temps » non seulement au sens de « tense » mais aussi de « time »).
Le statut adjectival serait incontestable si le terme était antéposé et sans be ni have :
a fallen tree (un arbre en position couchée), a fallen woman (une femme coupable
d’adultère, déchue). Alors on pourrait parler sans réserve d’adjectifs (épithètes) avec état
préconstruit. Mais précédé de have et même de be la question se pose car la postposition
ne donne aucune indication.
11. Étant entendu que, vu sur un continuum, le participe passé « représente une étape entre le verbe muni
de toutes ses propriétés et l’adjectif » (RIVIERE, 1990, p. 131).
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LES AUXILIAIRES ÊTRE ET AVOIR…
La coordination, quand elle est présente comme c’est le cas en (26e) ci-dessus, pourrait
être indicatrice puisqu’elle est censée ne se réaliser qu’entre des termes partageant une
même catégorie syntaxique. Or cette coordination est manifestement possible et se fait
avec un adjectif puisque gone peut se coordonner avec dead. Faudra-t-il en conclure que de
ce fait gone est un adjectif parce que précédé de be et non de have, que have marqueur de
différenciation va de pair avec un procès (antérieur au moment-repère) et un état (correspondant au moment-repère) résultant du procès, tandis que de son côté be, marqueur
d’identification, n’indiquerait même pas qu’un état résultant affecte le sujet, il n’y aurait
plus ni processus (même stabilisé) ni état résultant mais au moment-repère un simple état
(moment d’énonciation pour ce qui est du parfait c’est-à-dire quand la forme conjuguée
est au présent) ? La variation has gone / is gone serait-elle non pertinente dans la mesure
où elle n’aurait pas lieu dans un même cadre, celui du parfait ?
Le contexte des extraits suivants, où il est question d’une diseuse de bonne aventure,
milite plutôt pour une interprétation de gone inverse, en termes de participe passé :
(27e) – She has wonderful jewels, and… OOH !… A terrible disaster… – Go on,
go on ! – The jewels are gone… vanished ! Stolen ! You cross my palm with silver
and I tell you many more things.
(27f) – Elle avoir bijoux magnifiques !… Et… OOOH !… grand malheur ! – Quoi
encore ? – Bijoux partis !… Disparus ! Envolés !… Toi mettre un peu d’argent dans
ta main, et moi te dire encore beaucoup de choses ! (BC)
On voit que la glose intralingue de gone se fait dans le contexte droit par la juxtaposition de vanished et stolen, qui sont des participes passés (The jewels are gone… vanished !
Stolen !), ce qui tend à faire de gone un terme de même nature c’est-à-dire également un
participe passé, et donc de The jewels are gone un parfait. En fait l’argument basé sur
la coordination et utilisé à propos de l’exemple (26) est fragile, car le raisonnement sur
lequel il se base est erroné, à savoir : si gone est un participe passé, alors la coordination
avec un adjectif devrait lui être interdite et rendre la séquence agrammaticale, en vertu
de l’impossibilité de coordonner deux termes de catégories syntaxiques différentes, donc
gone est un adjectif. Ce raisonnement est erroné, pour l’exemple (26) qui est une collocation lexicalisée et dont l’ordre est figé, aussi bien que pour (28) qui n’en est pas une
(dans les trois langues) et dont l’ordre n’est pas figé :
(28e) Do just as I say, and you’ll come back to Rome with me, be rich and
respected…
(28f) Obéis-moi, et tu viendras avec moi à Rome où tu seras riche et respecté.
(28c) Stà mi à sente è vinarai incù mè in Roma induve tù sarai riccu è rispittatu.
(AC)
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PRÉSENTATION DES DONNÉES
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On peut en réalité coordonner des termes de nature différente, comme le note également
D. Banks (1987, p. 137), si bien que dire dead and gone (ou riche et respecté / riccu è
rispittatu / rich and respected) ne prouve pas plus que gone (et respecté / rispittatu / respected)
sont des adjectifs qu’il ne prouve que dead / riche / riccu / respected sont des participes passés.
La coordination de l’exemple (26) is dead and gone militerait même plutôt pour la
conclusion inverse, à savoir que gone y est un participe passé : l’ordre, dans cette collocation lexicalisée, est figé (??gone and dead), et il n’y a pas de synonymie totale entre
les deux termes en dépit du fait que les dictionnaires définissent gone comme dead or
near to death et que les versions corse (mot à mot il est beau que mort) et française (bien,
précédé de bel / beau qu’on retrouve dans le corse il est beau que mort et qui nous semble
avoir une valeur intensive, cf. un beau morceau de viande) donnent non pas deux termes
coordonnés mais une seule propriété, présentée comme une confirmation par rapport à
un préconstruit formulable sous la forme d’une question préalable : est-il mort ou vivant ?
Il est mort, je te le confirme.
En fait si dead est un adjectif rendant un certain état physique, gone ne parle pas du
corps mais plus exactement indique une absence due à un départ, une transition vers un
ailleurs, transition exprimée non par un adjectif mais par un participe passé, qui garde
la mémoire d’un changement d’état, renvoie à la construction d’un domaine notionnel 12
dans lequel l’Intérieur I (gone) est en relation avec son complémentaire E « autre que
gone ».
Dans cette optique on comprend pourquoi l’ordre est dead and gone plutôt que ??gone
and dead dans la mesure où la déchéance physique (dead) doit être un préalable à ce
départ (gone). En français et en corse la confirmation d’une propriété (mortu / morte) par
rapport à un préconstruit (exprimée par le corse par bellu chè et par le français par bel et
bien) est donc rendue en anglais par deux propriétés dont la principale et première (dead)
est présupposée par la seconde (gone).
Gone précédé de be est donc un participe passé et pas un adjectif, et de même pour
come. Qui d’ailleurs, dans un he is come comme celui de l’extrait suivant, accepterait de
voir en come un adjectif ? :
(29e) Winter is come ! Winter is come !
(29f) Voilà l’hiver ! Voilà l’hiver ! (CDL)
12. À partir de la notion, « système complexe de représentation structurant des propriétés physico-culturelles d’ordre cognitif » (CULIOLI, 1982, p. 8), on construit un domaine notionnel. Ce domaine se
compose de plusieurs zones : un extérieur E (qui incarne l’altérité), et son complémentaire linguistique
l’intérieur I (valeur positive) qui comprend lui-même un centre organisateur et un centre attracteur.
I et E sont séparés par une frontière F. L’intérieur I comporte un constituant, parfois trois : un centre
organisateur, qui est une occurrence possédant toutes les caractéristiques de la notion en question.
C’est une valeur typique, définitoire. Deuxième constituant, le centre attracteur, qui est une occurrence
possédant les propriétés définitoires de la notion à un degré élevé. Enfin, un gradient, constituant
facultatif (mais indispensable au gradable) qui n’indique pas la présence de bornes et permet une
orientation dans les deux sens.
LES AUXILIAIRES ÊTRE ET AVOIR…
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On pourrait de plus intégrer come dans une construction impersonnelle comme en
(30), sur la base de l’exemple impersonnel authentique (31) comprenant le même verbe,
dans la mesure où come est un verbe dit inaccusatif, donc un verbe (cf. partie 1.3.1) :
(30e) ?There came winter / ??There is come winter.
(31e) Then, about mid-day, there came up a great storm.
(31f) Puis, vers midi, il vint un gros orage. (LDM)
[« Les auxiliaires Être et Avoir », Pierre-Don Giancarli]
[ISBN 978-2-7535-1370-9 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]
(30e) est certes moins bon que (31e), non pas parce que come n’est pas un verbe ([30]
serait sinon agrammatical) mais en raison surtout du degré de détermination trop élevé du
GN à droite. (30e’) ci-dessous est donc moins mauvais que (30e) :
(30e’) There came a cold winter / ?There is come a cold winter.
Même si ce test a ses limites (la construction impersonnelle en anglais n’est pas si
fréquente et elle se trouve plus rarement à une forme composée qu’à une forme simple
dans une narration), seule une forme verbale accepte une construction impersonnelle, un
adjectif ne l’accepterait pas, c’est là le seul point pour lequel la manipulation impersonnelle nous intéressait :
(32e) *There happy a cold winter / *There is happy a cold winter.
Cet élément nous conduit à dire que come est une forme verbale, et donc que précédé
de be, come est plus précisément un participe passé et pas un adjectif.
Essayons de voir quelles sont les caractéristiques d’un adjectif que ne partage pas un
participe passé, et qui sont donc exclusivement celles du premier :
Une quantification de la propriété au moyen par exemple de l’intensifieur very, si
elle avait été possible, aurait indéniablement fait penser à un adjectif. En effet un adjectif gradable X peut se prêter à l’expression du degré absolu sous la forme very X (very
nice / *much nice) 13, alors qu’un participe passé gradable Y l’accepte sous la forme much
Y (he was much criticized / *he was very criticized) 14.
Very est impossible avec gone comme avec les autres verbes ouverts à essivité en
anglais (*it is very gone), mais cela ne prouve pas que gone et come ne sont pas des
adjectifs car un adjectif quand il n’est pas gradable n’est pas non plus intensifiable ni
quantifiable, et pourtant il demeure un adjectif (*very pregnant, sauf volonté humoristique). Par conséquent encore faut-il pour que ce test soit pertinent ici que la forme à tester
soit gradable, ce qui n’est pas le cas de gone ni de come.
13. Sauf exceptions, dont les adjectifs épithètes munis du préfixe a- tels afraid, alike, alive…, et quelques
autres comme desirous, subject…
14. Les adjectifs issus de participes (ou participes-adjectifs) pour leur part acceptent les deux avec une
différence de niveau de langue : very / much surprised, very / much concerned, etc.
PRÉSENTATION DES DONNÉES
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Un adjectif attribut peut être précédé de toute une variété de verbes / copules en plus
de be, tels become, look ou seem :
(33e) Since our conversation has become somewhat lengthy I told the boy to go
ahead with the monthly procedure of cleaning the carburetor.
(33f) Comme notre conversation se prolonge, j’ai dit à ce garçon d’effectuer son
nettoyage mensuel de carburateur. (K)
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(34e) Presently he shook his head, looking as pale as death, and held up one of
his fingers, as if to say
(34f) Tout à coup il secoua la tête, devint pâle comme la mort, et leva un de ses
doigts comme pour me dire (DM)
(35e) If the Marionette had been told to wait a day instead of twenty minutes, the
time could not have seemed longer to him.
(35f) La marionnette, revenue en ville, compta les minutes une à une. (P)
Gone par contre accepte surtout be, peut-être remain, look et seem, mais pas
become : ?he remains gone / ?he looks gone / ?he seems gone / *he becomes gone.
Une forme verbale composée (parfait, etc.) se conjugue par have ou peut-être be, mais
certainement pas par become / seem / look. Si become / seem / look sont compatibles avec
X alors X n’est pas participe passé d’une forme composée mais adjectif (cas de lengthy,
pale et long ci-dessus) 15, si become / seem / look sont incompatibles avec X alors X n’est
pas un adjectif. Ces manipulations tendent donc plutôt à laisser penser que gone n’est pas
un adjectif mais autre chose.
Elles donneraient des résultats similaires en français avec le parfait aspectuel (il
est maintenant parti depuis trois semaines / *il devient maintenant parti depuis trois
semaines / ?il paraît maintenant parti depuis trois semaines / ?il semble maintenant parti
depuis trois semaines) et des résultats plus nets avec le parfait temporel : il est parti
hier / *il devient parti hier / *il paraît parti hier / *il semble parti hier (sur la distinction
entre ces deux valeurs, cf. partie 3.2).
Un autre test est réalisable, adapté de R. Huddleston (1971) selon lequel en anglais
un adjectif, mais pas le participe passé d’un passif, peut être remplacé par so (cependant
Huddleston ne fait pas précéder so d’un be conservé du be X qui précède mais de remain) :
my bags are packed and will remain so est grammatical et fait donc de packed un adjectif
15. Ce test est réalisable en français et en acadien avec sembler / paraître / avoir l’air si nécessaire, et en
corse avec parè / sembrà. Ainsi dans l’extrait acadien suivant, il est évident qu’en parlant des côtes
d’un vieux cheval titubant, sorties est un adjectif, synonyme de proéminentes, et la manipulation en
les côtes avaient l’air sorties est acceptable : On i donnera le pus vieux cheval / qu’on pourra trouver
dans la grange / pour pas qu’i peuve se rende / tu sais / pis i avont dit / on le laissera à motché chemin / ça
fait que le lendemain matin / i était paré / pis i ammenont c’te vieux cheval-là qui tricollait partout / les
côtes étaient sorties / tu i ouayais le dîner (INF 2).
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(pour éviter l’introduction de remain on aurait pu dire my bags are packed and hers will
be so too), *my bags have been packed and hers have been so too est agrammatical et fait
donc de packed le participe passé d’un passif.
Nous dirons comme Huddleston qu’un adjectif peut être remplacé par so, et ajouterons que le participe passé d’une forme verbale composée, à la différence d’un adjectif
mais comme le participe passé d’un passif, ne peut pas être remplacé par remain so 16 en
anglais. Ni par rester ainsi en français et firmà cusì en corse si nécessaire. Pourquoi ? Sans
doute parce que l’adjectif et sa copule forment un groupe moins soudé qu’un auxiliaire et
son participe passé, ce sont deux constituants distincts, pas un constituant tel que l’est un
verbe même quand il est conjugué par un auxiliaire. Si l’on prend gone et come précédés
de be, par exemple gone de (27) et come de (29), une reprise elliptique de be (de ÊTRE
en général, puisque cette manipulation serait réalisable aussi en français et en corse, où
l’existence de temps composés essifs ne fait pas de doute) par remain (ou par rester et
firmà en français et en corse) et du terme qui le suit c’est-à-dire gone / come par l’adverbe
so (ou par ainsi et cusì) est-elle possible ? La manipulation montre que non :
(27e) – The jewels are gone… vanished ! Stolen ! (BC)
(27e’) *The jewels are gone… vanished ! Stolen ! And they will remain so.
(27e’’) The jewels are splendid / hidden and they will remain so.
(29e) Winter is come ! Winter is come ! (CDL)
(29e’) *Winter is come and it will remain so.
(29e’’) Winter is useful and it will remain so.
La grammaticalité des versions en double prime prouve que splendid et useful sont des
adjectifs (ou un participe adjectivisé dans le cas de hidden), l’agrammaticalité des versions
en prime prouve que gone et come ne sont pas des adjectifs. Ce sont des participes passés.
Même si avec be une évolution d’un aspect de constat vers un statut de processus stabilisé adjectival est sans doute engagée de façon générale en anglais, nous considérerons
qu’avec have et be les verbes come et go, et sans doute fall et rise, quatre verbes qui ne
peuvent être qu’intransitifs, expriment un état résultant au travers d’un participe passé, au
sein d’une forme verbale composée (parfait, etc.), avec une spécificité portée par l’auxiliaire.
Nous confirmons donc notre choix de voir en be + gone et be + come des parfaits essifs 17.
16. Ni par be so. On peut cependant garder remain comme dans le test original de Huddleston dans la
mesure où il donne une meilleure acceptabilité aux manipulations, et dans le doute le neutraliser c’està-dire accepter qu’il soit éventuellement compatible avec gone et que ce dernier puisse donc aussi avoir
un statut d’adjectif, de façon à ce qu’on ne s’autorise pas à tirer de conclusion de la grammaticalité du
seul remain : cela ne change rien au fait que gone reste incompatible avec become / seem / look, et cela
ne change rien à l’efficacité du test de Huddleston qui reste discriminant au travers de so.
17. Les proportions de be et de have avec gone relevées par Ryden & Brorström sont respectivement
517 be et 133 have au XVIIIe siècle, 481 be et 605 have au XIXe siècle (1987, p. 104 et 109). McFadden
& Alexiadou voient en come exclusivement un essif jusque vers 1350, puis have s’étend vers 1650
PRÉSENTATION DES DONNÉES
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Nous y ajoutons rise et fall dans un emploi religieux, bien que nous n’en ayons pas
trouvé dans nos corpus sans doute justement parce que ces derniers ne sont pas religieux,
et suivrons en cela la classification de Ryden & Brorström 1987 pour des séquences
comme he is risen, they are fallen. Ces quatre verbes, d’ailleurs organisés en deux microsystèmes binaires, forment pour nous les quatre verbes encore essifs en anglais contemporain 18. À noter qu’en 1850 encore, G. Brown dans sa grammaire 19 conseille l’emploi
de have de façon normative avec tous les verbes, à l’exception de quatre verbes, qui sont
justement come, go, rise et fall, pour lesquels il dit non pas que be est possible mais que
be doit être préféré (cf. aussi Ryden & Brorström, 1987, p. 210).
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Participe dans une forme verbale composée ou participe dans un passif ?
En anglais nous écartons donc également pour be + gone / be + come / be + risen et be
+ fallen toute interprétation de be auxiliaire et de son participe passé en termes de passif.
Pour la raison évidente que ce sont des verbes essifs qui ne sont qu’intransitifs.
Le test de R. Huddleston est ici directement applicable, et peut être utile avec des
verbes acceptant la bivalence. Il montre que packed, dans my bags are packed, est comme
nous le pensons également un adjectif car packed est remplaçable par so (et be par remain) :
my bags are packed and will remain so. Par contre *my bags have been packed and hers
have been so too est agrammatical car packed n’y est pas un adjectif mais un participe
passé au sein d’un passif, or remain n’est pas auxiliaire du passif.
En français certains linguistes voient une alternance entre être et avoir sans s’apercevoir qu’ils mettent en parallèle avoir + participe passé et être + participe passé mais
que ce dernier relève d’un passif, avec des versions en être et en avoir sémantiquement
très éloignées. Selon Chevalier et al. avec des intransitifs comme déborder, etc., on a
avoir quand on veut « souligner l’antériorité d’un fait par rapport au moment où l’on
parle » (dans le cadre d’un passé composé) et être pour « souligner un résultat actuel,
conséquence d’un fait antérieur » (1991, p. 329). Pourtant si on compare a débordé et est
débordé, par exemple dans le lac a débordé / le secrétaire est débordée, quelle interprétation donner à est débordé si ce n’est un passif ?
(2006, p. 1-3). Les proportions avec come sont une majorité de be avant 1700, 434 be et 95 have au
XVIIIe siècle, 214 be et 792 have au XIXe siècle (RYDEN & BRORSTRÖM, 1987, p. 61, p. 66). Au
XIXe siècle ces deux verbes étaient déjà les plus fréquents parmi tous les verbes essifs (SMITH, 2006,
p. 261). Leurs équivalents ir et venir furent aussi en vieil-espagnol les deux derniers verbes essifs avant
qu’aujourd’hui demeure seul AVOIR (ARANOVICH, 2003).
18. Nous avons testé auprès de cinq anglophones les autres verbes considérés comme essifs par RYDEN &
BRORSTRÖM 1987 mais absents de nos corpus en tant qu’essifs, tels arrive et return et les inchoatifs
become, turn, change, dans des exemples authentiques tirés de cet ouvrage : he is returned home est
refusé par tous, I must send you a few words to say that the little book is arrived with your precious
letter également, Janet may be pleased to hear that I am become a poet également, He is changed est
refusé par 3, acceptable pour 1 mais pas dans son propre idiolecte, accepté et utilisé par 1, He is turned
fifty est refusé par 4 et accepté et utilisé par 1.
19. La 6e edition de 1882 a été numérisée et est accessible sur [http://www.gutenberg.org/etext/11615].
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Rares sont les exemples où, avec des verbes pouvant fonctionner selon le mode intransitif ou transitif, la question peut se poser du choix entre une interprétation de ÊTRE
auxiliaire + participe passé comme forme verbale composée active intransitive, et de
ÊTRE auxiliaire + participe passé comme construction transitive au passif quand elle est
sans agent. Mais nous en avons trouvé quelques exemples authentiques. Ainsi ci-dessous
les parties en gras de (36) en français et en corse penchent plutôt du côté passif, mais celles
en français et en corse de (37) se laissent plutôt interpréter comme intransitifs, tandis que
(38) en français permet difficilement de trancher en faveur de l’un ou de l’autre :
(36f) Le chien de garde a beau les appeler du fond de sa niche ; le seau du puits,
tout plein d’eau fraîche, a beau leur faire signe : ils ne veulent rien voir, rien
entendre, avant que le bétail soit rentré, le gros loquet poussé sur la petite porte à
claire-voie, et les bergers attablés dans la salle basse. Alors seulement ils consentent à gagner le chenil.
(36c) U ghjàcaru guardianu ha asgiu à chjamalli da u fondu di a so nichja, u
stagnone di u pozzu, rúghjulu d’aqua fresca, ha asgiu à falli mottu : un vólenu
vede nulla, sente nulla, prima chi u bistiame sia turnatu, a cricca grossa puntata
annantu à purtarella à grata, i pastori calati à taula in la sala bassa. Un è ca
tandu ch’elli accunsèntenu ad andà in la nichja.
(36e) In vain does the watch-dog call to them from his kennel ; the well-bucket full
of fresh water entices them in vain ; they see nothing, hear nothing till the flocks
are housed, the big bolt run on the wicket gate, and the shepherds at table in the
lower room. Then and not till then, they consent to go to kennel. (LDM)
(37f) Un matin où la chute de neige abondante avait rendu tout le paysage
uniforme, il a pensé que les mouflons devaient être descendus près du village.
Il est parti.
(37c) Una mane, inc’un nivaghjone ch’avia allisciatu tutta a campagna, ha
pensatu chì e muvre duvianu esse scalate vicinu à u paese. Hè pertutu. (CEC)
(38f) Quelquefois l’hiver, quand les troupeaux étaient descendus dans la plaine
et que je rentrais le soir à la ferme pour souper, elle traversait la salle vivement,
sans guère parler aux serviteurs, toujours parée et un peu fière...
(38c) Qualchi volta, d’imbernu, quandi e bande èranu impiaghjate e ch’e’vultava
da sera à tinuta par cinà, ella travirsava a sala à la lestra, parlendu pocu à i serbi,
sempre parata e un pocu fiera...
(38e) Sometimes, in winter, when the flocks had come down upon the plains
and I returned to the farmhouse at night for my supper, she would cross the hall
quickly, scarcely speaking to the servants, always gayly dressed and perhaps a
little haughty. (LDM)
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En (36) avec le verbe rentrer on hésite, tout comme pour le corse turnà qui peut être
intransitif essif ou transitif (cf. le verbe turnà en 3.5.3) : si c’est un passif, l’auxiliaire esse
du corse peut supporter une substitution par un passif en vene (comme le passif en be
supporterait une substitution par un passif en get). C’est en corse et en français être / esse
au présent qui renvoie à du présent puisque tel est le temps de l’auxiliaire, et ceci nous
semble convenir à la référence générique de ce passage. Si c’est un parfait, en français il
peut renvoyer à du passé s’il est temporel, ce qui conviendrait mal à la portée générique
du passage, mais il peut aussi renvoyer à de l’accompli de présent s’il est aspectuel en
français, et c’est ce qu’il est très probablement en corse aussi.
Une interprétation passive serait soutenue par le choix de la version anglaise (they
see nothing, hear nothing till the flocks are housed), par la possibilité d’un complément
d’agent ( avant que le bétail soit rentré par les bergers / … prima chi u bistiame sia turnatu
da i pastori), par une possible permutation de l’orientation entre terme de départ et terme
d’arrivée (le bétail est rentré par les bergers / les bergers rentrent le bétail, u bistiame
hè turnatu da i pastori / i pastori turnanu u bistiame), et par le second conjoint dans le
contexte droit immédiat dans lequel l’inanimé loquet / cricca est sujet d’un passif (avant
que le bétail soit rentré par les bergers, que le gros loquet soit poussé sur la petite porte
à claire-voie par le propriétaire / … prima chi u bistiame sia turnatu da i pastori, chì a
cricca grossa sia puntata annantu à purtarella à grata da u casalaghju) ; mais pas par le
troisième conjoint, un peu plus loin, qui n’est pas un passif (et les bergers attablés dans la
salle basse / i pastori calati à taula in la sala bassa), et qui montre donc la capacité qu’a
être / esse à être mis en facteur commun pour un participe passé et à un adjectif et à jouer
sur sa double nature de copule et d’auxiliaire.
En (37) grammaticalement à la fois le français et le corse peuvent prêter à confusion
car descendre et scalà peuvent être transitifs donc intégrables dans un passif en ÊTRE,
ou être des intransitifs essifs.
Si on essaie de pronominaliser le participe passé avec ses circonstants on peut le faire
sous la forme suivante (nous excluons la modalité pour simplifier) : les mouflons étaient
descendus près du village mais les chèvres ne l’étaient pas. Ceci est acceptable, mais seulement si descendre est pris dans son fonctionnement transitif, qui ne nous semble pas le bon
ici. En tant qu’intransitif descendre ne l’admet pas, pas plus que venir, qui est seulement
intransitif : *les mouflons étaient venus près du village mais les chèvres ne l’étaient pas.
Or parce que nous savons grâce à notre connaissance du monde que les mouflons
corses ne peuvent pas être élevés en troupeaux mais sont des animaux sauvages, le GN
les mouflons / e muvre ne peut pas être pris comme sujet affecté dans une relation passive.
C’est donc le sujet d’un verbe intransitif. Il en aurait été différemment s’il avait été
question non de mouflons / muvre mais de chèvres (sgiocche en corse pour des chèvres
domestiquées, et non pas capre, réservé aux chèvres sauvages).
Le doute est plus grand en (38f) Quelquefois l’hiver, quand les troupeaux étaient
descendus dans la plaine, même en contexte, car il pourrait être compris comme un passif
synonyme de quand les troupeaux étaient ramenés dans la plaine avec agent extérieur par
les bergers et au temps imparfait, comme est à l’imparfait la phrase qui suit (je rentrais le
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LES AUXILIAIRES ÊTRE ET AVOIR…
soir à la ferme). La pronominalisation du participe passé et de son circonstant donnerait
un imparfait et un agent extérieur : les troupeaux étaient descendus dans la plaine et ils
l’étaient par le responsable. (38f) pourrait aussi être compris comme le plus-que-parfait
de descendre puisque ce verbe est essif. La pronominalisation du participe passé et de son
circonstant donnerait un plus-que-parfait et pas d’argument supplémentaire : les troupeaux
étaient descendus dans la plaine et ils l’avaient fait par eux-mêmes.
La version anglaise milite pour le second choix (when the flocks had come down upon
the plains), et la version corse pour le premier : en effet le verbe impiaghjà, construit sur
piaghja (plaine) et qui signifie directement descendre dans la plaine, peut être transitif
ou intransitif. Pris comme intransitif on aurait eu quandi e bande avianu impiaghjatu,
mais ici èranu impiaghjate signale le choix de la version transitive au sein d’un passif.
Le participe passé d’un passif peut en français être clivé avec ses compléments (c’est
descendus dans la plaine [par le responsable] que les troupeaux étaient), celui du parfait
ou plus-que-parfait n’est pas clivable quel que soit l’auxiliaire (*c’est descendus dans la
plaine que les troupeaux étaient) car au parfait le participe passé ne forme pas un constituant avec ses compléments, alors qu’il en forme un au passif (cf. Abeille & Godard,
2002, p. 412). Parce que le clivage est ici difficile (celui d’un plus-que-parfait nous semble
agrammatical *c’est descendus dans la plaine que les troupeaux étaient, et celui d’un
passif nous semble inadéquat c’est descendus dans la plaine [par le responsable] que les
troupeaux étaient) nous penchons pour le plus-que-parfait d’un verbe intransitif.
Voilà quelques moyens qui peuvent être mobilisés si nécessaire pour distinguer participe dans une forme verbale composée et participe dans un passif, et pour s’assurer qu’on
a bien affaire à la première.
Résumé
Le travail sur corpus sur les occurrences des auxiliaires ÊTRE et AVOIR doit au
préalable définir le domaine à prendre à compte, qui nécessite des précautions variables
selon les langues.
Une forme dont on est quasiment sûr qu’elle est auxiliée mais qui ne présente
pas d’auxiliaire dans une langue dont on sait qu’elle pourrait admettre l’un ou l’autre
(acadien), quelle que soit la cause supposée de cette absence, gagne selon nous à ne pas
faire l’objet de développements mal assurés à la base et donc à ne pas être prise en compte,
même si cela prive d’éléments de commentaire et a des conséquences sur les statistiques.
La nature de la forme qui suit ÊTRE doit être assurée entre un participe passé et un
attribut adjectival, car ÊTRE est un auxiliaire participant à l’expression d’un état résultant
dans le premier cas, le seul qui nous intéresse ici, et est une copule relayant un état sans
processus dans le second.
Quand ÊTRE est bien un auxiliaire suivi d’un participe, il importe de faire aussi la part
entre une forme verbale composée active intransitive et un passif, quand les verbes sous
examen possèdent en plus de leur version intransitive une possible construction transitive.
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