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75 ans après la mort de Ben badis
Voyage dans un islam ancré dans la modernité
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L’islam, net des impuretés accumulées à travers des siècles, est, chez Ben Badis, une religion
ouverte à la culture, à la musique, aux débats contradictoires, soit à tout, sauf aux fondamentaux
du salafisme.
C’est surtout par référence à lui que Constantine tire sa réputation de ville du savoir et des savants et c’est ainsi
que l’anniversaire de sa mort est retenu comme Journée nationale du savoir, Youm el-Ilm. C’est cette date qui a
été retenue, jeudi dernier, pour l’inauguration officielle d’une manifestation jamais vécue par la capitale de l’Est
algérien, soit l’événement “Constantine, capitale de la culture arabe 2015”. Lui, c’est cheikh Abdelhamid Ben
Badis, le leader du mouvement réformateur algérien, fondateur de l’Association des ulémas et son président de
1931 à 1940.
Le ckeikh a marqué par ses activités et sa pensée l’histoire de l’Algérie contemporaine. Lire d’une façon linéaire
ce chapitre d’une œuvre millénaire, c’est faire une insulte aussi bien à l’homme, à son œuvre qu’aux sacrifices
des hommes du mouvement national. Toute la prudence est demandée surtout que l’étape Ben Badis, à l’instar
de pans entiers de notre histoire, a été revisitée dans les années 1960-1970 par des missionnaires de l’islam
politique venus prêcher, chez nous, la pire des orthodoxies religieuses à la place de l’enseignement des
lumières.
Aujourd’hui, 75 ans après sa mort, ses actions et ses positions sont toujours les témoins d’un lettré qui fut
subjugué, certes, par le courant réformateur en vogue à l’époque mais résolument porté sur la modernité dans
un combat contre l’injustice coloniale, l’instrumentalisation de la religion par cette dernière et l’obscurantisme.
En effet, à l’inverse des idées avancées au lendemain de l’Indépendance, aussi bien par les coopérants du
Moyen-Orient que par certains ex-compagnons du cheikh, Ben Badis n’a jamais été en rupture totale avec le
soufisme et les confréries, cette expression de l’islam du terroir. Enfant, lors de sa première scolarité, Ben Badis
a suivi son enseignement dans une zaouïa chez son protecteur Hamdan Lounissi, adepte de la toute-puissante
confrérie de la Tidjania. Un maître qu’il retrouvera, quelques années plus tard, à Tunis dans l’université de la
Zitouna. La pensée badissienne ne peut être dissociée de cet islam du Maghreb. Ben Badis a été un lettré
musulman en symbiose avec son époque. Dès la fin du XIXe siècle, le mouvement wahhabite est à “la mode” et
la présence du wahhabisme en Algérie remonte à 1905, alors que le cheik n’avait que 16 ans. Dire que Ben
Badis est le promoteur de l’école des réformateurs est une hérésie pour reprendre un terme cher à ces derniers.
En cette année, Mohamed Abdou, chef de file de cet “islam-réformateur”, est en visite à Alger et à Constantine
où il rencontrera des ulémas des deux villes ainsi que ceux de Tlemcen, entre autres. Plus tard, Ben Badis sera,
lui aussi, au contact de ce mouvement à travers aussi bien de son autre maître Tahar Ben Achour à la Zitouna,
que de Mohamed Abdou qu’il rencontrera à Médine lors de son pèlerinage.
Ainsi, la pensée badissienne s’est imprégnée du wahhabisme comme école appelant à assainir l’islam des idées
obscurantistes, le tout dans sa quête de moderniser une société croupissant sous le poids de son archaïsme
“endogène” et de l’injustice coloniale. Mais, autant il a lutté contre l’instrumentalisation de la religion à des fins
coloniales, autant il a été partisan des bienfaits de la modernité. Autant il a lutté contre le charlatan de la zaouïa
du coin, autant il a été subjugué par Ibn al-Arabi et Djalel Eddin Erroumi.
Le savoir, pour Ben Badis, n’était pas circonscrit aux matières religieuses. Boko Haram, pour rester dans
l’actualité, ne s’est jamais conjugué à la pensée badissienne. Dans ses écoles, la littérature, l’histoire, la
géographie et les langues arabe et française étaient présentes. Mieux, l’éducation des filles a été l’un de ses
plus importants et difficiles chantiers. Le cheikh a donné sa caution à la naissance des Scouts musulmans
algériens, considérés à l’époque comme une école de formation de l’Algérien de demain, avec comme outils les
jeux, les chants, la musique, le sport…
Abdelhamid Ben Badis a été le parrain de plusieurs troupes musicales, théâtrales et clubs sportifs. Il créa même
un espace culturel à Alger, confiant la direction à son ami Tayeb El-Okbi, c’est le célèbre Centre culturel du
progrès. L’islam, net des impuretés accumulées à travers des siècles est, chez Ben Badis, une religion ouverte à
la culture, à la musique, aux débats contradictoires, soit à tout, sauf aux fondamentaux du salafisme.
Faire la différence entre la pensée badissienne et la trajectoire des ulémas
En 1931, Ben Badis créa l’Association des ulémas musulmans algériens au siège du Cercle des progrès et non
dans une mosquée et qu’il dirigera jusqu’à sa mort, le 16 avril 1940.
Là aussi, une littérature négationniste de l’islam algérien a toujours omis de souligner qu’une grande partie des
chefs de confrérie et de zaouïa étaient présents à l’assemblée générale constitutive de cette association.
Ce n’est qu’après, dans ce qui s’apparente à une lutte de leadership, que les chefs des zaouïas, absents des
organes de direction de l’association, se retirèrent pour créer leur propre organisation.
Ce n’est qu’après la mort du cheikh que le discours des ulémas musulmans algériens fut radicalement intolérant
envers les confréries.
Une sorte d’OPA sur l’œuvre de Ben Badis menée par certains de ses compagnons, eux imprégnés du
wahhabisme ? Peut-être.
D’ailleurs, ce n’est pas le seul fait saillant.
Exception faite de quelques-uns de ses compagnons, dont Larbi Tébessi, l’engagement des autres ulémas dans
la Révolution fut des plus tardifs. La présence en 1936 de l’Association des ulémas musulmans algériens au
Congrès musulman algérien, boycotté par le mouvement national indépendantiste, renseigne sur un fait
important : les idées indépendantistes de Ben Badis n’étaient pas partagées par la majorité des ses pairs et la
pensée badissienne ne fait pas une avec celle des ulémas comme entité. Séparer l’œuvre de l’homme de la
trajectoire de l’association qu’il a présidée s’impose pour une lecture critique de cette partie de l’histoire de
l’Algérie.
Aujourd’hui, avec la célébration du 75e anniversaire de la mort du cheikh, c’est l’occasion de rappeler qu’entre
la pensée de Ben Badis et les tenants d’un wahhabisme salafiste, il y a une ligne à ne pas franchir et tant de
vérités à ne pas occulter pour que la pensée d’un lettré algérien ne soit pas diluée dans l’hystérie d’un islam
politique auquel il ne s’est jamais identifié.
M. K.
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