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Document issu du site www.enseignement-et-religions.org - 2005
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CIRCULAIRE MICHEL 1933
«Il m’a été signalé de divers côtés que la population indigène est inquiétée et troublée par une certaine
propagande que feraient dans ce milieu, soit des pèlerins s’inspirant du mouvement wahabite1 de La
Mecque, soit des pèlerins algériens qui auraient été gagnés aux idées panislamiques, soit enfin des
groupements tels que l’Association des savants musulmans2, fondée en vue de l’ouverture d’écoles
privées arabes où seraient enseignés le Coran et la langue arabe – et qui est en relation suivie avec le
Destour3 tunisien (…).
Cette situation appelle notre plus active vigilance. Il n’est pas possible de tolérer une propagande qui,
sous le masque de la culture islamique ou de réformes religieuses, dissimule une orientation pernicieuse
(…).
Je vous prie donc d’observer avec la plus grande attention les réunions, les conférences organisées par
l’Association des savants musulmans présidée par M. Ben Badis et dont le porte parole attitré est le
cheikh Taïeb El Okbi (…).
Parallèlement une agitation d’origine communiste4 se manifeste dans quelques douars : des individus,
notamment les nommés Radiguet Paul, Rafa Naceur, Ben Ali, parcourent les marchés et circulent dans
les douars(…) Ces deux mouvements, wahabite et communiste(…) nécessitent tout de même de notre
part une surveillance particulièrement active et avisée.5 »
1 Le mouvement wahabite, le wahabisme (s’écrit actuellement le plus souvent wahhabisme) est né en Arabie avec Abd al-
Wahhab fin XVIIIe siècle. Il s’agit d’une lecture fondamentaliste de l’islam, d’une volonté de retour à la pureté des origines –
lutte contre toutes les innovations ou les restes de superstitions païennes – le culte des saints en Afrique du nord est dénoncé.
Notons que de nos jours avec le jihadisme et le terrorisme de Ben Laden, c’est toujours ce même wahhabisme qui est dénoncé.
2 L’Association des oulémas d’Algérie se créé le 22 mai 1931, elle est officiellement déclarée en préfecture à Alger avec pour
but de combattre les fléaux sociaux comme l’alcoolisme, les actes interdits par l’islam. Son siège social est à Alger, cercle du
Progrès, 9 place du Gouvernement. Depuis des années, le cheikh Ben Badis souhaitait réformer l’islam en Algérie et
développer l’enseignement de l’arabe. C’est la célébration triomphale du centenaire de la présence française – 1830- 1930-, qui
précipita la création de cette association de lettrés musulmans réformistes décidés à mettre sur pied en fait un « parti religieux »
capable d’affronter toutes les questions liées à l’islam ainsi que l’administration française. L’Association des oulémas fonde le
même jour une société d’entraide, « Ezzaka » afin de favoriser l’instruction et l’éducation intellectuelle, économique et sociale
des musulmans d’Algérie. Il est logique que l’administrateur Michel y voit un risque de revendication contre la France.
Nationalisme et islam y apparaissent mêlés.
3 Le Destour qui signifie « constitution » est le nom pris en 1919 par un mouvement nationaliste tunisien d’abord modéré puis
franchement indépendantiste avec H. Bouguiba qui crée par scission le Néo-Destour en 34. A cette même date, le nationalisme
algérien est divisé, si Ferhat Abbas déclare « je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe pas »,
Ben Badis, lui prêche un mouvement d’allure religieux mais à finalité politique. Le rapport Michel craint la généralisation du
nationalisme par le truchement d’un réveil de l’islam.
4 Le jeune parti communiste français issu du Congrès de Tours applique la tactique léniniste de classe contre classe. Jacques
Doriot à la chambre des députés soutien la révolte marocaine d’Abd el-Krim, le rapport Michel là aussi craint une action
communiste en faveur des indigènes. Les militants communistes en Algérie sont alors peu nombreux, la plupart sont des
travailleurs d’origine européenne, très antireligieux, ils ne voient dans l’action des oulémas qu’une réaction obscurantiste
destinée à opprimer les masses indigènes Ils se méfient de ces oulémas sortis de la classe bourgeoise. Les communistes
mettront des années pour sortir de cette « période sectaire ». Ainsi donc, l’administration surveille et l’islam et les communistes
qui tous les deux peuvent apparaître comme mettant en danger la colonisation, mais ce sont deux domaines qui ne s’épaulent
pas à cette époque.
5 Cet extrait est rapporté dans H. Alleg, La guerre d’Algérie T.I p. 19