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c. La Gestalt-Theorie ou Théorie de la Forme : (GUILLAUME, KÖHLER, KOFFKA) la perception n’est pas
la synthèse d’une mosaïque de sensations élémentaires (empirisme, associationnisme), mais l’appréhension
global d’une forme, d’une structure (on voit l’arbre avant de voir les feuilles, et une mélodie ne change pas si
on change les notes en gardant la même structure). Il n’y aurait donc pas de sensation pure, et la distinction
sensation / perception est artificielle.
S’inspirant de ce courant de la psychologie, MERLEAU-PONTY s’oppose au rationalisme de DESCARTES et
ALAIN : la perception n’est pas une fonction d’entendement, mais une présence au monde. Cette présence au
monde dépend de notre corps : percevoir, c’est se projeter dans le monde grâce à son corps (par exemple, la
perception du mouvement dépend de notre position mobile ou immobile) : « La perception n’est pas une sorte
de science commençante, et un premier exercice de l’intelligence, il nous faut retrouver un commerce avec le
monde et une présence au monde plus vieux que l’intelligence », Le cinéma et la nouvelle psychologie (1945).
L’illusion de Müller-Lyer montre qu’une perception dépend d’un champ visuel.
d. La perception est inconsciente : LEIBNIZ, dans la préface des Nouveaux Essais sur l’entendement humain,
distingue la perception de l’aperception, qui est consciente, et qui résulte de la somme d’une infinité de petites
perceptions (attention, DESCARTES confond perception et aperception). L’exemple célèbre est celui du bruit
de la mer, formé par addition du petit bruit de chaque vague. D’autre part, nous percevons même évanouis,
endormis, ou morts, mais sans en être conscients.
« Il y a mille marques qui font juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais
sans aperception et sans réflexion, c'est-à-dire des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons
pas, parce que ces impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre, ou trop unies, en sorte qu'elles n'ont
rien d'assez distinguant à part; mais jointes à d'autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir
au moins confusément dans l'assemblage. […]Et pour juger encore mieux des petites perceptions que nous ne
saurions distinguer dans la foule, j'ai coutume de me servir de l'exemple du mugissement ou du bruit de la mer,
dont on est frappé quand on est au rivage. Pour entendre ce bruit comme l'on fait, il faut bien qu'on entende les
parties qui composent ce tout, c'est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se
fasse connaître que dans l'assemblage confus de tous les autres ensemble, c'est-à-dire dans ce mugissement
même, et qu'il ne se remarquerait pas si cette vague, qui le fait, était seule. »
Pour LEIBNIZ, la perception est commune à l’animal et à l’homme, et coordonne les données des différents
sens et permet des « consécutions empiriques » qui imite le raisonnement (par exemple, la vue du bâton, par le
souvenir de la douleur, détermine la fuite. Cf. Monadologie §§ 25-30
e. La perception est liée à l’action : On ne perçoit que ce qui nous intéresse ; c’est la « loi d’intérêt ». La
perception est donc liée à l’action. P. JANET, dans l’Automatisme psychologique (1889), affirme : « Percevoir
un fauteuil, c’est se préparer à s’y assoir ». Ainsi, la perception n’est pas seulement la condition de notre
connaissance du monde, elle est aussi l’instrument de notre action sur lui. C’est pourquoi BERGSON montre
que la perception est toujours liée à un besoin. Il faut apprendre à percevoir de façon désintéressée.
f. Peut-on expliquer scientifiquement la perception ? Nous pouvons donner une définition physique au son,
décrire le mécanisme physiologique de l’audition, mais ces explications ne rendent pas compte du vécu subjectif
de la perception sonore, qui résiste à toute modélisation scientifique.
3) Quel est l’objet de la perception ?
Le réel se réduit-il à ce que perçoivent nos sens ? L’expression « voir les choses telles qu’elles sont » a-t-elle un sens ?
Perçoit-on le réel tel qu’il est ? La perception est-elle objective ?
a. La perception est intérieure ou extérieure, entre les deux proprioceptives (perception du corps).
b. La perception perçoit le réel : Pour BERKELEY, « être, c’est être perçu » (esse est percipi aut percipere),
c’est-à-dire que seul ce qui est perçu ou perçoit existe. Même si la formule de Berkeley paraît provocante, il ne
fait qu’affirmer une idée simple : notre rapport aux choses est toujours un rapport de représentation. Il en conclut
que la matière n’existe pas (immatérialisme) : ce n’est qu’une abstraction nous faisant croire qu’il y a autre
chose que des perceptions. Mais attention ! Ce n’est pas parce que les choses sont des idées qu’elles ne sont pas
réelles ! Aussi Berkeley distingue-t-il les perceptions reliées entre elles de façon régulières (avec notamment
une correspondance entre le toucher et la vue), qui caractérisent le réel, des perceptions déréglées de
l’imagination et du rêve. Les idées des choses réelles ont été produites par Dieu.
« La table sur laquelle j'écris, je dis qu'elle existe ; c'est-à-dire, je la vois et je la touche ; si j'étais sorti de mon
bureau, je dirais qu'elle existe ; j'entendrais par ces mots que si j'étais dans mon bureau, je la percevrais ou qu'un
autre esprit la perçoit actuellement. Il y avait une odeur, c'est-à-dire on odorait ; il y avait un son, c'est-à-dire on
entendait ; une couleur ou une forme, on percevait par la vue ou le toucher. C'est tout ce que je peux entendre
par ces expressions et les expressions analogues. Car ce que l'on dit de l'existence absolue de choses non
pensantes, sans rapport à une perception qu'on en prendrait, c'est pour moi complètement inintelligible.
Leur existence c'est d'être perçues ; il est impossible qu'elles aient une existence hors des intelligences ou choses
pensantes qui les perçoivent. » Traité sur les principes de la connaissance humaine, 1710, §3.
BERKELEY donne aussi l’exemple de la cerise : je sais que la cerise existe, parce que je peux en avoir
différentes sensations reliées les unes aux autres :
« Je vois cette cerise, je la touche, je la goûte, je suis sûr que le néant ne peut être vu, touché ou goûté : la cerise
est donc réelle. Enlevez les sensations de souplesse, d'humidité, de rougeur, d'acidité et vous enlevez la cerise,
puisqu'elle n'existe pas à part des sensations. Une cerise, dis-je, n'est rien qu'un assemblage de qualités
sensibles et d'idées perçues par divers sens : ces idées sont unies en une seule chose (on leur donne un seul
nom) par l'intelligence parce que celle-ci remarque qu'elles s'accompagnent les unes les autres. Ainsi
quand le palais est affecté de telle saveur particulière, la vue est affectée d'une couleur rouge et le toucher d'une
rondeur et d'une souplesse, etc. Aussi quand je vois, touche et goûte de ces diverses manières, je suis sûr que la