«C’est cela que les musulmans n’osent clamer : que pour l’Islam, l’individu ne peut
pas disposer de son corps comme il veut, manger ce qu’il veut, faire ce qu’il veut»1.
«Comme l’Islam détermine toutes les facettes de la vie sociale et personnelle du
musulman, du moins en théorie, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’Islam donne aussi
des instructions sexuelles au vrai croyant. Ces instructions se fondent sur le Coran,
ainsi que des propos et des comportements que l’on prête au prophète Mahomet, les
Hadiths. En Europe, dès le 17esiècle, on décrivait l’Islam comme une religion
pornographique. Une association d'idée qui s’explique non seulement par
l’hédonisme de Mahomet – à qui l'on doit ces paroles célèbres: "Pour ce qui est des
affaires terrestres, j’aime les femmes et le parfum" – ainsi que par la sensualité des
descriptions coraniques du paradis, mais aussi par l’intérêt accordé à la sexualité
(masculine). Pour Mahomet, le sexe ne sert pas uniquement à la reproduction, mais
on peut en jouir à part entière – il autorisait d’ailleurs le coït interrompu comme
mode de contraception. Le 11 septembre 2001, de religion pornographique, l'Islam
est d'un coup devenu une religion terroriste. C'est un changement évidemment
regrettable»2
Les normes sexuelles des cultures musulmanes, à travers le temps et l’espace, sont actuellement
perçues, dans le discours généraliste de l’Occident tel qu’il se reflète dans la presse et les ouvrages de
vulgarisation, selon deux axes, à la fois antagonistes et complémentaires, mais tous deux également
essentialistes, statiques et totalisants. D’une part, un courant éditorial animé par une intention de
«réhabilitation» des cultures musulmanes, généralement représenté dans l’édition, dans la littérature
et le cinéma, dans un moindre degré dans la recherche académique. Ce courant affirme une forte
différence entre islam et christianisme : d’un côté exaltation des voluptés sexuelles, «constitutives des
conditions mondaines de la vie», sachant que la concupiscence qui accompagne l’amour est «une
manière de réaliser l’harmonique cosmique»3et d’assurer la survivance de la race humaine. La
jouissance en islam serait donc à la foi plaisir et devoir, à condition qu’elle se réalise dans les limites
de l’union licite. De l’autre côté, dans le christianisme, on ne trouverait que péché originel et haine de
la chair, exaltation du modèle monacal, valorisation de l’abstinence, et une moderne liberté sexuelle
conquise contre les Eglises. On construit donc le topos d’un «islam de jouissance», libéral en matière
de sexualité, non répressif, généralement situé en amont de l’histoire. Les tenants de ce courant se
basent sur une relecture contemporaine des textes classiques des littératures arabe, persane et
ottomane, et particulièrement sur l’érotologie et la poésie amoureuse ou transgressive, lectures parfois
hâtivement projetées sur le présent. Il s’agit de donner sa place à la civilisation musulmane dans ce
que ce courant perçoit comme d’universelles valeurs humanistes et libérales, en privilégiant dans le
legs millénaire de cette civilisation une image supposée attirante pour le public occidental post-
moderne.
Ce courant répond implicitement ou explicitement, par son entreprise de «banalisation» de l’islam
par le plaisir, à une autre tendance, illustrée le plus souvent par la presse mais aussi par des essais
polémiques, qui souligne, dénonce ou exemplifie quant à elle, tout à l’inverse, le puritanisme forcené
et l’enfermement identitaire que défendent aujourd'hui les courants activistes islamistes, les Etats
1. Anne-Marie Delcambre, L’Islam des interdits, Paris, Desclée de Brouwer, 2003, p. 80.
2. Hafid Bouazza, DENG (Anvers), traduit dans Courrier International 738-9, 23 décembre 2004. Hafid
Bouazza est un romancier néerlandais d’origine marocaine, salué par la critique de son pays, et qui dans
certains de ses écrits de presse s’applique à illustrer par ses traductions de l’arabe la face érotique de la
civilisation arabo-musulmane. Dans le débat national hollandais, où la tolérance et la permissivité dans le
domaine des moeurs sont des valeurs senties comme constitutives de l’identité nationale, «l’islam
érotique» est clairement une stratégie d’intégration, H. Bouazza représentant une face souriante et
rassurante de l’immigration marocaine dans un pays frappé par l’assassinat de Theo Van Gogh
(02/11/2004).
3. Les deux citations sont tirées d’Abdelwahab Bouhdiba, La sexualité en Islam, Paris, PUF, 1975, p. 110.
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