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D8 •LA PRESSE MONTRÉAL SAMEDI 19 AVRIL 2003
Ariane plane! Takacs: une belle
découverte
ALEXANDRE VIGNEAULT
ELLE A MIS DU TEMPS à transporter ses
chansons sur scène, Ariane Moffatt. Pres-
que un an s’est écoulé depuis la sortie de
son premier disque, Aquanaute, et elle
n’avait donné qu’un seul vrai concert à
Montréal jusqu’ici. L’événement a eu lieu
sur une scène extérieure aux dernières
FrancoFolies, et ceux qui y étaient s’en
rappellent encore. Nul doute que sa
« rentrée montréalaise », jeudi soir à
l’Usine C, marquera, elle aussi, les es-
prits.
Après avoir passé la dernière année à
jouer des claviers dans le groupe de Da-
niel Bélanger, Ariane Moffatt mourait
d’envie de voir son public. « Je suis telle-
ment contente de vous rencontrer autre-
ment qu’à travers du papier journal ou un
écran de télévision, a-t-elle lancé en dé-
but de concert. C’est super ! » Excitée, en-
thousiaste, enflammée, enivrée, la jeune
musicienne de 23 ans était tout cela à la
fois.
Elle a commencé en douceur avec Ha-
sard, chanson plutôt rêveuse qu’elle a vite
transformée en trip jazzy. Quand elle a
plaqué les derniers accords, debout der-
rière son piano à queue (elle ne tenait pas
en place, je vous dis), on savait déjà qu’on
allait assister à un concert pas ordinaire.
Ariane Moffatt vit sa musique, elle se
laisse traverser par chacune des notes,
chaque bout de mélodie. En plus, elle
comptait sur un groupe solide, doté d’une
puissante section rythmique : Tony Al-
bino à la batterie et Maurice Soso Wil-
liams à la basse. Deux as du groove.
Après un intermède pop aqueuse, Dra-
peau blanc, l’ambiance s’est légèrement as-
sombrie. Une tension sourde s’est glissée
dans sa chanson Sur ton parallèle, soulevée
par des roulements de rythmes électroni-
ques presque menaçants qui, en prenant
de l’ampleur, se sont transformés en un
groove puissant. Là, c’est le public qui ne
tenait plus en place. Dans une salle
comme le Spectrum (où Ariane Moffatt
jouera aux prochaines Francos), on aurait
dansé.
Ariane Moffatt est bien seule dans sa
catégorie. Elle est capable de bercer avec
tendresse (Poussière d’ange) et, la minute
d’après, de se lancer dans un trip reggae
en échappant des gestes de rappeur ou
encore de prendre sa guitare acoustique et
de chanter une pièce de Nick Drake
(Things Behind the Sun) comme si sa vie en
dépendait. Elle vit la scène, se nourrit à
même sa propre musique et, chose inté-
ressante pour une artiste solo, elle semble
faire partie de son propre band. Elle se
cale entre eux, sans cesser d’être le coeur
de la musique.
En mettant le pied dans la salle de
spectacle, on se demandait pourquoi la
scène était drapée de blanc. L’explication
est finalement venue à la fin du concert :
« Le blanc, c’est la couleur de l’espoir, a
suggéré Ariane Moffatt. Et l’espoir, c’est
une espèce de mot gonflable qu’on souf-
fle et qu’on envoie dans le monde. »
Des mots d’espoir, elle en a trouvé
dans la chanson Cerf-volant, de Gilles Vi-
gneault. Eh oui ! La chansonnière électro-
nique a fouiné dans le répertoire du vieux
poète. Et s’il avait été dans la salle, il au-
rait plané en l’écoutant faire voler son
Cerf-volant sur une musique reggae-dub. Il
aurait été heureux de voir qu’à travers
elle, ses mots trouvaient une résonance et
une pertinence nouvelles.
L’univers d’Ariane Moffatt a quelque
chose de magnétique et d’apaisant à la
fois. Elle doit encore peaufiner quelques
détails — comme son disque, son concert
était parfois surchargé — et elle devra ai-
guiser sa plume pour mieux gratter les re-
coins de son âme. Elle a tout ce qu’il faut
d’imagination et de talent pour continuer
à nous surprendre. Et puis, elle a le meil-
leur guide qui soit : une juste intuition.
CLAUDE GINGRAS
MIKLOS TAKACS avait conçu un programme original
pour le concert annuel du Vendredi saint de sa Société
Philharmonique. Remettant le Requiem de Verdi à une
prochaine année et laissant à d’autres le sempiternel
Requiem dit « de Mozart », le chef d’origine hongroise
choisissait une oeuvre festive de Liszt annonciatrice de
la toute proche fête de Pâques, tout en respectant l’at-
mosphère de deuil qui entoure le jour de la mort du
Christ en ouvrant le concert avec le Requiem de Fauré.
L’oeuvre du futur « Abbé Liszt » était une nou-
veauté ici. M. Takacs croit même qu’il s’agit d’une pre-
mière au Canada, ce qui est fort possible car cette Missa
solemnis, habituellement appelée Messe de Gran,dunom
(allemand) de la ville hongroise où elle fut créée en
1856, est connue par les ouvrages de référence mais ne
l’est à peu près pas par le disque puisqu’il n’en exis-
tait jusqu’à maintenant qu’un enregistrement, celui de
la fin des années 70, chez Hungaroton, dirigé par Ja-
nos Ferencsik.
Il y en a maintenant un deuxième : celui que M. Ta-
kacs réalisait dans son pays natal en 1992. Que l’ini-
tiative de M. Takacs aide la vente de son disque, tant
mieux car il s’agit d’une belle réalisation. Avant tout,
l’idée valait une magnifique découverte au public qui
remplissait à sa pleine capacité l’église Saint-Jean-
Baptiste hier soir, soit 2500 personnes dont l’attention
puis l’ovation finale étaient on ne peut plus éloquen-
tes.
Face à l’imposante masse de 300 choristes encadrant
un très acceptable orchestre de surnuméraires (dont
plusieurs de l’OSM), M. Takacs anima une exécution
unifiée et très vivante qui, à la fois, redonna à l’oeuvre
de Liszt toute sa grandeur, toute sa modernité aussi, et
rappela l’envergure de ce compositeur décrié en cer-
tains milieux ainsi que son importance indéniable
dans l’histoire de la musique.
Comme il se doit, l’orchestre était à la fois puissant
et coloré, avec une séquence finale du timbalier Jac-
ques Lavallée digne d’un Louis Charbonneau. Irrépro-
chable dans toutes ses sections, le choeur fut conti-
nuellement exaltant. On regrette simplement que M.
Takacs ait omis (comme la partition l’autorise, il est
vrai) la petite fugue dans le Credo.
Les solistes furent, dans l’ensemble, satisfaisants au
plan vocal, moins au plan du style (le ténor Bélanger,
par exemple, larmoyant, à son habitude).
Le Requiem de Fauré étant donné à la mémoire des
récentes victimes de la guerre, on demanda au public
de ne pas applaudir à la fin. Ce qui fut fait... ou pres-
que. Le choeur y fut moins en place que par après
dans le Liszt (aigu forcé chez les sopranos et ténors), le
baryton eut de la peine à chanter en mesure et M. Ta-
kacs se contenta d’une direction routinière, prenant
d’ailleurs trop vite l’épisode final, pourtant bien mar-
qué « moderato », du Libera me. Mais Leila Chalfoun,
habituellement insupportable, fut plus écoutable cette
fois, comme plus tard dans le Liszt.
ORCHESTRE DE LA SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE DE MON-
TRÉAL, CHOEUR DE L’UQAM et ENSEMBLE VOCAL DE
L’UQAM. Dir. Miklos Takacs. Solistes : Leila Chalfoun, soprano,
Corina Circa, mezzo-soprano, Guy Bélanger, ténor, Arto Muhen-
dissian, baryton, et Marcel Beaulieu, basse. Hier soir, église Saint-
Jean-Baptiste.
Programme :
« Requiem », pour soprano, baryton, choeur et orchestre, op. 48
(1885-90) — Fauré
« Missa solemnis », pour soprano, mezzo-soprano, ténor, basse,
choeur et orchestre, G. 9 (« Graner Festmesse »)(1855-56) — Liszt
Photo DENIS COURVILLE, La Presse ©
Après avoir passé la dernière année à jouer des claviers dans le groupe de Daniel
Bélanger, Ariane Moffatt mourait d’envie de voir son public.
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Miklos Takacs
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