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44 Érer nes sAvoIRS
suR LE oÉvnr-oppeMENT
Au contraire, I'arrière-plan culturel de la pensée francophone est
davantage marqué par le cartésianisme,
par une tradition philosophi-
que privilégiant le sens et se méfiant de I'empirisme (de Althusser
à Lévi-Strauss en passant par Barthes, Bachelard
ou Foucault). La
démarche
holiste s'intéresse aux systèmes et aux structures
et elle cher-
che à replacer les évolutions dans une perspective
historique. Dans
la tradition colbertiste, I'Etat est l'agent premier du développement
et le marché n'est pas supposé être autorégulateur. Enfin, I'histoire
coloniale a créé un capital spécifique de connaissances
lié aux mono-
graphies des administrateurs, aux enquêtes de terrain ou aux assistan-
ces techniques dans les anciennes
colonies. L'ensemble de ces fac-
teurs conduit à une pensée relativement spécifique.
Comparée à l'école anglo-saxonne, la tradition économique
fran-
cophone est davantage
critique et philosophique (trouver un sens au
développement), holiste (avoir une vision intégrée), tout en étant
hypothético-déductive (cartésianisme).
Les différentes écoles francophones sont toutefois largement frag-
mentées. Le pôle théorique global et analytique domine dans les ins-
tances universitaires. Le pôle théorico-empirique se trouve chez les
ingénieurs-économistes,
les planificateurs
et les experts. Le pôle anthro-
pologique
chez les chercheurs
de I'ORSTOM, les ONG et les déve-
loppeurs de terrain.
Tout en demeurant spécifique, la pensée
économique francophone
a évolué en relation avec les avancées
théoriques de la discipline et
en liaison avec les principales transformations de l'économie mondiale,
des sociétés du Tiers monde et des relations Nord-Sud.
Nous différencions,
en fonction de ces critères, trois périodes3.
L'essentiel du corpus théorique de l'économie du développement
a été forgé au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale. Les théori-
ciens néo-classiques
et keynésiens
réduisent les problèmes
de déve-
loppement à la théorie de la croissance, aux imperfections des mar-
chés ou au champ de l'économie internationale. Les constructeurs de
l'économie du développement, notarnment francophones, partent au con-
traire de la spécificité des économies sous-développées
pour forger un
corpus différent. Les débats sont alors théoriques et conceptuels.
Vers les années soixante, on constate dans un contexte de décolo-
nisation de I'Afrique, de guerres
de libération nationale, de luttes ou
3. La periodisation est liée aux grandes transformations, telles la reconstruction d'apÈs-guerre,
la décolonisation, la crise des années 70, mais également aux histoires spécifiques de I'Afrique
et des anciennes colonies francophones. Si certains débats liés aux conflits idéologiques sont
pennanents, ils émergent sur le devant de la scène en fonction dês arrières-plans socio-historiques.
Cette périodisation est évidemment simplificatrice et de nombreux travaux chevauchent les périodes.
LA PENSÉE FRANCOPHONE EN ÉCONOVTIS
de guérillas internes, une radicalisation
de l'économie du développe-
ment. A I'inverse, les épigones
réduisent les hypothèses
fondatrices
des théories du développement à la modélisation. Les affrontements
deviennent davantage idéologiques.
Puis dans le contexte de la " crise " du milieu des années
soixante-
dix et de la priorité donnée aux questions
de gestion, on note un cer-
tain rapprochement théorique des courants sur des questions concrè-
tes ; par contre sur le plan de la politique économique, I'universa-
lisme des modèles libéraux contraste avec le particularisme des modèles
alternatifs. Les enjeux sont surtout de politique économique
(Assidon,
1989).
On peut différencier trois grandes périodes permettant de caracté-
riser l'évolution de la pensée:
- le temps de la construction : le débat théorique entre l'écono-
mie orthodoxe et les structuralistes
(1945/50-1960165)
;
- le temps de la radicalisation : les affrontements idéologiques
(r960t65-1975180)
;
- le temps de la gestion : le débat entre la politique orthodoxe
et le développement
alternatif (1975/80-1990).
1. Le temps de la construction (1945/50-1960165)
Les années
d'après-guerre ont conduit à la construction de l'éco-
nomie du développement.
Sur le plan international,
le processus
de
décolonisation
touche I'Asie et I'Afrique ; les Institutions
de Bretton
Woods se mettent en place ; les Nations unies abordent les questions
de la croissance
des pays attardés, de leur industrialisation
ou de la
stabilité des prix des matières premières ; de nouvelles institutions
régionales,
telle la CEPAL, traitent de I'intégration régionale et d'une
stratégie alternative protectionniste et industrialiste.
- La pensee
economique dominante anglo-saxonne
d'après-guerre était
keynésienne
ou classico-keynésienne
lsynthèse
entre la macrô-économie
keynésienne
et la micro-économie
néo-classique
de Hicks, Hansen,
Samuelson...)
; plusieurs
travaux du développément
se situent dans le
cadre des modèles d'accumulation classique
et des modèles post-
keynésiens
de croissance.
Mais de nombrèux ouvrages
abordeni les
spécificités structurelles des pays sous-développés
; les principaux
apports concernent
le dualisme (Boeke, Lewis), la croissance
désé-
quilibrée (Hirschman, Nurske), les effets de remous et de propaga-