étude sur les contraintes syntaxiques des adjectifs en

ÉTUDE SUR LES CONTRAINTES
SYNTAXIQUES DES ADJECTIFS EN
-ED EN ANGLAIS1
Martine Schuwer
Université Rennes 2
Lorsque tu dis en te vantant : “ J’ai un beau
cheval ”, sache que tu t’enorgueillis d’un avantage
qui est à ton cheval.
Qu’est-ce donc qui est à toi? L’usage des idées.
Épictète
1. CADRE GÉNÉRAL DE L’ÉTUDE
Paradoxalement, la syntaxe de l’adjectif occupe une place restreinte
dans les grammaires traditionnelles, alors qu’elle s’avère soumise à de
réelles contraintes. Sur les origines de cet apparent manque d’intérêt, on
peut avancer plusieurs hypothèses, foncièrement interdépendantes.
Historiquement tout d’abord, la catégorie de l’adjectif relève d’une
création tardive, cette partie du discours étant auparavant intégrée à celle
du substantif, mais en tant que sous-catégorie (substantivum adjectivum).
La distinction existait donc bel et bien, mais l’adjectif participant de la
détermination du nom, son programme ne semblait pas justifier d’une
catégorie propre.
1 Les analyses présentées dans cette étude ont bénéficié des suggestions et
observations de Pierre Cotte. Qu’il en soit ici très sincèrement remercié.
Cahier du CIEL 1998-1999
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L’hétérogénéité de cette classe, quant à elle, pourrait également
tenir une part dans cet état de fait.
• Prenons en premier lieu la diversité morphologique des adjectifs,
sachant par ailleurs que l’anglais ne se prête que rarement, hors contexte,
à une identification immédiate de la catégorie grammaticale à laquelle
appartient un terme.
On peut certes considérer qu’il n’en existe que deux types : les
adjectifs primitifs ou simples, sans marque morphologique distinctive
(brown, new), et les adjectifs affixés ; mais on ne compte pas moins
d’une vingtaine de suffixes2 participant à la formation d’adjectifs
dénominaux ou déverbaux. La néologie adjectivale est à ce titre fort
révélatrice, même si elle n’opère qu’avec un nombre restreint de suffixes
3.
Les lexicographes, pour leur part, ajoutent à cette profusion en
dénommant adjectifs des termes (substantifs?) dont, en réalité, il est fait
un emploi adjectival (cooking dans cooking oil, budget dans budget flight,
chance dans chance meeting) dans des formations communément
reconnues comme des mots composés. On décèle ici qu’un des motifs du
flou qui entoure la catégorisation de l’adjectif est la confusion entre
nature et fonction. Ceci est certes problématique mais ne constitue pas un
point essentiel, car l’étiquetage ne peut constituer une fin en soi qui ne
dirait rien de la réalité et des motivations des contraintes syntaxiques.
• On mentionnera aussi l’hétérogénéité de la classe sur le plan
sémantique, comme en témoigne la diversité des classifications possibles
et effectives (qualificatifs / relationnels, objectifs / appréciatifs, relatifs /
indépendants, statiques / dynamiques, absolus, gradables ou non, de
couleur, de nationalité, de matière etc. ...) .
• Enfin, à ces brefs rappels sur la pluralité des caractéristiques
morphologiques et sémantiques des adjectifs, il faut ajouter les
contraintes syntaxiques auxquelles nombre d’entre eux sont soumis. Pour
certains, elles sont absolues : l’emploi prédicatif, prénominal ou
postnominal s’avère obligatoire. Pour d’autres, elles sont relatives : un
même adjectif, selon qu’il en sera fait un emploi prénominal ou
prédicatif, recevra deux interprétations différentes 4. Hormis ces cas
apparemment bien circonscrits, la plupart des adjectifs ne relèvent
d’aucune contrainte et peuvent ainsi, au choix du locuteur, faire l’objet
2 Marchand, p. 375
3 Néologie lexicale 5, p. 192
4 Ainsi conventional : 1.their opinions are rather narrow and conventional. (=
banales) 2.conventional medicine (= classique / traditionnelle).
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
111
d’une prédication ou bien être placés en épithète, avant le substantif ainsi
déterminé.
Dans le cadre plus général d’une étude sur la syntaxe de l’adjectif
en anglais, on traitera ici le cas des formes adjectivales en -ed qui
présentent l’intérêt d’apparaître, en tant que tels, dans les deux
principales catégories d’emploi syntaxique contraint : certaines en effet
n’acceptent que l’emploi prédicatif, tandis que d’autres requièrent la
position prénominale.
1.2. Corpus
Le corpus a été constitué à partir de deux dictionnaires unilingues,
le Collins Cobuild (English Language Dictionary 1987), et le Longman
(Dictionary of Contemporary English 1995) désormais respectivement CC
et LDOCE. La nomenclature de ces deux ouvrages a été établie à partir
de corpus authentiques, écrits et oraux. Pour l'étymologie, on a consulté
The Concise Oxford Dictionary of English Etymology (1986).
Ont ainsi été recensés tous les adjectifs en -ed explicitement
signalés comme syntaxiquement contraints par les lexicographes. Des
ajustements se sont cependant avérés nécessaires : car si un tel relevé
présente des garanties de fiabilité dans la mesure où les conditions
d’emploi ont été constatées en discours, il arrive que les deux ouvrages
divergent dans leurs observations, seul l’un des deux signalant une
contrainte syntaxique. En ce cas, on a écarté les éléments douteux, et le
corpus ici étudié ne comprend que des adjectifs réputés syntaxiquement
contraints dans les deux dictionnaires.
La recherche d’occurrences a permis de constater la relative
exactitude des informations lexicographiques : la confrontation à la
réalité du discours n’a que très rarement apporté un démenti aux notations
dictionnairiques. On touche en fait ici aux limites - constitutives - de
l’entreprise lexicographique qui, par nature, ne peut prendre totalement en
compte la créativité de l’activité langagière. Ceci explique également
d’éventuels désaccords entre l’intuition linguistique et les mentions
dictionnairiques, mais de façon générale, on peut dire que, contrairement
à notre attente, les lexicographes ont davantage péché par défaut que par
excès.
1.3. Origine des adjectifs en -ed
On a nommé “ adjectifs ” les formes en -ed recensées pour cette
étude, reprenant ainsi la dénomination de LDOCE et de CC.
Cahier du CIEL 1998-1999
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Rappelons que -ed peut renvoyer à deux formations différentes. En
effet, d’après OED 5, le morphème -ed est issu soit du vieil-anglais -ed/-
ad, suffixe du participe passé des verbes faibles (-en suffixant les verbes
forts), soit du vieil-anglais -ede, suffixe permettant la formation
d’adjectifs dénominaux 6, signalant la possession ou l’existence de
l’élément dénoté par le substantif (ringed = with/having a ring), ou bien
(par métaphore ou métonymie) évoquant la ressemblance avec cet
élément 7 (de forme, comme dans cupped, de comportement, dans
dogged). Ce morphème peut, en principe et sauf contraintes énonciatives
ou cognitives 8, être adjoint à tout substantif afin de former un adjectif. Il
n’existe plus, en anglais contemporain et dans une large mesure
également en moyen anglais, aucune distinction formelle entre les
formations participiales et les adjectifs dénominaux. Il n’est pas
surprenant qu’un seul et même morphème puisse ainsi être adjoint à des
bases verbales ou nominales : le même phénomène se retrouve en latin,
puisque le suffixe -tus sert aussi bien à former des participes passés
(laudatus du verbe laudare louer) que des adjectifs dénominaux
(dentatus, à partir du substantif dens, dentis, dent).
Le corpus ici étudié comprend presqu’exclusivement des formations
participiales 9.
Forme participiale ” n’implique pas que le verbe dont elle est
apparemment dérivée existe en tant que tel. On verra ci-après que, même
s’ils sont recensés dans quelques dictionnaires, certains prédicats verbaux
sont en réalité rarement usités à la voix active. On a même parfois été
dans l’impossibilité d’en trouver des occurrences.
Ces observations permettent de mieux comprendre d’une part pour
quelles raisons ces formes en -ed font effectivement l’objet d’une entrée
spécifique dans le dictionnaire (puisque tel n’est pas le cas pour tous les
participes passés), et d’autre part que c’est leur degré avancé de
lexicalisation qui les a fait basculer dans la catégorie des adjectifs. On
notera cependant que tous les éléments du corpus n’ont pas la faculté
d’être modifiés par un intensifieur (very), test qui permet en général de
5 Pour une description plus détaillée, on se reportera à Mossé, § 95 et 122
6 H. Marchand (1960 p. 2O7) rejette cette hypothèse. Selon lui, -ed, suffixe
adjectival ou participial, provient du seul et même suffixe indo-européen -to.
7 Marchand p. 208
8 Claude Charreyre 1995
9 L’origine nominale ou verbale est parfois difficile à déterminer. Ces adjectifs
seront considérés comme dénominaux : figured - full-blooded - hard-nosed - hooked
- landed - moneyed - pied - plumed - plastered - seamed .
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
113
conclure à la nature authentiquement adjectivale d’une forme en -ed
(tired) 10.
1.4. Problématique
La valeur fondamentale du marqueur -ed, allomorphe de -en
morphème du participe passé, est de signaler, en termes aspectuels, que
l’énonciateur se situe en dehors du domaine notionnel considéré. Le
procès est vu comme accompli, et le syntagme nominal qualifié par le
participe se voit ainsi doté de ce que l’énonciateur considère comme un
acquis (Souesme 1992).
Les adjectifs déverbaux en -ed sont donc tous considérés comme
porteurs de cette valeur fondamentale : c’est le point d’ancrage commun.
Qu’ils soient tous affectés de ce même marqueur ne leur assure pas un
fonctionnement syntaxique uniforme puisque, pour certains, l’emploi sera
libre, tandis que pour d’autres, la syntaxe sera contrainte, requérant soit la
prédication, soit la position prénominale ou, en de très rares cas, post-
nominale.
En résumé, il existe ainsi d’une part un marqueur, pour lequel on
pose une valeur reconnue et supposée inaliénable, et d’autre part deux
fonctionnements syntaxiques contraints. Il importe donc de déterminer
quels facteurs génèrent l’un ou l’autre de ces emplois obligés, et
d’évaluer les effets d’une transgression de la contrainte syntaxique.
2. EMPLOI PRÉDICATIF
LDOCE intitule cette catégorie Not before noun, formulation un peu
ambiguë, qui signifie en clair que l’emploi de telles formes (une
centaine) nécessite la prédication explicite.
Tout comme divers effets de sens en contexte peuvent être inscrits
sous un seul marqueur, la prédication obligatoire peut résulter de
différents facteurs. Si ces adjectifs forment une classe homogène tant sur
le plan syntaxique que morphologique (-ed), ce n’est cependant pas ce
suffixe qui leur confère, à lui seul en tous cas, ce caractère prédicatif
(puisque d’autres formes en -ed ont une syntaxe différente), mais,
globalement, leur sémantisme, comme le révèle l’analyse. Plusieurs cas
de figure se dégagent, selon les facteurs déclencheurs. Ces facteurs ne
10 A l’exception évidemment des adjectifs non gradables comme coloured
(people), professed (anarchist)...
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