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HISTOIRE DES ANIMAUX ARISTOTE
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laissent pas douter un instant qu'il ne fût lui-même bien plus riche que ceux dont il aurait
emprunté. » (Buffon, ib., ibid. pages 85 et suiv.)
L'éloge est sans réserve; et l'on pourrait y joindre, en forme de complément, toutes ces
discussions éparses et nombreuses où Buffon consulte Aristote sur des détails, et où tantôt il
l'approuve et tantôt il le réfute, ne s'éloignant de « ce grand homme » qu'à regret, et non sans
quelque crainte de se tromper, quand il doit se séparer de lui au nom de la vérité.
Les mêmes sentiments, justifiés par des motifs si solides, sont encore plus forts chez Cuvier;
ou, du moins, ils se traduisent par des expressions plus vives. Dans une solennité officielle, la
distribution des Prix décennaux en 1810, Cuvier, remettant son rapport à A l'Empereur, y
rappelle la munificence d'Alexandre, jadis vantée par Pline; et il conseille à l'histoire naturelle
de faire revivre les principes d'Aristote, si elle veut atteindre toute sa perfection, et réaliser
complètement la méthode dont il a posé les fondements immuables. Vers la même époque à
peu près, Cuvier donnait, dans la Biographie universelle de Michaud, un article signé de son
nom, où on lit le passage suivant :
« De toutes les sciences, celle qui doit le plus à Aristote, c'est l'histoire naturelle des animaux.
Non seulement il a connu un grand nombre d'espèces; mais il les a étudiées et décrites d'après
un plan vaste et lumineux, dont peut-être aucun de ses successeurs n'a approché, rangeant les
faits, non point selon les espèces, mais selon les organes et les fonctions, seul moyen d'établir
des résultats comparatifs. Aussi, peut-on dire qu'il est non seulement le plus ancien auteur
d'anatomie comparée dont nous possédions les écrits, mais encore que c'est un de ceux qui ont
traité avec le plus de génie cette branche de l'histoire naturelle, et celui qui mérite le mieux
d'être pris pour modèle. Les principales divisions que les naturalistes suivent encore dans le
règne animal sont dues à Aristote, et il en avait déjà indiqué plusieurs auxquelles on est
revenu dans ces derniers temps, après s'en être écarté mal à propos.
« Si l'on examine le fondement de ces grands travaux, l'on verra qu'ils s'appuient tous sur la
même méthode, laquelle dérive elle-même de la théorie sur l'origine des idées générales.
Partout, Aristote observe les faits avec attention; il les compare avec finesse, et il cherche à
s'élever vers ce qu'ils ont de commun. » Biographie universelle de Michaud, 2e édition, tome
II, p. 222.)
Dans le Discours qui précède les Recherches sur les ossements fossiles, Cuvier, déjà dans
toute sa gloire, n'hésite pas à dire que « l'histoire de l'éléphant est plus exacte dans Aristote
que dans Buffon » ; et en parlant du chameau, il loue Aristote d'en avoir parfaitement décrit et
caractérisé les deux espèces.
Mais c'est surtout dans ses Leçons sur l'histoire des sciences naturelles, professées au Collège
de France, à la fin de sa vie, que Cuvier se montre un admirateur passionné du naturaliste
grec. Nous ne pouvons pas reproduire les expressions propres dont se sert l'incomparable
professeur, puisque ses Leçons n'ont pas été rédigées de sa main; mais si elles n'ont pas
conservé les formes de son style, elles nous donnent du moins sa pensée, et elles gardent la
trace fidèle de l'enthousiasme le plus ardent et le plus réfléchi. A ses yeux, « Aristote est le
géant de la science grecque; avant Aristote, la science n'existait pas; il l'a créée de toutes
pièces. On ne peut lire son Histoire des Animaux sans être ravi d'étonnement. Sa classification
zoologique n'a laissé que bien peu de choses à faire aux siècles qui sont venus après lui. Son
ouvrage est un des plus grands monuments que le génie de l'homme ait élevés aux sciences
naturelles ».
Ces louanges réitérées sont décisives. Ainsi que Buffon, Cuvier se plaît à les répéter et à les
fortifier en discutant les opinions d'Aristote toutes les fois qu'il les rencontre, dans son
admirable ouvrage du Règne animal, ou dans son Anatomie comparée. Buffon et Cuvier,
commentant Aristote, se font à eux-mêmes autant d'honneur qu'à lui; ils se grandissent en
l'élevant modestement, et justement, au-dessus d'eux.