Spécial Métiers Marketing Recentrage sur le client C ’est un euphémisme de dire que le changement de business model de l’industrie pharmaceutique a des conséquences fortes sur les métiers du marketing. Pour Maurice Belais, enseignant au groupe HEC et pdg de Quatrax Conseil, l’évolution des fonctions est énorme. « Les métiers se redéfinissent autour de la notion de connaissance du client. Autrefois, la démarche partait du produit vers les marchés. Aujourd’hui, il s’agit de comprendre le client pour savoir quels sont les produits qu’il va prescrire. » Le médecin reste le « client » historique, chez qui on va chercher « les éléments d’appétence et de sensibilité », note Maurice Belais. Suit la distribution : « Quelles sont les officines où le produit va sortir ? Les métiers se recomposent autour du marketing client, le multicanal client, l’élasticité client, à partir d’un émetteur laboratoire vers un prescripteur et un distributeur. Le parcours est moins tracé qu’il ne l’a été, sachant que l’objectif est de trouver du potentiel et d’éviter la substitution à la sortie. » En termes de profils, les marketeurs vont faire moins de communication et plus d’analyse de données. « C’est du pilotage, ils doivent indiquer les directions pour éviter le risque d’erreur, estime Maurice Belais. Le deuxième exercice est de passer d’approches « quali » à des approches « quanti », et vice versa, ce qui demande beaucoup de souplesse intellectuelle. » Du CRM au DRM L’approche client est également au cœur de l’activité de CRM santé. Il s’agit de gestion de la relation client Nouvelle priorité au « temps client » Au groupe HEC, on fait de la philosophie opérationnelle. Des notions, qui peuvent paraître absconses au premier abord, trouvent leur traduction dans des actions terrains. « Il faut être dans le temps client, explique Maurice Belais. Ce que je vais proposer à mon client correspond-il à ce qu’il attend ? Ce temps est très volatile. Un client peut avoir une affinité pour un laboratoire, c’est une fenêtre d’opportunité de deux ou trois mois, puis ce client peut changer. D’où la nécessité de re-brasser l’information et de se remettre en question. Qu’il soit médecin, pharmacien, ARS ou autre, je dois me demander quels sont les “drivers” de ses centres d’intérêt pour que, par mon information, je puisse lui donner les éléments qui le rassurent dans son propre travail. Je vais m’efforcer de penser à sa place pour que mon organisation puisse s’adapter à cette réponse. » 10 PHARMACEUTIQUES - SEPTEMBRE 2009 DR Le marketing des 4P (produit, prix, promotion, place), c’est terminé ! Désormais priment les notions de valeur perçue par le client, de temps client, de risques, de délais… La notion de service et les technologies de l’information sont passées par là. « LES MÉTIERS SE RECOMPOSENT AUTOUR DU MARKETING CLIENT », ESTIME MAURICE BELAIS, ENSEIGNANT À HEC ET PDG DE QUATRAX CONSEIL. (Customer Relationship Management), devenue Doctor Relationship Management (DRM) au sein de la société dont Marc Salomon est directeur général associé : « La grande réflexion dans l’industrie est de savoir comment faire évoluer les relations avec les professionnels de santé. C’est aussi lié à l’évolution de la démographie médicale et à la féminisation accrue de la profession. Les femmes ont une manière d’exercer et des relations avec l’industrie qui sont différentes. L’évolution du profil des marketeurs de l’industrie est marquée dans deux directions : il s’agit de personnes qui sont plus sensibilisées aux services, qui connaissent bien les manières d’exercer des médecins et qui ont des modes de communication un peu différents avec eux. Deuxième axe, ce sont des gens très sensibilisés aux technologies de l’information et aux nouvelles approches relationnelles. » CRM Santé appartient à CRM Company, qui intervient dans de nombreux secteurs hors santé. L’agence digitale Megalo(s) fait également partie du groupe et apporte un savoir-faire inégalé en communication numérique. « Ils ont fait un travail fabuleux pour Lacoste, souligne Marc Salomon. Les nouveaux outils de communication nécessitent beaucoup d’ergonomie et de créativité. Nous nous appuyons sur cette fertilisation croisée avec les créatifs de l’univers hors santé. Le professionnel de santé permet d’intégrer toute la dimension réglementaire et la validation scientifique. Tout ce qui est mis en ligne est sous-tendu par des bases de données épidémiologiques, des revues scientifiques, etc. De l’autre côté, il y a les génies des nouvelles technologies. » CRM Santé réalise des programmes d’éducation à la santé destinés aux patients qui reposent sur une logique pédagogique à trois faces : Que savez-vous du sujet ? Qui êtesvous ? Que faites-vous ? « Auto-évaluation, jeux, personnalisation de l’utilisateur et conseils permettent d’initier un changement de comportement, révèle Marc Salomon. La plupart des programmes sont prescrits par le médecin et ne sont pas destinés à se substituer à lui. Sous certaines conditions, celui-ci peut accéder aux données. » Transversalité en hausse Le marketing santé doit aujourd’hui adopter une vision globale, non plus centrée sur le produit mais capable d’intégrer l’environnement et les services associés. Et ce, dès son développement. Les chefs de produit laissent-ils la place à de véritables chefs de projet ? « C’est une expression de journaliste, commente malicieusement Jean-François Roquet, directeur général associé du groupe François Sanchez Consultants. Le marketing reste une discipline particulière. Oui, il y a des gens qui sont chargés de développer un projet de la recherche clinique jusqu’à la commercialisation, ça s’appelle un directeur. Le marketing consiste à prendre en charge un produit qui existe par son AMM, même si on commence à s’en occuper avant. » Un point de vue que partage Marie-Paule Serre, qui dirige un master Marketing Santé à L’Université Pierre et Marie Curie (UPMC) : « Le marketing est plus proche du développement, en effet, mais ce n’est pas nouveau. La nouveauté réside dans une plus forte intégration de l’environnement global et en particulier des conditions économiques d’accès au marché. Le marketing stratégique se décide au niveau supranational et se décline en marketing opérationnel aux niveaux national, régional et même local. Certaines entreprises définissent des postes en termes de chef de projet, mais dans les autres la transversalité est également beaucoup plus présente, même si les appellations de fonctions restent les mêmes. » Nouvelles cibles Parmi ces fonctions transversales, Jean-François Roquet cite les « spécialistes produits ou médecins produits 11 SEPTEMBRE 2009 - PHARMACEUTIQUES Spécial Métiers DR qui peuvent entrer en conflit avec un discours promotionnel. C’est quelque chose dont on n’a pas encore véritablement mesuré l’impact et qu’il faut prendre en compte dans les stratégies marketing. » « LA TRANSVERSALITÉ EST BEAUCOUP PLUS PRÉSENTE », AVANCE MARIE-PAULE SERRE, DIRECTRICE DU MASTER MARKETING SANTÉ À L’UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE CURIE. qui font l’interface entre le marketing, la recherche clinique et la visite médicale. Ils sont chargés de faire travailler ensemble les collaborateurs affectés à ces différentes tâches. On essaie d’éviter le clivage absurde qui peut exister entre les fonctions pour s’intéresser plus à la vie du produit. Le marketing reste une activité à part entière, mais qui est mieux intégrée dans le cycle du médicament ». Le changement d’environnement inclut l’apparition de nouvelles cibles. Le médecin reste au cœur des préoccupations, le pharmacien dispensateur est un maillon important, mais il faut aujourd’hui compter avec les interlocuteurs institutionnels et même les patients, notamment via leurs associations. « Les entreprises ne peuvent pas communiquer directement auprès des patients sur les produits remboursés, mais d’autres s’en chargent pour eux, note Marie-Paule Serre. Il faut donc suivre ce qui se dit de votre produit sur Internet, et les entreprises peuvent faire passer des messages de santé publique et d’éducation à travers ce média. » Les nouvelles technologies bouleversentelles la donne ? « L’outil Internet sera plus bouleversant pour la communication avec les patients qu’avec les professionnels de santé », estime Marie-Paule Serre, qui poursuit : « Avec ces derniers, le développement des logiciels d’aide à la prescription est un élément plus perturbant, car ces outils proposent des mesures d’optimisation économique 12 PHARMACEUTIQUES - SEPTEMBRE 2009 cela demande beaucoup de souplesse. » A l’interface du marketing opérationnel et du secteur des études de marché, de nouvelles fonctions font leur apparition, mais Maurice Belais considère qu’une fonction fait cruellement défaut dans les entreprises : « Il s’agit de personnes Double profil : capables de faire l’interface entre le méplus que jamais tier et l’informatique. Il faut décoder ce En termes de formation, « les cursus dont le métier peut avoir besoin dans sa doivent être suffisamment flexibles et stratégie client ou produit, et retraduire les programmes très proches de ces évo- tout cela dans des informations issues de lutions, souligne Marie-Paule Serre. Il bases de données, qu’il va falloir recomest important d’avoir un bon substrat piler, retraiter, pour répondre à la quesintellectuel, théorique et académique, tion posée. Ce sont des gens qui font qui va permettre d’évoluer, mais aussi du data management, avec la double d’avoir le plus tôt possible un pied dans compétence marketing et statistiques, l’entreprise. Nous proposons des for- plus un peu d’informatique. Cela némules d’apprentissage ou de contrats en cessite aussi beaucoup de souplesse, alternance qui connaissent un beau suc- d’adaptabilité et compréhension. Ce cès dans les entreprises, même sont plutôt des profils à veau niveau bac + 5. Quant nir, mais la tendance est à la formation continue, lourde. » Si les doubles, c’est le moyen pour voire triples profils La double les cadres de faire des sont plébiscités, c’est allers-retours profitaaussi parce que « la compétence bles entre théorie et chaîne hiérarchique a reste le sésame pratique. Une autre été considérablement façon est bien sûr de raccourcie, à trois niultime faire intervenir des veaux maximum là où professionnels dans la il y en avait quatre ou formation, en binôme avec cinq, relève Jean-François des universitaires ». Les étudiants Roquet. Il y a 30 ans, un blocqui accèdent au master marketing de la kbuster pouvait mobiliser un chef de santé de l’UPMC sont médecins, phar- produit junior, un senior, un assistant, maciens, biologistes ou ingénieurs bio- un chef de groupe… ». médicaux. « Ils souhaitent acquérir une compétence complémentaire en ges- Comportements réactifs tion et marketing pour aller vers les in- Paradoxalement, les étudiants en mardustries de santé au sens large, poursuit keting ont encore « une vision assez Marie-Paule Serre. Pharmacie, dermo- traditionnelle de la fonction », note cosmétique, start-up, matériel médical, Marie-Paule Serre, qui conclut : « L’atil y des réservoirs et des possibilités d’ex- tirance reste forte pour ces métiers. Ces pansion et aussi des passerelles entre ces jeunes ont acquis la flexibilité par leurs différents domaines qui étaient moins études et savent qu’ils seront probaprésentes il y a quelques années. Nous blement amenés à passer par plusieurs essayons de leur donner une vision large structures, et adopter des comportedu secteur des industries de santé. » ments réactifs. » Le passage par le terrain est-il obligatoire ? C’est variable Nouvelles fonctions selon les entreprises, mais ceux à qui ça La double compétence reste le sésame pose un problème « n’ont rien à faire ultime, confirme Maurice Belais. « On dans ces métiers », avance Marie-Paule aime les doubles profils : statistiques Serre. Jean-François Roquet illustre par et marketing, pharma et marketing, l’exemple : « J’ai fait recruter une jeune pharma et statistiques, etc car cela per- femme de 25 ans, qui a fait HEC, un met une approche plus transverse. Les master industries de la santé, un pasformations donnent une bonne base en sage par une université américaine, et raisonnement, mais il faut en plus une qui démarre comme chef de produit capacité à s’interroger, une aptitude à junior. » ■ prendre de la hauteur puis à redescendre. C’est difficile pour les individus car Jocelin Morisson