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PHARMACEUTIQUES - SEPTEMBRE 2009
C’est un euphémisme de dire
que le changement de bu-
siness model de l’industrie
pharmaceutique a des consé-
quences fortes sur les métiers du mar-
keting. Pour Maurice Belais, enseignant
au groupe HEC et pdg de Quatrax
Conseil, l’évolution des fonctions est
énorme. « Les tiers se re nissent
autour de la notion de connaissance du
client. Autrefois, la démarche partait du
produit vers les marchés. Aujourd’hui,
il s’agit de comprendre le client pour
savoir quels sont les produits qu’il va
prescrire. » Le decin reste le « client »
historique, chez qui on va chercher « les
éléments daptence et de sensibilité »,
note Maurice Belais. Suit la distribu-
tion : « Quelles sont les offi cines
le produit va sortir ? Les métiers se re-
composent autour du marketing client,
le multicanal client, l’élasticité client,
à partir d’un émetteur laboratoire vers
un prescripteur et un distribu-
teur. Le parcours est moins
tracé quil ne l’a été, sachant
que l’objectif est de trou-
ver du potentiel et d’éviter
la substitution à la sor-
tie. » En termes de profi ls,
les marketeurs vont faire
moins de communication et
plus d’analyse de données.
« C’est du pilotage, ils doivent
indiquer les directions pour évi-
ter le risque d’erreur, estime Mau-
rice Belais. Le deuxième exercice est
de passer d’approches « quali » à des
approches « quanti », et vice versa, ce
qui demande beaucoup de souplesse
intellectuelle. »
Du CRM au DRM
L’approche client est également au
cœur de l’activité de CRM santé. Il
s’agit de gestion de la relation client
(Customer Relationship Manage-
ment), devenue Doctor Relationship
Management (DRM) au sein de la
société dont Marc Salomon est direc-
teur général associé : « La grande ré-
exion dans l’industrie est de savoir
comment faire évoluer les relations
avec les professionnels de santé. C’est
aussi lié à l’évolution de la démogra-
phie médicale et à la féminisation ac-
crue de la profession. Les femmes ont
une manière d’exercer et des relations
avec l’industrie qui sont diff érentes.
L’évolution du profi l des marketeurs
de l’industrie est marquée dans deux
directions : il s’agit de personnes qui
sont plus sensibilisées aux services, qui
connaissent bien les manières d’exercer
des médecins et qui ont des modes de
Marketing
Recentrage sur le client
Le marketing des 4P (produit, prix, promotion, place), c’est terminé !
Désormais priment les notions de valeur perçue par le client, de temps
client, de risques, de délais… La notion de service et les technologies de
l’information sont passées par là.
Nouvelle priorité au « temps client »
Au groupe HEC, on fait de la philosophie opérationnelle. Des notions, qui peuvent
paraître absconses au premier abord, trouvent leur traduction dans des actions terrains.
« Il faut être dans le temps client, explique Maurice Belais. Ce que je vais proposer à
mon client correspond-il à ce qu’il attend ? Ce temps est très volatile. Un client peut
avoir une affi nité pour un laboratoire, c’est une fenêtre d’opportunité de deux ou trois
mois, puis ce client peut changer. D’où la nécessité de re-brasser l’information et de se
remettre en question. Qu’il soit médecin, pharmacien, ARS ou autre, je dois me deman-
der quels sont les drivers de ses centres d’intérêt pour que, par mon information, je
puisse lui donner les éléments qui le rassurent dans son propre travail. Je vais m’eff or-
cer de penser à sa place pour que mon organisation puisse s’adapter à cette réponse. »
DR
« LES MÉTIERS SE RECOMPOSENT
AUTOUR DU MARKETING CLIENT »,
ESTIME MAURICE BELAIS, ENSEIGNANT À
HEC ET PDG DE QUATRAX CONSEIL.
Spécial Métiers
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SEPTEMBRE 2009 - PHARMACEUTIQUES
communication un peu diff érents avec
eux. Deuxième axe, ce sont des gens
très sensibilisés aux technologies de
l’information et aux nouvelles appro-
ches relationnelles. » CRM Santé ap-
partient à CRM Company, qui inter-
vient dans de nombreux secteurs hors
santé. L’agence digitale Megalo(s) fait
également partie du groupe et apporte
un savoir-faire inégalé en communica-
tion numérique. « Ils ont fait un travail
fabuleux pour Lacoste, souligne Marc
Salomon. Les nouveaux outils de com-
munication nécessitent beaucoup d’er-
gonomie et de créativité. Nous nous
appuyons sur cette fertilisation croisée
avec les créatifs de l’univers hors santé.
Le professionnel de santé permet d’in-
tégrer toute la dimension réglemen-
taire et la validation scientifi que. Tout
ce qui est mis en ligne est sous-tendu
par des bases de données épidémiolo-
giques, des revues scienti ques, etc. De
l’autre côté, il y a les génies des nouvel-
les technologies. » CRM Santé réalise
des programmes d’éducation à la santé
destinés aux patients qui reposent sur
une logique pédagogique à trois faces :
Que savez-vous du sujet ? Qui êtes-
vous ? Que faites-vous ? « Auto-évalua-
tion, jeux, personnalisation de l’utili-
sateur et conseils permettent d’initier
un changement de comportement, ré-
vèle Marc Salomon. La plupart des pro-
grammes sont prescrits par le médecin
et ne sont pas destinés à se substituer à
lui. Sous certaines conditions, celui-ci
peut accéder aux données. »
Transversalité en hausse
Le marketing santé doit aujourd’hui
adopter une vision globale, non plus
centrée sur le produit mais capable d’in-
tégrer l’environnement et les services
associés. Et ce, dès son développement.
Les chefs de produit laissent-ils la place
à de véritables chefs de projet ? « C’est
une expression de journaliste, com-
mente malicieusement Jean-François
Roquet, directeur néral assoc du
groupe François Sanchez Consultants.
Le marketing reste une discipline par-
ticulière. Oui, il y a des gens qui sont
chargés de développer un projet de la
recherche clinique jusqu’à la commer-
cialisation, ça s’appelle un directeur. Le
marketing consiste à prendre en charge
un produit qui existe par son AMM,
même si on commence à s’en occuper
avant. » Un point de vue que partage
Marie-Paule Serre, qui dirige un mas-
ter Marketing Santé à L’Université
Pierre et Marie Curie (UPMC) : « Le
marketing est plus proche du déve-
loppement, en eff et, mais ce n’est pas
nouveau. La nouveauté réside dans
une plus forte intégration de l’envi-
ronnement global et en particulier des
conditions économiques d’accès au
marché. Le marketing stratégique se
décide au niveau supranational et se
décline en marketing opérationnel aux
niveaux national, régional et même
local. Certaines entreprises défi nissent
des postes en termes de chef de projet,
mais dans les autres la transversalité
est également beaucoup plus présente,
même si les appellations de fonctions
restent les mêmes. »
Nouvelles cibles
Parmi ces fonctions transversales,
Jean-François Roquet cite les « spécia-
listes produits ou médecins produits
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PHARMACEUTIQUES - SEPTEMBRE 2009
qui font l’interface entre le marketing,
la recherche clinique et la visite médi-
cale. Ils sont chargés de faire travailler
ensemble les collaborateurs aff ectés à
ces diff érentes tâches. On essaie d’éviter
le clivage absurde qui peut exister entre
les fonctions pour s’intéresser plus à
la vie du produit. Le marketing reste
une activité à part entière, mais qui est
mieux intégrée dans le cycle du médi-
cament ». Le changement d’environ-
nement inclut l’apparition de nouvel-
les cibles. Le médecin reste au cœur des
préoccupations, le pharmacien dispen-
sateur est un maillon important, mais
il faut aujourd’hui compter avec les in-
terlocuteurs institutionnels et même les
patients, notamment via leurs associa-
tions. « Les entreprises ne peuvent pas
communiquer directement auprès des
patients sur les produits remboursés,
mais d’autres s’en chargent pour eux,
note Marie-Paule Serre. Il faut donc
suivre ce qui se dit de votre produit sur
Internet, et les entreprises peuvent faire
passer des messages de santé publique
et d’éducation à travers ce média. » Les
nouvelles technologies bouleversent-
elles la donne ? « L’outil Internet sera
plus bouleversant pour la communica-
tion avec les patients qu’avec les profes-
sionnels de santé », estime Marie-Paule
Serre, qui poursuit : « Avec ces derniers,
le développement des logiciels d’aide à
la prescription est un élément plus per-
turbant, car ces outils proposent des
mesures d’optimisation économique
qui peuvent entrer en con it avec un
discours promotionnel. C’est quelque
chose dont on n’a pas encore vérita-
blement mesuré l’impact et qu’il faut
prendre en compte dans les stratégies
marketing. »
Double profi l :
plus que jamais
En termes de formation, « les cursus
doivent être su samment exibles et
les programmes très proches de ces évo-
lutions, souligne Marie-Paule Serre. Il
est important d’avoir un bon substrat
intellectuel, théorique et académique,
qui va permettre d’évoluer, mais aussi
d’avoir le plust possible un pied dans
l’entreprise. Nous proposons des for-
mules d’apprentissage ou de contrats en
alternance qui connaissent un beau suc-
s dans les entreprises, me
au niveau bac + 5. Quant
à la formation continue,
c’est le moyen pour
les cadres de faire des
allers-retours profi ta-
bles entre théorie et
pratique. Une autre
façon est bien sûr de
faire intervenir des
professionnels dans la
formation, en bime avec
des universitaires ». Les étudiants
qui accèdent au master marketing de la
santé de l’UPMC sont médecins, phar-
maciens, biologistes ou ingénieurs bio-
dicaux. « Ils souhaitent acquérir une
compétence complémentaire en ges-
tion et marketing pour aller vers les in-
dustries de santé au sens large, poursuit
Marie-Paule Serre. Pharmacie, dermo-
cosmétique, start-up, matériel dical,
il y des réservoirs et des possibilités d’ex-
pansion et aussi des passerelles entre ces
di érents domaines qui étaient moins
présentes il y a quelques années. Nous
essayons de leur donner une vision large
du secteur des industries de san. »
Nouvelles fonctions
La double compétence reste le sésame
ultime, con rme Maurice Belais. « On
aime les doubles profi ls : statistiques
et marketing, pharma et marketing,
pharma et statistiques, etc car cela per-
met une approche plus transverse. Les
formations donnent une bonne base en
raisonnement, mais il faut en plus une
capaci à s’interroger, une aptitude à
prendre de la hauteur puis à redescen-
dre. C’est diffi cile pour les individus car
cela demande beaucoup de souplesse. »
A l’interface du marketing opérationnel
et du secteur des études de marché, de
nouvelles fonctions font leur apparition,
mais Maurice Belais consire qu’une
fonction fait cruellement défaut dans
les entreprises : « Il s’agit de personnes
capables de faire l’interface entre le mé-
tier et l’informatique. Il faut coder ce
dont le métier peut avoir besoin dans sa
stragie client ou produit, et retraduire
tout cela dans des informations issues de
bases de données, qu’il va falloir recom-
piler, retraiter, pour répondre à la ques-
tion poe. Ce sont des gens qui font
du data management, avec la double
compétence marketing et statistiques,
plus un peu d’informatique. Cela né-
cessite aussi beaucoup de souplesse,
d’adaptabilité et compréhension. Ce
sont plutôt des profi ls à ve-
nir, mais la tendance est
lourde. » Si les doubles,
voire triples pro ls
sont plébiscis, c’est
aussi parce que « la
chne hiérarchique a
été considérablement
raccourcie, à trois ni-
veaux maximum
il y en avait quatre ou
cinq, reve Jean-Fraois
Roquet. Il y a 30 ans, un bloc-
kbuster pouvait mobiliser un chef de
produit junior, un senior, un assistant,
un chef de groupe».
Comportements réactifs
Paradoxalement, les étudiants en mar-
keting ont encore « une vision assez
traditionnelle de la fonction », note
Marie-Paule Serre, qui conclut : « L’at-
tirance reste forte pour ces métiers. Ces
jeunes ont acquis la exibilité par leurs
études et savent qu’ils seront proba-
blement amenés à passer par plusieurs
structures, et adopter des comporte-
ments réactifs. » Le passage par le ter-
rain est-il obligatoire ? C’est variable
selon les entreprises, mais ceux à qui ça
pose un problème « n’ont rien à faire
dans ces métiers », avance Marie-Paule
Serre. Jean-François Roquet illustre par
l’exemple : « J’ai fait recruter une jeune
femme de 25 ans, qui a fait HEC, un
master industries de la santé, un pas-
sage par une universiaméricaine, et
qui démarre comme chef de produit
junior. »
Jocelin Morisson
La double
compétence
reste le sésame
ultime
Spécial Métiers
DR
« LA TRANSVERSALITÉ EST BEAUCOUP PLUS
PRÉSENTE », AVANCE MARIE-PAULE SERRE,
DIRECTRICE DU MASTER MARKETING
SANTÉ À L’UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE
CURIE.
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