Ces gens qui font le théâtre : Rencontres Une chronique de Martin Faucher Entrevue avec Dominique Quesnel, comédienne Fréquenter le théâtre, faire du théâtre m’a amené au fil du temps à rencontrer une multitude d’artistes, des personnalités marquantes, des gens passionnants. Le hasard, les affinités et les circonstances ont déterminé ces rencontres qui font désormais partie de ma vie. Dans la foulée de la préparation des Seconds États généraux, j’ai eu envie de réunir tout simplement certains de ces artistes que j’aime bien afin qu’ils me fassent part de ce qui les anime et préoccupe dans leur pratique théâtrale quotidienne. C’est donc le fruit de ces échanges que je vous livre dans le cadre de cette petite chronique qui accompagnera les parutions des bulletins REGARDS. Martin Faucher J’ai vu jouer pour la première fois Dominique Quesnel en 1988 alors qu’elle était encore étudiante à l’École nationale de théâtre du Canada. Elle livrait une prestation d’une maturité époustouflante pour son âge du rôle de Lola Lee dans « Demain matin, Montréal m’attend » de Michel Tremblay. Depuis, je n’ai eu de cesse de prendre plaisir à la voir interpréter les rôles les plus divers, dont sa lumineuse création du personnage d’Isabelle dans les « Muses orphelines » de Michel Marc Bouchard à l’ancien Théâtre d’Aujourd’hui de la rue Papineau. Cette actrice au magnétisme évident qui possède un timbre de voix unique, rassurant, me renverse toujours. J’ai eu l’immense bonheur de la diriger dans « Britannicus » de Racine en janvier 2006 au Théâtre Denise-Pelletier où elle interprétait la monstrueuse Agrippine. Je considère Dominique Quesnel comme étant une force majeure de notre milieu théâtral, une artiste sincère, impliquée, dévouée entièrement à son art. Je l’ai donc rencontrée le 23 octobre 2006 au Café les Entretiens afin qu’elle me fasse partager ses réflexions sur sa pratique du théâtre. Martin Faucher : Dominique, bonjour. Dis-moi, tu as choisi de consacrer ta carrière au théâtre. Quelle est pour toi la spécificité de l’art théâtral? Dominique Quesnel : La liberté et la lenteur. J’aime prendre le temps. J’aime discuter longuement d’un texte dans la salle de répétition, poser des questions, décortiquer la pièce. C’est ça faire du théâtre, ça a vraiment quelque chose d’artisanal. Au théâtre, l’acteur a beaucoup de pouvoir, son rôle est primordial alors qu’en télé ou en cinéma, l’acteur n’est qu’un élément parmi d’autres. Dans la salle de répétition de théâtre, tout le monde a son mot à dire et l’on se sent écouté. Comme j’ai fait beaucoup de théâtre de création, on se permet encore plus de se poser des questions, d’être au centre du projet. C’est très excitant de faire de la création. Ça me ramène à mes premières lectures de théâtre quand j’étais jeune. Ça me fascinait de regarder les photos des pièces de Marcel Dubé, de Michel Tremblay et de penser que c’était la première fois qu’elles étaient jouées. Participer à une création, c’est carrément faire face à l’inconnu. On ne sait pas comment ça va être reçu, si ça va toucher les gens, ou bien si ce sera insupportable. Savoir que je fais partie de « Là », la création de Serge Boucher chez Duceppe, c’est tellement incroyable! Quand je suis entrée à l’École de théâtre, mon fantasme, c’était de faire partie d’une troupe. J’aimerais faire partie d’un groupe qui ne fait que ça, du théâtre. Le théâtre c’est exigeant, c’est physique. Le corps est impliqué. Il y a un côté « sport extrême ». Avec mon amour du théâtre, j’ai l’impression d’être déphasée, ce n’est pas tellement dans l’air du temps! C’est très étrange ce désir de prendre le temps de travailler tellement fort pour quelque chose de si éphémère. Mais le théâtre est malgré tout quelque chose qui laisse des traces, il y a une certaine durée… M.F. : Qu’est-ce qui t’excite le plus au théâtre? D.Q. : D’abord, le premier appel, l’instant où l’on te propose un nouveau rôle. C’est chaque fois un cadeau extraordinaire qu’on ait pensé à toi. La première lecture du texte aussi. C’est excitant d’anticiper et de rêver à ce que le spectacle sera. Je me souviens de la première lecture de «Britannicus», il y régnait une grande et belle fébrilité. J’aime tous les moments, en fait! J’aime répéter. Je répéterais tout le temps, c’est encore le côté troupe. J’ai déjà participé à un projet où l’on répétait à « l’anglaise », tous les jours de 9 à 5 et c’était très intéressant. Il y avait une telle concentration! M.F. : Comment définis-tu le théâtre, socialement parlant? D.Q. : On vit dans une société où tout va vite, où il est difficile de prendre le temps de s’arrêter. Je pense que nous n’allons pas très bien. Le théâtre peut servir à exprimer ce désarroi, il peut offrir des moments de réflexion collective et c’est précieux. On est dans une société qui zappe sans cesse, mais au théâtre, on ne peut pas zapper! C’est là une de ses forces! Tu peux sortir de la salle ou crier, mais c’est un geste qui sera remarqué. Il y a quelque chose d’intéressant là. J’ai joué cet automne au Théâtre La Licorne dans «Les points tournants». La pièce raconte le voyage initiatique de deux gars un peu paumés à Glasgow, en Écosse. C’était tellement merveilleux d’entendre les jeunes de 15-16 ans parler après le spectacle, de voir que la pièce les avait vraiment touchés et allumés. Une des jeunes filles avait les larmes aux yeux en parlant d’un des personnages qui est un peu « pogné ». Elle s’était complètement reconnue dans ce personnage. C’est ça notre rôle : toucher les gens, susciter des questionnements, ouvrir les yeux, les horizons. C’est sûr que le théâtre ne changera pas le monde… Quoique d’une certaine façon… Oui! On a besoin d’art dans notre société, on a besoin de l’exutoire qu’il permet. Une société sans art, c’est une société quasiment morte. M.F. : Est-ce que notre société prend soin de ses artistes? D.Q. : On a un gouvernement fédéral de droite et c’est très effrayant. Ce gouvernement décide de couper dans l’art, les groupes de femmes, dans tout ce qui est social. Et le théâtre, justement c’est social! Je ne peux pas croire que l’on va continuer dans cette direction-là. C’est incroyable, nous sommes reconnus à l’international, Robert Lepage, Michel Tremblay, Wajdi Mouawad, etc. Mais malgré tout, on coupe drastiquement dans les budgets des compagnies qui font de la tournée! Ces compagnies ne vivent pourtant pas dans l’opulence, on ne parle pas de subventions énormes et ces subventions sont primordiales pour ces compagnies. Dans ce sens, on ne prend pas très bien soin des artistes. M.F. : Est-ce que tu te sens financièrement et socialement protégée dans la pratique de ton métier? D.Q. : Non, je n’ai aucune protection. Il y a toujours des périodes creuses qui reviennent. Comme ça fait 18 ans que c’est comme ça, j’essaie de me calmer! Quand tu décides de faire ce métier-là, tu apprends assez vite qu’il n’y a pas de sécurité. Le théâtre implique sa part de sacrifice ou, du moins, l’adoption d’un mode de vie peu coûteux : je n’ai pas d’enfant, pas de voiture et je n’ai pas un mode de vie qui me demande des moyens financiers extraordinaires. C’est vrai que je ne veux pas crever de faim, mais je n’ai pas de gros désirs matérialistes. La distribution dans «Les points tournants» comportait beaucoup de jeunes pères de familles qui ne peuvent pas vivre de la pratique du théâtre. Les cachets théâtraux n’ont aucun bon sens! Pour joindre les deux bouts, ils doivent pas mal se disperser : le matin, ils tournent pour la télé, l’aprèsmidi, ils courent à une audition. Ça devient difficile de réunir tout le monde en salle de répétition. Le théâtre est un luxe, que l’on paie d’une façon ou d’une autre. M.F. : Qu’est-ce que tu souhaites pour l’avenir du théâtre québécois? D.Q. : Qu’il reste toujours aussi vivant et diversifié, mais avec plus de moyens pour le pratiquer. Il y a tellement de combattants qui accomplissent des miracles avec des moyens de fortune! J’ai peur que ces artistes talentueux abandonnent. Je souhaite aussi que le théâtre soit plus accessible. Que l’on cesse de voir le théâtre comme étant snob. Que le théâtre soit plus présent en milieu scolaire, dès les Centres de la petite enfance. J’ai une nièce de cinq ans qui aime le théâtre, parce que je nourris cet intérêt. Il est important de développer des habitudes théâtrales. Quand j’étais jeune, j’allais dans les cafés-théâtres où ça ne coûtait presque rien. Je me demande parfois si on n’est pas trop entre nous, gens de théâtre. Je souhaite également des directions artistiques qui soient passionnées, curieuses. C’est vivant le théâtre, ça ne doit pas s’encrasser. Ça doit être actuel. Il faut être à l’affût de tout et partout. J’aimerais que les jeunes metteurs en scène et les jeunes auteurs occupent une plus grande place au sein des théâtres institutionnels. Il serait également intéressant qu’il y ait une plus grande présence féminine au niveau des metteurs en scène. Il y a beaucoup de femmes à la direction des théâtres, mais vraiment pas beaucoup de femmes qui pratiquent la mise en scène. Je me demande pourquoi. Est-ce peut-être une question de confiance en nous et de la confiance qui nous est accordée? M.F. : Comment entrevois-tu ton avenir théâtral? D.Q. : Le théâtre a une mémoire et il est bon avec ses artisans. Entre nous, il y a une confrérie. C’est beau cette camaraderie, cette amitié. Je me vois faire du théâtre jusqu’à ma mort et c’est formidable d’avoir un métier où je ne prendrai jamais ma retraite parce que c’est un métier qui me passionne, que j’aime et qui me garde allumée, en vie. Il m’est arrivée des épreuves dans la vie et je me suis toujours raccrochée au théâtre. M.F. : Dominique, merci infiniment pour cet entretien… Et je te souhaite le plus bel avenir théâtral qui soit!