La crise mexicaine de 1994–95
Comment rattacher ces constatations à une expérience con-
crète? Le Mexique constitue une bonne étude de cas, puisqu’il
a été particulièrement touché par la crise financière de
1994–95. Après la dépréciation nominale de près de 47 % du
peso entre janvier et décembre 1995, les prix à la consomma-
tion ont bondi de 52 % sur l’année, le PIB réel a chuté de plus
de 6 % et le chômage déclaré a doublé, passant à 7,4 %
(tableau 1). Par ailleurs, les autorités ont resserré leur politique
budgétaire, notamment en comprimant leurs dépenses de
santé et d’éducation. Le Mexique est un bon exemple pour
notre étude, parce qu’il a fait face à une crise financière grave
et que des données adéquates sont disponibles sur les ménages
avant et après la crise. Nous avons inclus l’analyse micro-
économique en complément de l’étude internationale, qui ne
permet pas de procéder à une analyse plus approfondie de
l’impact des crises sur différents groupes de population.
Notre étude visait essentiellement à estimer le
risque de devenir pauvre avant et après la crise de
1994–95. Pour ce faire, nous avons utilisé les don-
nées issues des enquêtes nationales de 1992, de
1994 et de 1996 sur le revenu et les dépenses (voir
tableau 2). Notre étude va plus loin que les ana-
lyses précédentes de l’impact de la crise mexicaine
sur la pauvreté et la répartition du revenu, car elle
repose sur une enquête incluant des ménages en
régions urbaines et rurales, où se concentre la
pauvreté. De plus, pour calculer les seuils de pau-
vreté, les données sur les dépenses constituent
une meilleure variable représentative du revenu
permanent que les données sur le revenu.
Nous avons constaté une chute de 31 %, entre
1994 et 1996, du revenu mensuel moyen des mé-
nages, aux prix de 1994, et une baisse de 25 % de
leur consommation. Le taux de pauvreté a bondi
d’un peu moins de 11 % en 1994 à près de 17 %
en 1996, les progrès enregistrés de 1992 à 1994
étant ainsi annulés.
En dépit de la tendance générale à la hausse du
taux de pauvreté, les ménages déjà pauvres avant la
crise n’ont pas nécessairement été les plus durement
touchés. En 1992, 1994 et 1996, la probabilité d’être
pauvre était la plus élevée parmi les familles nom-
breuses, les ménages dont le chef est peu instruit,
les travailleurs indépendants, les agriculteurs et les
habitants de régions rurales, des États du Sud et de
la péninsule du Yucatán, relativement plus rurale et
moins intégrée dans l’économie formelle que les
régions du Centre et du Nord. Après la crise, le taux
de pauvreté a augmenté le plus vite parmi les
ménages monoparentaux, ou dont le chef a un di-
plôme d’études secondaires, les retraités, les indé-
pendants et les salariés. Il semble que les pro-
priétaires aient été protégés de la pauvreté au
moment de la crise, parce qu’ils n’avaient pas de
loyer à payer. Par contre, les autres sources de re-
venus, dont ceux du travail, ont tendance à chuter
pendant les crises financières.
Le risque de devenir pauvre après la crise a
augmenté de manière disproportionnée pour les ménages des
régions urbaines et de la péninsule du Yucatán, ainsi que
pour les ménages dont le chef était très jeune ou très âgé. La
crise a frappé les ménages urbains plus durement que les mé-
nages ruraux, malgré des taux de pauvreté plus élevés en mi-
lieu rural — peut-être parce que la montée du chômage et de
l’inflation ont plus d’impact sur les conditions de vie des
pauvres en milieu urbain. Les pauvres des régions rurales ont
été moins touchés, en partie parce qu’ils sont le plus souvent
à l’écart du secteur formel et vivent de leur propre produc-
tion alimentaire, tandis que les citadins sont plus dépendants
de l’économie formelle. En particulier, la probabilité d’être
pauvre a augmenté pour les ménages dont le chef est salarié
du fait de la chute des salaires réels et des prestations. Le fait
que le taux de pauvreté soit plus élevé parmi les très jeunes et
les très vieux pourrait être le signe d’une vulnérabilité parti-
culière de ces groupes.
Finances & Développement / Juin 2002
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Tableau 1
Coup dur pour l’éducation et la santé
Après la crise financière mexicaine de 1994–95, les autorités ont durci
leur politique budgétaire et ont réduit les dépenses d’éducation et de santé.
1994 1995 1996 1997
(variation en pourcentage)
Croissance du PIB réel 4,4 –6,2 5,2 7,0
Prix à la consommation (fin de période) 7,0 52,0 27,7 15,7
Prix à la consommation (moyenne) 7,1 35,0 34,4 20,6
Taux de change effectif réel
(moyenne, dépréciation –)–3,8 –33,2 13,0 17,3
Taux de change nominal
(moyenne, dépréciation –)–7,7 –47,4 –15,6 4,0
(en pourcentage du PIB)
Total des dépenses et des prêts nets123,3 23,0 22,8 23,7
Éducation 3,9 3,7 3,7 3,7
Santé3,6 3,5 3,3 3,7
Sources : autorités mexicaines et estimations des services du FMI.
1Secteur public non financier.
Tableau 2
Au-delà du taux de pauvreté
Le nombre de pauvres a augmenté après la crise au Mexique, mais les inégalités
ont baissé légèrement.
(pourcentage)
Variation
1992 1994 1996 1994–96
Pauvreté
Taux de pauvreté112,7 10,6 16,9 59,9
Écart de pauvreté30,3 25,8 28,8 11,7
Parts dans les dépenses totales
Quintile le plus pauvre 2,8 3,0 3,3 10,0
Quintile le plus riche 62,8 61,9 60,5 –2,2
Coefficient de Gini252,7 51,6 50,2 –2,7
Source : estimations des services du FMI basées sur les enquêtes nationales de 1992, 1994 et 1996 sur les
revenus et les dépenses des ménages.
1La pauvreté est mesurée par la consommation d’un panier de base défini en 1992 par l’Institut national de
statistique, de géographie et d’informatique.
2Le coefficient de Gini est une mesure de l’inégalité, 100 étant une inégalité parfaite et 0 une égalité parfaite.