L’expérience indienne doit en fait être placée dans un cadre plus
large. Du point de vue des normes internationales, l’intégration de
l’Inde à l’économie mondiale a été relativement modeste (Nayar,
2001). Toutefois, des pays en développement qui ont poussé plus
loin la libéralisation de leur économie, ont eu, au mieux, un bilan mi-
tigé (pour l’Amérique latine : Stallings & Peres, 2000 ; pour l’Afrique
subsaharienne : van de Walle, 2003). La performance économique
de l’Inde au regard d’autres pays appelle deux observations.
Premièrement, toute analyse de la performance économique
récente de l’Inde doit tenir compte des conditions de départ, les-
quelles lui étaient relativement favorables dans les années 1980,
grâce à l’existence d’un secteur industriel domestique robuste et
une dette extérieure relativement faible. Deuxièmement, face aux
échecs des politiques de libéralisation préconisées par le « consen-
sus de Washington » dans de nombreux endroits, l’interprétation
« pro- marché » apparaît !nalement erronée. Pour comprendre la
réussite ou l’échec des stratégies de croissance, une analyse du
rôle de l’État est nécessaire.
Dans ce qui suit, nous proposons une lecture politico-économi-
que de l’accélération de la croissance indienne, en mettant l’accent
sur le rôle changeant joué par l’État depuis le début des années
1980 et, tout particulièrement, sur l’abandon progressif de la rhé-
torique et des politiques gauchisantes et anticapitalistes, au pro!t
de la croissance économique et d’un rapprochement graduel entre
l’État et le capital indien. Appelons cette stratégie de développe-
ment « pro-affaires » par opposition à la stratégie « pro-marché ».
En nous basant sur une interprétation « pro-affaires », notre hy-
pothèse de départ est que l’industrialisation rapide de certains pays
en développement – comme la Corée du Sud ou le Brésil à cer-
tains moments – n’a pas été impulsée par des États minimaux et
« pro-marché », mais par des États fortement interventionnistes qui
ont donné une priorité absolue à la croissance économique. Pour
ce faire, ils ont appuyé les capitalistes, réprimé la main-d’œuvre,
mobilisé le nationalisme économique pour garantir un minimum de
cohésion sociale, et orienté la production vers le marché domesti-
que et l’exportation (Kohli, 2004).
Nous expliquerons ce processus en trois étapes analytiques.
Dans un premier temps, nous opposerons les orientations politiques
plus redistributives des années 1980 à celles favorables à la crois-
sance et aux affaires qui ont dominé par la suite, en soulignant la