© Elisabeth Carecchio
ENTRETIEN STÉPHANE BRAUNSCHWEIG
THÉÂTRE NATIONAL DE LA COLLINE
DE SAMUEL BECKETT / MES STÉPHANE BRAUNSCHWEIG
GLÜCKLICHE TAGE
(OH LES BEAUX JOURS)
Créé au Schauspielhaus de Düsseldorf en avril dernier, la version
allemande de Oh les beaux jours signée par Stéphane Braunschweig est
présentée au Théâtre de la Colline. Avec, sur scène, Claudia Hübbecker
et Rainer Galke.
Le désir de mettre en scène Oh les beaux
jours naît souvent de la rencontre avec une
actrice. Est-ce le cas pour vous ?
Stéphane Braunschweig : Oui, j’ai décidé de
créer Oh les beaux jours pour Claudia Hüb-
becker. J’ai fait sa connaissance à Düsseldorf,
lorsque j’ai mis en scène Woyzeck. Puis je lui
ai demandé de jouer dans Jours souterrains*.
C’est une comédienne assez atypique, que
j’aime beaucoup. Elle est à la fois d’une grande
puissance comique et d’une extrême sensibi-
une scénographie. Mais en y réfléchissant, je
me suis dit qu’il était possible de créer quelque
chose d’un peu inattendu.
C’est-à-dire ?
S. B. : J’ai essayé de faire un pont entre Bec-
kett et le monde d’aujourd’hui. C’est ça, le
travail d’un metteur en scène : faire résonner
une pièce dans l’actualité. J’ai respecté toutes
les indications de Beckett, mais j’ai revisité le
dispositif scénique en y intégrant des images
“CLAUDIA HÜBBECKER
A QUELQUE CHOSE
D’UN CLOWN ANGOISSÉ
PAR LA FIN DU MONDE.”
Stéphane BraunSchweig
lité. Claudia a quelque chose d’un clown : d’un
clown angoissé par la fin du monde.
Ce qui est un bon début pour interpréter
Winnie…
S. B. : C’est vrai ! Lorsque je me suis mis à
chercher un texte pour elle, j’ai réfléchi à tou-
tes sortes de choses. Puis Oh les beaux jours
s’est imposé. J’ai pensé qu’elle serait formida-
ble dans le rôle de Winnie. Même si j’adore le
théâtre de Beckett, je n’avais jamais vraiment
pensé à m’en emparer avant cela.
Pourquoi ?
S. B. : Parce qu’il s’agit davantage d’une matière
pour acteurs que d’une matière pour metteurs
en scène. Je veux dire par là que le cadre de ce
théâtre est extrêmement réglé. Or, lorsque je
mets en scène une pièce, j’ai besoin de rêver sur
virtuelles. Cela, sans trahir quoi que ce soit
de la pièce, et sans l’actualiser. La réalité de
Winnie est dédoublée, ce qui accentue la bru-
talité, la cruauté de la situation.
Quel regard avez-vous porté, avec Claudia
Hübbecker, sur le personnage de Winnie ?
S. B. : Nous n’avons pas voulu faire de Win-
nie une bourgeoise frivole mais, au contraire,
une femme qui a conscience du tragique de
sa situation, une femme qui se sert du lan-
gage pour surmonter l’angoisse qui l’envahit.
Ma mise en scène de Oh les beaux jours n’est
pas légère. Elle est plutôt existentielle, ce qui
n’interdit bien sûr pas le rire.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
* Pièce de Arne Lygre mise en scène par Stéphane
Braunschweig. Voir La Terrasse n° 195, février 2012.
Théâtre national de La Colline, 15 rue Malte-
Brun, 75020 Paris. Grand Théâtre. Du 10 au 14
juin 2014. Du mercredi au samedi à 20h30, le
mardi à 19h30. Spectacle en allemand, surtitré
en français. Tél. 01 44 62 52 52. www.colline.fr
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CRITIQUE
THÉÂTRE DU SOLEIL
DE SHAKESPEARE / TRADUCTION ET MES ARIANE MNOUCHKINE
MACBETH
Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil proposent un Macbeth empli de
fureur et de beauté. Un théâtre grandiose aussi vivifiant que l’air d’Inverness !
Et une façon d’être alerté sur les routes qui conduisent au pire…
CRITIQUE
THÉÂTRE DE PARIS
DE ISABELLE LE NOUVEL / MES NIELS ARESTRUP
BIG APPLE
Un couple un peu usé redécouvre la
force de l’amour dans l’adversité.
Marianne Basler et Christophe
Malavoy portent cette histoire
sans relief.
Le temps bien sûr avait doucement engourdi
l’ardeur dans le tiède roulis des habitudes
et le désir gisait, tranquillement, parmi les
bibelots du quotidien. Bien sûr l’ancienne
flamme veillait toujours, brûlant parfois
leurs solitudes à peine effleurées. Brod,
collé devant l’écran XXL, ronchonnait contre
la bêtise savamment dosée des programmes
télévisés, tandis que Sist continuait de rêver
de voyage par surprise. L’amour ronronnait
pourtant encore sous les draps, froissés par
tant d’années. Le premier tableau semblait
donc s’encroûter dans la peinture à gros
© Marthe Lemelle
Confrontés à la maladie, Brod et Sist retrouvent
la complicité de l’amour.
traits de ces couples usés à force de routine.
Sauf que l’attente d’une docte lettre portant
des résultats d’analyses médicales vient
soudain troubler cet équilibre : Brod sem-
ble condamné et, plutôt que de subir sans
espoir un traitement terrassant et d’agoniser
à l’hôpital, préfère vivre en ignorant son mal
et redécouvrir la saveur vive de l’instant pré-
sent. Décapant la poussière qui avait terni
l’éclat des sentiments, la maladie va alors
resserrer les liens qui les attachent l’un à
l’autre et ressusciter des projets communs.
DOULEUR INTÉRIEURE
Les voilà qui préparent enfin leur séjour à
New York, si souvent évoqué, jamais réalisé…
Ce ressort dramatique n’empêche malheu-
reusement pas le texte de s’assoupir dans
une tranchée narrative des plus plates, bien
qu’encombrée de philosophailleries tas-
sées à petits coups d’explications répétées.
Auteur de bonne volonté, Isabelle Le Nouvel
brode en effet sur cette trame des réflexions
sur le temps qui reste, la mort qui guette, le
déni de réalité, le choix de l’euthanasie, la
force de l’amour… Quelques fois touchantes,
les paroles restent cependant plombées par
trop de commentaires et coulent dans les
sillons tout tracés des lieux communs. Gui-
dés par le metteur en scène Niels Arestrup,
les comédiens peinent à donner du relief à
l’histoire. Christophe Malavoy, en dépit de
quelques moments d’intense émotion, paraît
mal à l’aise avec son personnage. Malgré la
délicatesse de son jeu, Marianne Basler est
bloquée sur la même note, tenaillée par une
douleur intérieure à fleur de peau. « Il faut se
contenter de découvrir, mais se garder d’ex-
pliquer » disait Georges Braque à propos de
la création artistique. A méditer…
Gwénola David
Théâtre de Paris, 15 rue Blanche, 75009 Paris.
Du mardi au vendredi à 21h, samedi à 17h
et 21h, dimanche à 15h, relâche lundi.
Tél. 01 42 80 01 81.
Réagissez sur www.journal-laterrasse.fr
Quelle époustouflante mise en scène ! Et quel
colossal travail ! La pièce déploie avec une
maestria confondante l’effrénée et implaca-
ble course vers le pire qui saisit Macbeth, ins-
crivant l’ivresse de pouvoir qui le frappe et le
métamorphose au cœur d’un monde sauvage et
sophistiqué, un monde d’hier et d’aujourd’hui,
cosmique et domestique, fantastique et his-
torique. Autant d’aspects qui s’imbriquent, se
répondent, et résonnent dans l’époque et dans
notre époque, chacune avec son lot d’éternel
et de conjoncturel. Autant de contrastes et de
contraires dans l’âme humaine qui rivalisent
et bataillent. Loin de se cantonner à un point
de vue sur l’œuvre, loin d’une actualisation
univoque, le théâtre d’Ariane Mnouchkine se
confronte remarquablement à l’exceptionnelle
richesse de cette matière littéraire, à la formi-
dable entreprise de dévoilement que le texte
met en œuvre. L’ambition de ce théâtre est très
haute, et le résultat est à la hauteur. Le retour
de Macbeth au Château d’Inverness, dans un
jardin délicieux (acte I scène 5 à 7), lieu bientôt
souillé par le crime, ou le banquet autour du
nouveau couple royal (acte III, scène 4) sont
parmi d’autres des scènes captivantes d’une
grande beauté.
TORTURE MENTALE
C’est avec nuance, netteté et clarté que l’hor-
reur est en marche. « Le beau est immonde
L’immonde est beau » : fameuse réplique au
début de la pièce d’une des trois « sœurs fati-
diques », leur prédiction qu’il sera roi va bientôt
foudroyer la raison et l’honneur de Macbeth,
et de son épouse, qui évince avec frénésie
tout scrupule. Macbeth assassine le vieux roi
Duncan, puis ceux qui nourrissent sa peur et
l’entravent. Serge Nicolaï compose un Mac-
beth marquant. En commettant l’irréparable,
le noble général, l’époux comblé pénètre dans
une zone de non-droit total autant que de tor-
ture mentale, et son visage et son corps en sont
transformés. Une quarantaine de comédiens –
certains plus fragiles que d’autres – investit le
plateau avec une maîtrise et une énergie sans
faille. Les divers lieux – la lande, les châteaux,
la forêt de Birnam… – sont matérialisés par de
multiples et impressionnants décors, dont les
changements à vue constituent un ballet mil-
limétré et un savoureux spectacle en soi. L’ar-
tisanat du théâtre atteint ici des sommets. La
musique de Jean-Jacques Lemêtre contribue
à cette réussite. Après Richard II, La Nuit des
Rois et Henri IV dans les années 80, ce retour
à Shakespeare scintille « tel un météore dans
la noire atmosphère »* !
Agnès Santi
*Coleridge à propos de Shakespeare,
Table Talk, 1833.
Théâtre du Soleil, Cartoucherie, 75012 Paris.
Jusqu’au 13 juillet puis à partir du 8 octobre,
du mercredi au vendredi à 19h30, samedi
à 13h30 et 19h30, dimanche à 13h30.
Tél. 01 43 74 24 08. Durée : 4h avec entracte.
Texte publié aux Editions théâtrales,
Théâtre du Soleil.
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© Michèle laurent
Le couple Macbeth et le pouvoir :
ivresse absolue.