Texte de la 230e conférence de l`Université de tous les

Texte de la 230e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 17 août 2000.
Les matériaux magnétiques : de la boussole à l'électronique de spin
par Michel Piecuch
Les matériaux magnétiques sont omniprésents dans notre environnement. Une voiture
moderne, par exemple, peut contenir jusqu'à 70 dispositifs différents utilisant ces matériaux
comme des moteurs électriques, des actionneurs ou transmetteurs de mouvement, des
capteurs... Leur présence cachée au sein d'innombrables objets technologiques reste cependant
mystérieuse comme le mot lui même. Nous essayerons, dans la suite, d'éclairer le
fonctionnement de ces matériaux et les concepts scientifiques qui les sous tendent.
Un peu d'histoire
L'histoire des matériaux magnétiques remonte à une époque très ancienne, à peu près
contemporaine à la découverte du fer. Les premières mentions de l'existence des aimants
écrites par les Grecs, datent d'environ 800 avant Jésus-Christ*, le nom de « magnétés » est
rapporté par plusieurs philosophes. L'origine de ce nom est controversée, ma version préférée
est celle de William Gilbert, médecin de la reine Élisabeth I qui dit la tenir de Pline, le nom de
magnétite viendrait du nom du berger Magnés : « Les clous de ses sandales et le bout ferré de
son bâton pastoral se sont collés à une pierre magnétique quand il gardait son troupeau ».
Parallèlement aux grecs, les chinois découvrirent également les aimants, mais ils
remarquèrent, découverte décisive, la directivité des pierres d'aimants dans le champ
magnétique terrestre. Un instrument directif constitué d'une cuillère posée sur un plateau est
représenté dans une peinture datant d'environ 50 après Jésus-Christ. Une boussole chinoise
classique est constituée d'un poisson en fine tôle de fer porté au rouge puis trempé dans l'eau
froide et mis au dessus d'un bol d'eau; il indique le nord magnétique (vers l'an 1000).
En Europe, le premier livre sérieux sur le sujet De Magnete fut publié par Pierre
Pèlerin de Maricourt en 1269. Il fut celui qui parla le premier de pôle magnétique.
La science moderne du magnétisme est plus tardive et date des découvertes de Charles
Augustin Coulomb. En utilisant une balance de torsion, il établit la loi de variation de la force
magnétique en fonction de la distance (1785).
* Des références historiques plus détaillées peuvent être trouvées dans "Magnétisme", volume 1
Fondements. Sous la direction d'Etienne du Trémolet de Lachaisserie Presses universitaire de Grenoble 1999.
Une expérience très importante fut faite en avril 1820 par le physicien danois Hans
Christian Oersted. Il montra qu'un fil parcouru par un courant électrique produit un champ
magnétique : « une boussole placée à proximité de ce fil est déviée quand le fil est parcouru
par un courant électrique ». Cette découverte est à l'origine de tous les moteurs électriques :
l'interaction d'un matériau magnétique avec un courant électrique produit du mouvement.
Michael Faraday découvrit, l'année suivante (1821), le phénomène d'induction : un
champ magnétique variable placé à proximité d'une spire crée un courant électrique dans cette
spire. C'est la découverte du processus qui produit de l'électricité dans les dynamos et les
alternateurs. Avec les découvertes d'Oersted et de Faraday s'ouvrait l'ère de la deuxième
révolution industrielle, on avait les moyens de produire de l'électricité et on savait l'utiliser
pour faire des moteurs.
La physique du magnétisme
CONCEPTS DE BASE
Les deux concepts centraux dans la physique du magnétisme sont les concepts de
champ et de moment magnétique.
L'objet magnétique le plus simple est un aimant permanent. Cet aimant exerce une
force sur un autre aimant ou sur des matériaux magnétiques comme le fer. Si on observe deux
aimants en train d'interagir, ils s'attirent ou se repoussent, il y a une action à distance, c'est le
champ magnétique produit par l'un des aimants qui interagit avec l'autre aimant. Si l'un des
deux aimants est libre, il tourne si il est dans le « mauvais sens », on dit que l'aimant a deux
pôles. Deux pôles identiques se repoussent, deux pôles différents s'attirent. Pour préciser cette
notion de pôles, on définit le moment magnétique, qui est un vecteur allant du pôle sud au
pôle nord. Un aimant possède donc un moment magnétique et ce moment produit un champ
magnétique.
Le plus simple des circuits électriques est une boucle de courant. Elle est équivalente à
un aimant permanent (fig. 1). Le moment magnétique de la boucle est un vecteur
perpendiculaire au plan de la boucle et dont l'intensité est donnée par le produit de l'intensité
du courant électrique passant dans la boucle par sa surface. Le champ magnétique produit par
la boucle est alors donné par les mêmes formules que le champ électrique produit par un
dipôle électrique (deux charges de signe contraire).
Pole Nord
Pole Sud
+
-
Moment magnétique
Circuit électrique
Figure 1 Une boucle de courant (un circuit) et un aimant sont des sources de champ
magnétique équivalentes, on les représente par un vecteur, le moment magnétique.
La force exercée par un champ magnétique sur un moment magnétique (par un aimant
sur un autre aimant par exemple), repose sur un principe très simple : elle est fondée sur la
recherche de l'énergie minimum. L'énergie d'interaction entre un champ magnétique et un
moment magnétique est donnée par le produit scalaire des deux vecteurs :
θ est l'angle entre les deux vecteurs. Le moment magnétique d'un aimant va donc
vouloir s'aligner avec le champ magnétique (pour rendre l'angle plus petit ou le cosinus plus
grand), il va tourner, et ensuite l'aimant va aller vers le champ maximum, comme le champ
croit quand on s'approche d'un aimant, c'est ce qui explique l'attraction de deux aimants.
L'ORIGINE MICROSCOPIQUE
La mécanique quantique décrit le mouvement des électrons dans les atomes.
Classiquement, on peut imaginer, un électron en train de décrire une orbite autour du noyau
de l'atome. Cette charge électrique en train de tourner est équivalente à une boucle de courant
et produit donc un champ magnétique, le moment magnétique correspondant est appelé
moment magnétique orbital. L'électron a un autre moment magnétique, que l'on peut imaginer
comme correspondant au mouvement de rotation propre de l'électron (l'électron comme la
terre tourne autour du noyau (le soleil) et sur lui même), mais qui, en fait, ne peut être compris
qu'avec la mécanique quantique. Ce moment magnétique est proportionnel à un vecteur
décrivant cet état de rotation propre que l'on appelle « le spin ». Une telle description tend à
faire croire que tous les atomes portent un moment magnétique (somme des moments orbitaux
et de spin de tous les électrons présents dans l'atome). Cependant, le principe de remplissage
des différents états électroniques de l'atome, le principe d'exclusion de Pauli (les électrons
sont d'incorrigibles individualistes et on ne peut avoir deux électrons dans le même état) et la
construction par couches successives font que les moments magnétiques se compensent. Dans
une couche complète, par exemple, deux électrons ne peuvent avoir le même état orbital que
si leurs spins sont différents c'est à dire opposés (un des électrons tourne dans un sens, l'autre
dans l'autre). Malgré tout, pour des couches atomiques incomplètes, il reste un moment
magnétique atomique et donc presque tous les atomes portent un moment, l'unité de moment
magnétique des atomes est le magnéton de Bohr qui correspond au moment de spin d'un
électron indépendant.
Quand on construit des molécules, les mécanismes qui régissent les liaisons chimiques
sont fondés sur la construction de couches complètes (deux atomes, dont l'un a N électrons de
valence (les électrons de sa couche incomplète) et l'autre M, forment une liaison chimique si
M+N=8, c'est à dire si le nombre total d'électrons de valence correspond à une couche
complète) et donc les molécules ne portent pas de moments magnétiques (dans une couche
complète il y a autant d'électrons de spin dans un sens que dans l'autre et autant d'électrons
tournent autour du noyau dans un sens que dans l'autre). Ces composés acquièrent cependant
un moment sous l'action d'un champ magnétique, ce moment tend à créer une réaction au
champ appliqué : il lui est opposé, ces matériaux dit diamagnétiques sont donc repoussés par
un champ.
Quand les atomes possèdent des couches qui n'interviennent pas ou peu dans la liaison
chimique, comme les électrons dit « d » des métaux de transition dont la première série va du
scandium au cuivre en passant par le fer, le cobalt et le nickel, ou comme les électrons « f »
des terres rares (série qui va du lanthane au lutécium en passant par le gadolinium), les atomes
conservent un moment magnétique dans l'état solide. L'état le plus simple de ces solides est
l'état paramagnétique où les moments magnétiques des différents atomes sont désordonnés, un
paramagnétique a un moment global qui est donc la somme vectorielle de moments
désordonnés, ce moment global est nul sous champ nul. Quand on applique un champ, il lui
est proportionnel et est dans le même sens que lui.
LE COMPORTEMENT COLLECTIF DES MOMENTS MAGNÉTIQUES
ATOMIQUES
Les moments magnétiques d'atomes différents interagissent entre eux, de façon directe
par ce qu'on appelle l'interaction dipolaire (le champ magnétique créé par un moment
magnétique interagit avec un autre moment pour l'aligner dans le champ produit), mais aussi
et surtout par des effets plus subtils que l'on appelle interaction d'échange, produisant une
énergie d'interaction entre les moments magnétiques de deux atomes. Il existe deux types
d'interactions : l'interaction ferromagnétique qui favorise la configuration où les deux
moments magnétiques sont parallèles et l'interaction antiferromagnétique qui favorise l'état où
les deux moments sont antiparallèles. Un matériau ferromagnétique est un matériau où toutes
les interactions sont ferromagnétiques. Il a donc un moment permanent macroscopique qui est
la somme de tous les moments magnétiques de ses atomes (qui sont tous parallèle). Un
matériau antiferromagnétique a ses moments alternativement dans un sens puis dans l'autre, il
se comporte globalement comme un paramagnétique puisque son moment global (la somme
des moments magnétiques atomiques ou aimantation) est également nul en l'absence de
champ appliqué. La théorie du ferromagnétisme fut faite par Pierre Weiss au début de ce
siècle, la théorie de l'antiferromagnétisme par Louis Néel en 1932 ( Prix Nobel 1970).
Cette description de l'ordre est valable au zéro absolu, si on augmente la température,
deux mécanismes sont en compétition, la température, d'une part, tend à favoriser l'agitation
thermique et donc le désordre des moments et l'énergie d'interaction, d'autre part, tend à
aligner ces moments. Il y a donc, une température dite température de Curie (dans un
ferromagnétique) au dessous de laquelle les spins de tous les atomes sont rangés (au dessus de
la température de Curie le désordre l'emporte sur l'ordre et le solide devient paramagnétique).
LES MATÉRIAUX FERROMAGNETIQUES
La plupart des matériaux magnétiques utilisés dans des applications sont
ferromagnétiques. Le comportement d'un ferromagnétique sous champ appliqué est décrit par
ce qu'on appelle le cycle d'hystérésis (fig. 2). Si on part d'une situation où le corps
ferromagnétique a un moment global nul et l'on applique un champ, le moment magnétique
mesuré va croître assez rapidement jusqu'à une situation où tous les moments magnétiques
atomiques sont alignés avec le champ extérieur, c'est la saturation qui correspond pour du fer
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