Quatre essais sur la structure de propriété et de contrôle des

Quatre essais sur la structure de propriété et de
contrôle des sociétés cotées
Synthèse
Le gouvernement d’entreprise est au cœur des réformes visant à promouvoir
la stabilité et la croissance des marchés. La crise sur les marchés asiatiques en 1997
aurait été attribuée à une mauvaise gouvernance et à une protection laxiste des petits
investisseurs. Les récents scandales financiers (Enron, Worldcom, Parmalat…) ont
également incité les autorités à réfléchir aux améliorations à apporter à l’arsenal
juridique existant. Le High Level Group of Company Law Experts a ainsi dénoncé,
dans un rapport établi pour la commission européenne, les structures pyramidales,
les classes d’actions à droit de vote différencié et toutes les entorses à la règle
d’«une action - un droit de vote »1. Ces mécanismes favoriseraient les conflits
d’intérêts entre les actionnaires contrôleurs et les autres parties prenantes ; il
faciliterait en particulier la « privatisation » des bénéfices2. Ce groupe de travail
invite au contraire à respecter la stricte proportionnalité entre la propriété et le
contrôle. Il va même dans ses recommandations jusqu’à demander le retrait des
entreprises pyramidales des marchés boursiers ou l’interdiction de cotation des
holdings sans activité opérationnelle.
La protection des investisseurs préoccupe également les universitaires. Adam
Smith (1776) était le premier, dans La Richesse des Nations, à souligner les
problèmes induits par la séparation entre la propriété et le contrôle. Selon lui, on ne
peut s’attendre à ce que ceux qui gèrent l’argent des autres déploient les mêmes
efforts et la même vigilance que ceux qui gèrent leur propre argent. En 1976, Jensen
et Meckling formalisent la théorie de l’agence. Ils montrent que moins le dirigeant
1 Le “High Level Group of Company Law Experts” a remis à la Commission Européenne deux
rapports en 2002 : « Report on Issues Related to Takeover Bids » et « Report on a Modern
Company Law in Europe ». Ces rapports peuvent être consultés sur le site http://europa.eu.int.
2 Les bénéfices privés sont les richesses (pécuniaires ou non pécuniaires) soustraites du partage
avec les autres actionnaires par les actionnaires contrôleurs.
1
participe au capital de l’entreprise, plus il risque d’entreprendre des projets
d’investissement à valeur actuelle nette négative.
Le débat en matière de gouvernement d’entreprise s’est longtemps limité aux
conflits entre dirigeants et actionnaires, dans le prolongement de l’analyse de Berle
et de Means au début du siècle. Il a fallu attendre le travail de La Porta et alii (1999)
puis de Claessens et alii (2000) et de Faccio et Lang (2002) pour recentrer l’analyse
sur les relations entre actionnaires. En effet, ces auteurs montrent la prédominance
internationale des structures de contrôle concentré, les entreprises à actionnariat
diffus étant, en dehors des États-Unis et du Royaume-Uni, l’exception. Ils mettent
en évidence également un recours important aux actions à droits de vote
différenciés, aux structures pyramidales et aux participations croisées pour réussir à
maintenir le contrôle avec une faible participation au capital. Les coûts d’agence
dans ces structures naissent surtout du risque d’une redistribution inégalitaire des
richesses (Bebchuk et alii (2000), Burkart et alii (1997), Shleifer et Wolfenzon
(2002) et Wolfenzon (1999)).
Notre thèse tente donc de répondre à la question : quelles sont les
caractéristiques et les enjeux de la structure de propriété et de contrôle des sociétés
cotées françaises ? Plus précisément, la répartition du capital et du contrôle
influence-t-elle la valeur de la firme, le suivi de l’entreprise par les analystes et le
niveau d’endettement ?3 Ces questions sont traitées en quatre chapitres.
Le premier chapitre analyse la répartition du capital et du contrôle des sociétés
cotées françaises. Nous avons reconstitué la structure de propriété et de contrôle
d’un échantillon de 560 sociétés cotées en 2000, avec la volonté d’éviter autant que
possible les limites des études antérieures soulignées par Hamon (2001) : d’une part,
nous avons remonté les chaînes de contrôle jusqu’à l’actionnaire ultime, sans nous
3 Gérard Charreaux (1997) considère que le champ du gouvernement d’entreprise n’est pas
circonscrit aux seules relations entre les dirigeants et les actionnaires et recouvre diverses
questions en relation avec la répartition des pouvoirs au sein des sociétés, avec la délimitation
des pouvoirs décisionnels des dirigeants, et avec les relations des sociétés avec leurs partenaires
2
arrêter aux seules sociétés cotées ; d’autre part, nous avons identifié tous les
mécanismes de contrôle (actions sans droit de vote, actions à droit de vote double,
limitation de vote, structures pyramidales, participations croisées…) ; enfin, nous
avons mis en évidence les liens familiaux entre les actionnaires contrôleurs et les
dirigeants en place. Les résultats montrent que la France, contrairement aux Etats-
Unis, présente un contrôle concentré et une séparation importante entre les droits
aux cash flows et les droits au contrôle. Cette séparation résulte principalement de la
forte utilisation des actions à droit de vote double (variable omise dans les études
précédentes) et des chaînes de contrôle pyramidales. Ce type de structure donne à
l’actionnaire contrôleur aussi bien le pouvoir (concentration du contrôle) que
l’incitation (séparation entre la propriété et le contrôle) de privilégier ses intérêts à
ceux des autres parties prenantes. La relation d’agence typique en France oppose
donc moins les dirigeants professionnels et l’ensemble des actionnaires, que les
actionnaires contrôleurs et les actionnaires minoritaires. Nous relevons par ailleurs
la prépondérance d’entreprises familiales et les accointances fréquentes entre les
actionnaires contrôleurs et l’équipe dirigeante, de nature à aggraver le risque
d’expropriation.
La concentration du contrôle et la séparation entre les droits aux dividendes et
les droits au contrôle caractérisent donc les sociétés cotées françaises. Ce type de
structure de propriété et de contrôle a-t-il une influence sur la valeur de la firme ? Le
chapitre 2 étudie la question sur un échantillon de 510 entreprises cotées françaises.
Les résultats confirment l’hypothèse d’enracinement. La concentration du contrôle
et, bien plus encore, la séparation entre les droits aux cash-flows et les droits au
contrôle, affectent la valeur de l’entreprise. Lorsqu’un actionnaire contrôle
l’entreprise avec un faible apport en capital, les investisseurs craignent la prise de
décisions préjudiciables à leurs intérêts et exigent une prime de risque plus élevée.
Plusieurs mécanismes permettent de dissocier la participation au capital et le
périmètre de contrôle. Nous avons alors recherché le(s) dispositif(s) à l’origine de la
décote de valeur. Pour ce faire, nous avons calculé l’écart entre les droits aux cash-
flows et les droits au contrôle engendré par le recours à un levier de contrôle donné.
Les résultats font apparaître les chaînes pyramidales comme le mécanisme à
3
l’origine de la plus forte décote de valeur. Enfin, nous mettons en évidence un effet
positif de la présence d’un second actionnaire contrôleur familial sur la valeur de la
firme. Un tel actionnaire semble exercer un rôle de contre-pouvoir et réduire la
latitude de l’actionnaire contrôleur le plus important.
La dernière décennie a vu l’émergence d’une littérature financière abondante
consacrée à l’activité des analystes. Pour autant, l’effet de la séparation entre la
propriété et de contrôle sur le suivi des entreprises par les analystes financiers n’a
été que peu étudié. Le chapitre 3 propose d’analyser cet effet sur un échantillon de
393 entreprises cotées françaises en 1999 et en 2000. Le nombre d’analystes ne peut,
par nature, prendre des valeurs non entières ou négatives. Ces particularités nous ont
conduit à utiliser un modèle de régression spécifique, « count data regression ».
Nous trouvons que le nombre d’analystes augmente avec l’écart entre les droits
financiers et politiques de l’actionnaire contrôleur mais diminue avec la seule part de
contrôle. Un contrôle concentré ne semble pas attirer les analystes : l’actionnaire
contrôleur aurait moins besoin de rendre des comptes. Autrement dit, un contrôle
concentré pourrait signifier, pour les analystes, un accès à l’information difficile,
coûteux et peu de clients potentiels. En revanche, quand la propriété et le contrôle
sont séparés, les petits porteurs se répartissent l’essentiel du capital et encourent un
sérieux risque d’expropriation. Sils ne peuvent se fier à l’information diffusée par la
société pour défendre leurs intérêts, ils pourraient requérir les services des analystes.
Globalement, les analystes gagneraient à suivre les sociétés contrôlées avec une
faible propriété, la demande supplémentaire anticipée faisant plus que compenser les
coûts de collecte de l’information. Par ailleurs, le chapitre 3 teste l’effet de
l’affiliation à une pyramide sur l’activité des analystes financiers. Nous montrons
qu’un plus grand nombre d’analystes suit les entreprises affiliées à une pyramide,
ceteris paribus. Dans les structures pyramidales, les actionnaires minoritaires
pourraient préférer se fier aux informations des analystes qu’à l’information
comptable, lacunaire et/ou suspectée de manipulation.
La « privatisation » des bénéfices par les actionnaires contrôleurs peut prendre
plusieurs formes, notamment la diversion des ressources empruntées. Les créanciers
4
financiers peuvent être assimilés à des partenaires minoritaires dans la mesure où ils
ont un droit sur les cash-flows de l’entreprise mais pas un droit au vote. Le chapitre
4 étudie l’endettement financier dans les structures de contrôle minoritaire (SCM)4.
Sur un échantillon de 377 entreprises non financières cotées françaises, nous
établissons, contrairement aux résultats de l’unique étude existante (Faccio et Lang
(2005)), une relation non linéaire entre d’une part, le niveau de séparation entre les
droits aux flux et les droits au contrôle et d’autre, l’endettement financier, et ce
grâce à une modélisation à changement de régime (switching regression). Quand
l’écart entre les pourcentages de contrôle et de capital est inférieur à 10,2%,
l’endettement apparaît limiter l’expropriation ; au-delà de ce seuil, il la faciliterait.
Autrement formulé, les entreprises avec un faible risque d’expropriation pourraient
plus facilement se financer par emprunt, toutes choses égales par ailleurs. Le
chapitre 4 éclaire également le rôle du second actionnaire contrôleur dans les SCM.
Nous montrons en effet que les firmes affiliées à un groupe ou avec une forte
séparation entre la propriété et le contrôle présentent un endettement élevé lorsque le
second actionnaire détient un pouvoir d’opposition significatif. Ce dernier limiterait,
par son activisme, le risque d’expropriation élevé, et encouragerait les créanciers à
accorder des prêts.
Bibliographie
Bebchuk, L.; Kraakman, R., et Triantis, G. 2000. Stock Pyramids, Cross-Ownership,
and Dual Class Equity: The Creation and Agency Costs of Separating Control
from Cash Flow Rights. In: Morck, R.K., ed.: Concentrated Corporate
Ownership (University of Chicago Press, Chicago, IL).
Burkart, M.; Gromb, D. ; et Panunzi, F. 1997. Large Shareholders, Monitoring, and
the Value of the Firm. Quarterly Journal of Economics 112, 693–728.
Charreaux, G., 1997. Le gouvernement d’entreprise. In: Simon, Y. et Joffre, P. ed. :
Encyclopédie de Gestion. Economica, pp 1652-1662.
4 Les SCM sont les structures dans lesquelles le contrôle est obtenu moyennant une participation
au capital inférieure aux droits au contrôle.
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