Supplément au journal
Charleville-Mézières magazine
N° 85 - décembre 2004
istoire
H
par Gérald
Dardart
AA
AApartir de novembre 1941, des centaines d’Israélites, d’origine
étrangère, résidant à Paris, sont conduits dans les Ardennes, afin
de travailler dans les fermes réquisitionnées par l’occupant.
Dernièrement, Serge René m’a confié les photos de la famille Kombrat,
placée à Champigneul-sur-Vence. En janvier 1944, les Allemands
l’emmènent à Charleville, puis au camp de Drancy. Tous les membres de
cette famille seront assassinés à Auschwitz en janvier 1944.
La grande rafle
du 5 janvier 1944
Les Israélites arrivent à Champigneul-sur-
Vence, le 31 juillet 1942. Le 31 janvier 1943, le
groupe se compose de 7 hommes et 6 femmes. A
Paris, ils exerçaient les métiers de coiffeur, marchand
de tissus, tailleur... Parmi eux, la famille Kombrat,
Frydel né à Varsovie le 24 août 1900, Raszla née à
Varsovie le 22 janvier 1908 et Gitta née elle aussi à
Varsovie, le 24 avril 19246. Ils ne sont pas astreints à
porter l’étoile jaune. Ils perçoivent un petit salaire et
peuvent aussi bénéficier de quelques rares permissions.
Toujours souriante, Gitta Kombrat, 18 ans, était très
courageuse, elle conduisait souvent les chevaux. Le 5
janvier 1944, les travailleurs juifs de Champigneul - à
l’instar d’un grand nombre de coreligionnaires d’autres
kommandos - sont emmenés par les Allemands dans un
camion. Ils savent qu’ils vont mourir, ils le disent aux
agriculteurs. Serge René se souvient : « Un matin,
probablement début janvier 1944 - il faisait froid - le chef
de culture allemand leur a dit de faire leurs valises car un
camion allait venir les chercher pour les emmener. Ils sont
venus nous dire au revoir, ils savaient qu’ils allaient mourir.
Ginette [Gitta, N.D.L.A.] me confie ses souvenirs, photos,
petits objets... Nous leur avons proposé de cacher les
jeunes dans les fermes à l’écart du village, mais ces
derniers n’ont pas voulu quitter leurs parents. Ils sont
restés toute la journée à tourner dans le village, le camion
est venu les chercher vers 16 h 30. Il neigeait un peu. Je
me souviens avoir porté un paquet de tabac à mon
professeur de danse, le coiffeur, au moment où il montait
dans le camion de la Wehrmacht. Nous ne les reverrons
jamais ». Ils seront déportés de Drancy à Auschwitz, dans
le convoi n° 66, du 20 janvier 19447.
La famille Kombrat a rejoint pour l’éternité les 6
millions d’innocents victimes de la Shoah. Le racisme
et l’antisémitisme sont les plaies de l’humanité ;
souhaitons qu’une prise de conscience collective
puisse y remédier... GERALD DARDART
Quelques semaines de tranquillité dans les Ardennes...
avant l’enfer d’Auschwitz (Coll. Serge René)
NOTES - SOURCES :
1Michel CEPEDE, Agriculture et alimentation en France durant la IIeGuerre
Mondiale, Ed. M.-Th. Génin, Paris, 509 p., 1961. Cf. pp. 182-186.
2Jacques MIEVRE, L’Ostland en France durant la seconde guerre mondiale,
une tentative de colonisation agraire allemande en zone interdite, Ed.
P.U.Nancy, 165 p., 1973.
3R. DUMONT, Tentative de germanisation des Ardennes, Office français
d’édition, 52 p., 1945.
4Maurice RAIJFUS, Les Juifs dans la collaboration (II) - Une terre promise ?
Ed. L’Harmattan, Paris, 264 p., 1989.
5Témoignage de Serge RENE, 25.X.2004. Validé le 12.XI.2004.
6Claude DEWAELE, de l’Île-Saint-Denis, son courrier du 28.X.2004.
7Serge KLARSFELD, Le Mémorial des Juifs de France.
Certaines associations luttent pour la Mémoire des Juifs de la W.O.L. III à l’instar
des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (l’A.F.M.D.), il faut les
soutenir ! Par ailleurs, le Centre de Documentation Juive Contemporaine
(C.D.J.C.) ouvrira ses portes le 27 janvier 2005 à la Fondation pour la Mémoire
de la Shoah, rue Geoffroy-l’Asnier à Paris.
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La W.O.L. III colonise
les terres agricoles
La Wirtschaftsoberleitung (W.O.L.) est un organisme
allemand d’exploitation des meilleures terres agricoles
pour le compte de la Société Ostland, dans les
départements classés zones réservées et interdites,
départements du Nord et de l’Est de la France et
principalement dans le département des Ardennes. La
Société Ostland a pour siège Berlin et a été créée par le
ministère du Reich pour le Ravitaillement et l’Agriculture.
CHRONOLOGIE DE LA W.O.L. III
DANS LES ARDENNES
Fin septembre 1940 : la Société Ostland commence ses
confiscations de terres.
Mai 1941 : 65.000 hectares exploités par la W.O.L. III.
19 juin 1941 : le Landbewirtschaftungstelle (Service de
Culture), nouveau nom pour l’Ostland.
11 novembre 1941 : arrivée des premiers travailleurs
juifs dans les Ardennes.
Mai-juin 1942 : le Reichsgeselschaft für
Landbewirtschaftung (Société d’Empire pour la culture
des terres)1exploite 108.223 hectares dans les
Ardennes.
Printemps 1943 : 115.038 hectares (50 % des terres
agricoles des Ardennes).
Fin 1943 : 339 travailleurs juifs sont employés par la
W.O.L. III.
5-6 janvier 1944 : la grande rafle des Juifs de la
W.O.L. III.
La W.O.L. est partagée géographiquement en 5
circonscriptions régies par 4 directions régionales : Laon
(W.O.L. I et II), Charleville-Mézières (W.O.L. III), Nancy
(W.O.L. IV) et Dijon (W.O.L. V)2. La puissante W.O.L. III des
Ardennes est très organisée et hiérarchisée.
Le Wirtschaftoberleiter,
commandant la W.O.L. III,
s’est installé au château
Renaudin à Bélair, ancienne
demeure du Kaiser et du
Kronprinz en 1914-1918. 4
Kreizlandwirte sont en poste
à Charleville, Sedan,
Vouziers et Rethel. Il y a
ensuite 27 Bezirkslandwirte à
Flize, Carignan, Mouzon,
Raucourt, Buzancy, Rumigny,
Le Chesne, Tourteron,
Omont, Novion-Porcien,
Rethel, Château-Porcien,
Rouvroy-sur-Audry, Renwez
et Rocroi. Plus de 129 chefs de culture - Betriebsleiter -
prennent en charge les fermes ardennaises. En tout, 8.900
fermes ardennaises sont regroupées en 200 exploitations.
380 communes sont concernées sur les 503 que compte le
département3. Au départ, la main d’oeuvre de la W.O.L. est
constituée de Kriegsgefanger (prisonniers de guerre
français et nord-africains), d’anciens propriétaires revenus
d’exode clandestinement, d’ouvriers agricoles belges et
luxembourgeois, de Polonais catholiques originaires du
sud-est de la Warta (près d’Auschwitz). En octobre 1941,
l’Union Générale des Israélites de France lance une
campagne de recrutement de Juifs immigrés afin de les
engager à travailler pour le compte de l’Ostland,
dans les colonnes d’ Informations juives4. Maurice
Rajsfus, au fil de son ouvrage (voir sources), n’y va pas par
quatre chemins et affirme avec un certain cynisme :
« L’affection portée par les Israélites français aux Juifs
immigrés était sans limite et le souci premier pouvait ainsi
s’exprimer : comment s’en débarrasser ? ». Le 11
novembre 1941, un premier convoi part pour les Ardennes.
Il y aura en tout 20 transports. Le dernier survient le 16
octobre 1942. Environ 600 Juifs, hommes, femmes et
enfants, sont donc placés dans les secteurs de Carignan,
Sedan, Flize et Rethel.
La famille juive Kombrat
“placée” en juillet 1942
Champigneul-sur-Vence5est un charmant village au
sommet d’une colline, à 240 m d’altitude et situé à 8 km au
sud de Mézières. Les familles de cultivateurs sont
nombreuses : Antoine, Déglaire, Fay, E. Huart, P. Huart,
Pontoise, René, Sellier, Templier, Belot, Roland et Paulet à
la ferme de Cleffay. Il y a aussi un maréchal-ferrant :
Peltier. Edouard René, maire depuis 1932, préside aux
destinées communales. La petite paroisse est animée par
le curé de Guignicourt-sur-Vence, l’abbé Lagneau.
Le maire de Champigneul, Edouard René, rentre
d’évacuation dès octobre 1940. Il trouve sa ferme occupée
par la W.O.L.. Les Allemands lui ont pris 200 hectares.
Toutefois, ils lui laissent 15 hectares le long des bois et 5
vaches. Il va connaître deux chefs de culture successifs :
le Luxembourgeois Tilgen, puis l’Allemand Röhmler. Ces
derniers ne sont pas
antisémites et ne font
aucune différence entre un
ouvrier juif et un ouvrier
non-juif. Le Betriebsleiter
(chef d’exploitation) de
Champigneul - comme ceux
de Mondigny, Saint-Pierre-
sur-Vence, Touligny, Poix-
Terron et Montigny-sur-
Vence - dépend du
Bezirsklandwirt (district
agricole) d’Omont. Edouard
René, ancien prisonnier de
guerre en 1914, organise
l’évasion des quinze
prisonniers de guerre
français. Avec Aimée
Blanchet, il leur
confectionne de faux
papiers. Aucune sanction ne
sera prise à son encontre
par les Allemands... Les
Allemands font planter du
froment, de l’avoine,
des petits pois, des
pommes de terre,
des betteraves à
sucre...
Serge René témoigne
L’implantation de la W.O.L III
en zone interdite
Ligne de démarcation
entre la zone occupée (au sud)
et la zone interdite (au nord).
Le Château Renaudin à Bélair, direction de la W.O.L. III - (photo G.D.P.)
(ouvrage de R. Dumont)
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