Marc Baratin et Françoise Desbordes : l`analyse linguistique dans l

Marc Dominicy
Marc Baratin et Françoise Desbordes : l'analyse linguistique
dans l'antiquité classique. I- Les théories
In: Langage et société, n°22, 1982. pp. 74-79.
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Dominicy Marc. Marc Baratin et Françoise Desbordes : l'analyse linguistique dans l'antiquité classique. I- Les théories. In:
Langage et société, n°22, 1982. pp. 74-79.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1982_num_22_1_1932
Baratin
(Marc)
et
Desbordes
(Françoise), L'analyse
linguistique
dans
l'An
tiquité
classique
:
I,
Les
théories,
avec
la
participation
de
Philippe
Hoffman
et
Alain Pierrot,
Paris,
Klincksieck,
1981.
La
linguistique
de
l'Antiquité
reste,
à
bien
des
égards,
un
domaine
obscur
et
peu
étudié.
Au-delà
des
monographies
et
des
articles
spécialisés,
la
bibliographie
courante
ne
comprend
que
de
rares
titres,
tels
le
travail
fort
ancien
de
Steinthal
et
les
panoramas,
toujours
fragmentaires
et
parfois
incohérents,
de
Robins.
Quant
aux
manuels
de
linguistique
générale,
ils
ren
ferment,
à
l'occasion,
des
aperçus
historiques
franchement
erronés.
Le
Lan
gage
de
Bloomfield
nous
offre,
de
ce
point
de
vue,
un
exemple
très
édifiant
(p.
10
de
l'édition
Payot)
;
"Platon
(...),
dans
son
dialogue
Cratylus,
débat
de
l'origine
des
mots
et
plus
particulièrement
de
la
question
de
savoir
si
la
relation
entre
les
choses
et
les
mots
qui
les
nomment
est
une
relation
naturelle
et
nécessaire
ou
simplement
le
résultat
d'une
convention
humaine.
Ce
dialogue
nous
donne
d'abord
un
aperçu
d'une
controverse
longue
d'un
siècle
entre
les
Analogistes9
qui
croyaient
que
le
langage
était
naturel
et
par
là,
à
la
fois
régulier
et
logique,
et
les
Anomali-stes
qui
démentaient
ces
faits
et
mettaient
en
valeur
les
irrégularités
des
structures
linguistiques.
Les
Analogistes
croyaient
que
la
forme
des
mots
pouvait
indiquer
leur
origine
et
leur
véritable
sens.
Ils
appe
lèrent
cette
recherche
étymologie."
-
75
-
Les
quelques
lignes
que
nous
venons
de
citer
véhiculent
au
moins
quatre
er
reurs
graves.
D'abord,
le
Cratyle
ne
saurait
être
ramené
à
une
discussion
sur
l'origine
des
mots
ou
sur
les
conceptions
naturaliste
et
conventionna-
liste
du
langage.
Ensuite,
Platon
n'a
pu
évoquer
la
querelle
entre
analo-
gistes
et
anomalistes,
qui
lui
est
nettement
postérieure.
De
plus,
ce
ne
sont
pas
les analogistes,
mais
bien
plutôt
les
anomalistes
qui,
sous
l'influence
stoïcienne,
regardent
le
langage
comme
naturel
et
s'attachent
à
la
recherche
étymologique
(au
sens
défini,
du
moins).
Enfin,
il
y
a
non
pas
affinité,
mais
contradiction
entre
les
thèses
naturalistes
des
Anciens
et
la
notion
analogiste
de
régularité.
Dans
de
telles
conditions,
nous
ne
pouvons
que
nous
réjouir
de
voir
paraître
l'ouvrage
de
Marc
Baratin
et
Françoise
Desbordes.
D'autant
que
ce
livre
ne
vient
pas
compléter
ou
corriger
les traités
existants,
mais
se
fonde
au
contraire
sur
un
pari
séduisant
et
novateur.
Les
deux
auteurs,
ai
dés
de
Philippe
Hoffman
et
Alain Pierrot,
nous
présentent
la
traduction
fran
çaise
de
50
textes
fondamentaux,
qui
se
trouvent
regroupés
en
trois
ru
briques
:
la
problématique
de
l'énoncé
scientifique
(de
Platon
à
Simplicius)
,
l'entreprise
de
description
de
la
langue
(Sextus
Empiricus
et
Varron)
,
la
tripartition
de
l'analyse
linguistique
(de
Cicêron
à
Priscien)
.
Les
traduc
teurs
ont
renoncé
aux
procédés
grâce
auxquels
on
dissimule
par
trop
facile
ment
une
compréhension
malaisée
du
texte
ancien
:
transfert
des
termes
tech
niques
de
la
langue—
source
à
la langue-cible,
traduction
traditionnelle
et
mécanique
(voir
les
"Remarques
sur
les
choix
de
traduction"
des
p.
71-76).
C'est
dire
qu'à
chaque
ligne,
il
leur
a
fallu
opérer
des
choix
difficiles
et
significatifs.
L'introduction,
qui
compte
environ
60
pages,
s'organise,
comme
l'anthologie,
en
trois
grands
paragraphes,
et
souligne
avant
tout
la
cohé
rence
théorique
des
oeuvres
commentées.
Le
travail
se
termine
par
un
réper
toire
des
noms
propres
et
par
une
bibliographie
qui
se
révéleront
très
utiles
au
non—
initié.
En
outre,
il
nous
est
annoncé
un
second
volume
figureront,
entre
autres
choses,
des
traductions
de
traités
grammaticaux
(Denys
le
Thrace,
grammairiens
latins).
Rappelons
aussi,
dans
le
même
temps,
que
Bara
tin
et
Desbordes
ont
édité
un
numéro
récent
de
la
revue
Langages
("Signifi
cation
et
référence
dans
l'antiquité
et
au
moyen
âge",
65,
mars
1982).
Les
critiques
mineures
que
nous
adresserons
au
livre
recensé
relèvent
de
trois
domaines.
-
76
-
En
premier
lieu,
la
bibliographie,
qui
ne
prétend
certes
pas
à
l'ex-
haustivité,
nous
paraît
omettre
quelques
ouvrages
dignes
d'intérêt
à
l'un
ou
l'autre
titre:
Calboli
(G.)>
La
linguistica
moderna
e
il
latino.
I
casi9
Bologne,
1972
(consacre
un
chapitre
à
la linguistique
ancienne)
;
Charpin
(F.),
L'idée
de
phrase
grammaticale
et
son
expression
en
latin,
Lille
III,
1977
;
Coseriu
(E.)»
Die
Geschichte
der
Sprachphilosophie
von
der
Antike
bis
zur
Gegenwart.
Eine
Übersicht.
Teil
I
:
von
der
Antike
bis
Leibniz,
Tübingen,
1970
(2e
éd.,
1975)
;
Joly
(A.)
et
Stéfanini
(J.),
éds,
La
gram
maire
générale
des
Modistes
aux
Idéologues,
Lille
III,
1977
(malgré
les
ap
parences,
contient
plusieurs
articles
traitant
de
l'Antiquité)
;
Joly
(H.)>
Le
renversement
platonicien, Paris,
1974;
Nuchelmans
(G.)>
Theories
öf
the
Proposition
:
Ancient
and
Medieval
Conceptions
of
the
Bearers
of
Truth
and
Falsity,
Amsterdam,
1973;
Parain
(B.)>
Essai
sur
le
logos
platonicien,
Pa
ris,
Gallimard,
1942;
Rijlaarsdam
(J.C.)»
Platon
über
die
Sprache.
Ein
Kommentar
zum
Kratylos,
Utrecht,
1978
;
Robins,
Diversions
of
Bloomsbury,
Amsterdam,
1970
(reprend
notamment
l'article
cité
de
1957)
;
Sandys
(J.E.)»
A
History
of
Classical
Scholarship,
Cambridge,
1906,
vol.
1
;
Scaglione
(A.D.),
Ars
grammatical,
Paris
et
La
Haye,
1970;
id.,
The
Classical
Theory
of
Composition,
Chapel
Hill,
1972;
Sebeok
(T.A.),
éd.,
Current
Trends
in
Linguistics,
Paris
et
La
Haye,
1975,
vol.13
(importante
contribution
de
Pinborg
sur
la
linguistique
grecque;
voir
aussi
le
c.r.
de
P.
Swiggers
dans
Semiotica,
31
(1980),
p.
107-137).
Parmi
les
articles,
nous
ajouterions
vo
lontiers:
Allen
(W.S.),
"Ancient
Ideas
on
the
Origin
and
Development
of
Language",
Transactions
of
the
Philological
Society,
1948,
p.
35-60;
Cola-
elides
(P.),
"Note
sur
la
définition
du
verbe
par
Aristote",
Glotta,
46
(1968),
p.
56-58.
Nous
ne
mentionnons
évidemment
pas
dans
le
présent
compte
rendu
les
publications
postérieures
à
1978,
dont
les
auteurs
n'ont
pu
tenir
compte.
Signalons
cependant
la
parution
d'une
traduction
anglaise
d'Apol-
lonios
Dyscole
(Amsterdam,
1980).
Notons
aussi
qu'à
la
p.
262,
il
faut
lire
"van
Bennekom"
et
non
"von
Bennekam".
Notre
deuxième
critique
est
moins
superficielle.
Baratin
et
Desbordes
s'efforcent
de
rompre
avec
l'habitude,
fâcheusement
répandue
chez
les
his
toriens
de
la
linguistique,
qui
consiste
à
ne
retenir
des
textes
anciens
que
les
seules
bribes
de
description
préfigurant
la
science
contemporaine.
Leur
attitude
permet,
sans
nul
doute,
de
capter
la
profondeur
et
la
nécessi
de
thèses
trop
souvent
mutilées
par
une
vision
partielle
ou
anachronique.
Le
danger
existe
pourtant
de
créer
ainsi
des
blocs
épistémologiques
dépour-
.
-
77
-
vus
d'histoire
et
mutuellement
incommensurables.
A
titre
d'exemple:
l'argu
mentation
du
Sophiste
est-elle
seulement
"plus
décisive"
que
celle
du
Cra~
tytel
Ne
peut-on
penser
qu'elle
représente
un
stade
plus
avancé'
de
la
flexion
platonicienne
et
qu'en
un
certain
sens
la
théorie
de
l'énoncé,
en
progressant,
rend
superflue
une
grande
partie
de
la
réfutation
des
thèses
naturaliste
et
convent
ionnaliste
(p.
13-18)?
De
même,
il
n'est
pas
exagéré
de
soutenir
que
d'Aristote
aux
Stoïciens,
et
des
Stoïciens
aux
grammairiens,
le
poids
de
la
morphologie
va
grandissant,
au
point
d'effacer
la
doctrine
aristotélicienne
des
formes
fléchies
nominales
et
verbales
(cf.
p.
129)
et
de
placer
pour
longtemps
l'adjectif
dans
la
catégorie
du
nom.
Nous
nous
demandons
également
si
le
passage
suivant
(p.
34)
:
"L'identification
du
Système
grammatical
de
Denys
avec
la
gram
maire,
et
par
avec
un
certain
type
d'enseignement,
est
en
partie
trompeuse.
Le
mode
de
description
qui
y
est
adopté
fait
partie
du
domaine
grammatical
mais
ne
se
confond
pas
avec
lui."
ne
témoigne
pas
d'un
scrupule
théorique
excessif.
L'ordre
dans
lequel
Denys
le
Thrace
range
tes
parties
du
discours,
et
les
définitions
de
précision
décroissante
qu'il
en
fournit,
nous
paraissent
refléter
la
pratique
de
l'a
nalyse
grammaticale.
Ces
glissements,
ces
points
de
contact
et
ces contraintes
pédagogiques
étaient
très
certainement
surestimés
par
les
historiens
anté
rieurs;
en
revanche,
ils
deviennent
difficiles
à
discerner
dans
l'exposé
de
nos
auteurs.
Peut-être
le
volume
II
apportera-t-il
quelques
nuances
à
ce
su
jet;
peut-être
aussi
sommes-nous
victime,
à
notre
tour,
d'une
illusion
d'op
tique.
. .
Venons—
en
maintenant
aux
traductions.
De
notre
première
lecture,
nous
avons
gardé
une
impression
générale
de
fraîcheur
et
de
netteté
qui
con
stitue,
à
notre
sens,
l'un
des
attraits
majeurs
du
livre.
Dans
certains
cas,
cependant,
les
choix
semblent
insuffisamment
motivés,
voire
discutables.
Substituer,
pour
Aristote,
le
titre
De
l'expression
au
traditionnel
De
l'in
terprétation
(p.
96,
258),
attribuer
à
Denys
le
Thrace
un
Système
grammati
cal
(p.
34-35)
,
cela
demande,
croyons-nous,
quelque
justification.
Afin
d'é
valuer
de
plus
près
les
réserves
que
nous
pourrions
formuler,
nous
avons
examiné
en
détail
les
trois
premiers
textes,
extraits
du
Cratyle,
en
nous
reportant
à
l'original
grec
et
à
deux
traductions
aisément
accessibles,
dues
à
Louis
Méridier
(collection
Budé)
et
à
Emile
Chambry
(Garni
er-Flam-
marion)
.
Sur
quatre
points,
la
nouvelle version
prête,
croyons-nous,
le
flanc
à
la
critique.
Le
verbe
ÔLÔctaxo)
et
ses
dérivés
ôuôotaTiaALxds,
ôuôacMa-
,
ÔuôacrxaÀux
sont
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