situation souvent absurde (Concorde, touché par une flèche, informe son maître qu’il a reçu un message), un comique de
mise en scène (comme dans l’arrivée de Lancelot au château : le comique vient du contraste entre les gardes qui attendent
sans bouger et Lancelot qui court de loin, sur fond de roulement de tambour. Plusieurs fois, c’est comme s’il n’avançait pas
et puis tout à coup, il est là et tue ; ce qui brouille les codes de la spatialité qui voudrait qu’on le voit véritablement avancer
dans le plan.)
Pour que les sketchs et les gags fonctionnent, les acteurs doivent croire à leur personnage, c’est pourquoi la plupart des
interprètes jouent très « sérieusement » : c’est le cas de Graham Chapman qui campe un Roi Arthur d’une grande dignité,
s’exprimant dans un anglais shakespearien. Le contraste entre ce jeu sérieux et ce qui se passe en face (confrontation
avec une conversation longue et absurde sur les noix de coco et les hirondelles, par exemple) rend la scène comique.
On trouve aussi dans le film des acteurs au jeu plus souligné, comme Herbert (voix déformée et véritable gestuelle de
mime) et son père (aux yeux roulants et à l’accent du Nord de l’Angleterre très prononcé), Tim l’enchanteur (voix puissante
et « postillonnante »). Chaque acteur au jeu appuyé travaille un artifice, que ce soit la voix, la gestuelle ou une attitude
particulière.
Le comique des Monty Python est le plus souvent absurde et dénonce souvent les travers de la société contemporaine,
aussi bien de droite comme de gauche : critique des « jardinets », fierté de la classe moyenne dans la séquence des « Ni »,
critique des militants de gauche exaltés, dans la séquence des paysans anarcho-syndicalistes. Ils critiquent aussi la «
violence propre » des films hollywoodiens dans lesquels on meurt beaucoup sans jamais saigner (et encore moins les
figurants que les personnages). Dans la scène où Lancelot vient délivrer le Prince Herbert, il est littéralement prit d’une folie
meurtrière, comme une sorte d’Errol Flynn déchaîné. Avec le chevalier noir, le comique vient non pas de la violence
exagérée mais de l’attitude du personnage : même complètement tronqué, il continue à rester belliqueux. La violence était
déjà contenue dans les textes originaux et les Monty Python ne rajoutent souvent que la dérision.
Anachronismes pythonesques
Tout l’univers des Monty Python se retrouve dans ce premier film : leur esprit de transgression, leur iconoclasme, leur
comique nonsensique, leurs répliques absurdes. De plus, en faisant le choix de placer leur intrigue au Moyen Age, ils
peuvent utiliser quantité de gags anachroniques.
Déjà dans Merlin l’enchanteur des studios Disney, le comique venait en partie des répliques de Merlin qui, grâce à ses
pouvoirs magiques pouvait se déplacer dans le temps et ramenait de ses voyages vers le futur quantité de savoir et
d’expressions anachroniques : « Quelle pagaille dans ce Moyen Age ! », « Quelle crasse médiévale ! », il évoquait le Times
deux cent ans avant sa création et même la locomotive à vapeur.
Terry Jones et Terry Gilliam étaient tous deux férus d’histoire médiévale et on retrouve dans Sacré Graal des traces de
leurs recherches, le film partant souvent d’un fait authentique tiré ensuite vers l’anachronique et le traitement comique.
On sait, par exemple, que les romains projetaient des animaux infectés dans les forteresses pour propager les maladies,
même si le « lancer de vache » en est, lui, une adaptation pythonesque. On sait aussi que durant les sièges, des soldats
étaient placés aux avant-postes pour insulter l’ennemi et en cas de défaite, ces hommes étaient particulièrement
recherchés. Pourtant, les insultes des français sont, elles aussi, typiquement pythonesques.
Les anachronismes dans Sacré Graal sont multiples : ils se logent dans les différents temps historiques mis en scène : la
légende arthurienne fait référence au VIe siècle bien que les récits furent consignés au XIIe. Les Monty Python rajoutent
par-dessus cet anachronisme originel leur propre lecture anachronique et absurde : le film se déroule l’an 93². Mais si le
film se passe principalement au Moyen Age, le présent fait irruption à plusieurs reprises3 , lors notamment de l’intervention
de l’historien. Le film fera des allers-retours du passé au présent jusqu’à ce que les deux temporalités se rejoignent après
que les chevaliers aient passé le pont de la mort (un plan montre les policiers entendant la détonation de la sainte grenade,
preuve que dans l’antre du « lapin qui tue », les chevaliers se rapprochent déjà du présent).
3 Le contraire des Visiteurs de Jean-Marie Poiré, où ce sont des personnages du Moyen Age qui débarquent à l’époque
contemporaine et créent un effet comique en utilisant des expressions moyenâgeuses.
3/4