Ayant commencé par ce hors-la-loi (réduit au rebelle), de nombreuses copies
finissaient par l’étude d’un hors la loi, sans tirets cette fois, dont l’existence est pour elles
incontestable : la nature. Ou bien elles faisaient le chemin inverse. Dans les meilleurs cas, ce
que les candidats appellent « l’histoire d’Antigone » (hélas le plus souvent non rapportée à
Sophocle, et parfois ayant pour seul auteur connu Jean Anouilh, sans que l’analyse
hégélienne soit jamais sollicitée) permettait de faire le pont entre la nature et la rébellion.
C’était alors l’occasion de dramatiser l’opposition entre la justice par nature et la justice
politique, conventionnelle, ou, moins souvent, alors que c’eût été plus fidèle à Sophocle,
l’opposition entre la loi religieuse de la famille, centrée sur le soin des morts, et la loi de la
cité et la religion publique. Il y avait certainement beaucoup de choses à tirer de l’analyse de
l’attitude d’Antigone, dont la passion, selon Hegel, porte une vérité éternelle à la fois éthique
et religieuse et constitue ainsi la défense d’un intérêt non pas individuel, mais commun. Mais
Antigone, dans la plupart des copies, n’est que la représentante du parti du « droit naturel ».
Qu’est-ce que le droit naturel ? Trop de candidats, quand ils en fournissent le concept,
croit par là en établir l’existence. Ayant indiqué que ce droit est antérieur à toute législation
humaine, qu’il est universel, immuable, etc., ils en supposent dogmatiquement la réalité. Il
semble aller de soi qu’il existe un tel droit naturel. Ce droit est, pense-t-on en outre,
intrinsèquement bon. Il serait la même chose que la moralité accomplie. En comparaison, les
législations instituées dans les Etats seraient non seulement imparfaites, changeantes,
contingentes dans leur contenu et dans leur forme, etc., mais, en outre, moralement délétères.
Le positiviste, juriste ou philosophe, est évidemment l’ennemi. Les positivistes sont, selon de
nombreuses copies, à peu près indiscernables des tenants de l’absolutisme, voire des
apologues de la force brute. Hobbes, Carl Schmitt (dont l’importance philosophique, à en
juger par la fréquence des références dont il fait l’objet, paraît bien supérieure à celles de
Hegel, Kant, Locke, Rousseau), et Kelsen, ces trois méchants esprits disent en gros la même
chose. Le correcteur se pince. Lorsque les copies discutent sommairement la distinction entre
droit naturel et droit positif, elles commettent presque toutes deux fautes de méthode : elles
confondent une thèse conceptuelle avec une thèse existentielle, en supposant qu’il suffit, pour
pouvoir tabler sur son existence, de savoir à peu près quelle idée on doit se faire du droit
naturel ; elles prennent globalement le parti du droit naturel pour assimiler, de manière non
seulement très normative, mais aussi très idéologique, le droit positif à ce que les affreux
positivistes substituent au droit naturel dont nous avons absolument besoin pour préserver
notre humanité. Les candidats auraient meilleur temps de dresser la liste des droits et des
obligations qui constituent des articles plausibles du droit naturel, pour ensuite se demander
de quelle manière on les fait valoir concrètement. Ils verraient alors mieux le rôle que joue le
droit positif en cette affaire. Ils pourraient réfléchir, par exemple, au sens politique (dans la
positivité d’une législation) d’une « déclaration » ou « proclamation » de ces droits
fondamentaux. Leur formation en histoire leur donne les moyens d’en parler assez
concrètement et en échappant au parti-pris des amis de la morale et de la nature contre les
méchants partisans de la convention.
Rappelons que les candidats sont libres de leurs références aux textes philosophiques.
Le jury est curieux de voir mobilisée l’argumentation ou la conceptualité de tel ou tel auteur.
Tout ce qu’il exige à cet égard, est que les références soient pertinentes (en rapport direct
avec le propos du candidat, à supposer que celui-ci soit pertinent relativement au sujet),
précises (elles consistent en la mention non pas de la doctrine de x ou y, mais de telle partie
de tel ouvrage de x ou y), et enfin exactes (elles s’appuient sur une connaissance de première
main de ce texte sans laquelle les approximations et les contresens sont inévitables). Il est