Gianfranco Soldati
Analytique/Continental : une distinction sans valeur philosophique
Quatre questions et une remarque
1. Est-ce qu’il existe une distinction entre philosophie analytique et philosophie continentale ?
Oui il y a une telle distinction.
2. De quel type de distinction s’agit-il ? Est-ce une distinction qui possède une dimension philosophique (en
termes de positions, idées, ou méthodologies) ?
Il s’agit d’une distinction qui ne possède (plus) aucune dimension philosophique. Il n’y a
aucune thèse, aucun concept et aucune méthodologie qui soit plutôt analytique que
continentale et vice-versa. La distinction, telle qu’elle peut être opérée aujourd’hui, possède
d’autres sources.
a. Une origine historico-sociologique :
i. Entre 1890 et 1950 il y eut plusieurs mouvements philosophiques qui ont
proposé des thèses métaphilosophiques antagonistes (par exemple : marxisme,
phénoménologie, etc.). Un mouvement spécifique, inspiré par Frege, Russell,
Carnap et Wittgenstein, a soutenu de façon plus ou moins explicite que les
problèmes philosophiques sont essentiellement des problèmes de forme, ou de
langage, et que le traitement de ce genre de problème requiert l’utilisation des
instruments de la logique formelle.
ii. Les philosophes analytiques, surtout en Europe, se voient souvent comme des
héritiers de cette tradition. Mais cela ne signifie de loin pas que tous les
philosophes analytiques utilisent les instruments de la logique formelle dans
leur travail philosophique. Une bonne partie de philosophes analytiques ne le
fait pas du tout.
iii. Un ou une philosophe analytique n’a généralement pas le droit de dire
ouvertement que la logique formelle ne possède aucune utilité philosophique.
Cela n’empêche pas beaucoup de philosophes analytiques de ne guère partager
l’idée que les problèmes philosophiques ne sont que des problèmes de forme
logique.
b. Origine socio-politique : la distinction possède une fonction d’identification, elle
engendre un effet d’appartenance à un groupe (et de distance, souvent de mépris, à
l’égard de l’autre) ce qui permet la coordination de l’action politique. Il y a ainsi des
sociétés de philosophie analytique, comme il y a des sociétés de phénoménologie, etc.
qui défendent les intérêts de leurs membres, surtout dans le monde académique (dans la
politique de recrutement, notamment).
c. Linguistique : l’anglais est accepté comme langue commune de la communauté
analytique, alors que l’on trouve des formes d’opposition à l’anglais dans la
communauté continentale. Mais il existe de la philosophie analytique dans d’autres
langues et de la philosophie continentale en anglais.
d. Stylistique: style plutôt simple et proche du langage ordinaire dans la tradition
analytique et plutôt complexe et ‘coloré’ (métaphorique, allusif, etc.) dans la tradition
continentale. Mais là aussi il y a de nombreuses exceptions.
e. Jargon : il y a des différences de jargon souvent très marquées. Cela est dû en bonne
partie à la tradition. Et cela, comme toujours, engendre un très fort effet
d’appartenance.
3. Quelle est l’utilité de la distinction?
a. La distinction possède une utilité socio-politique évidente, comme on a vu en haut. Elle
sert à structurer et à canaliser la politique académique. Dans des structures