2.3 PEUT-ON METTRE EN PLACE UNE POLITIQUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE ?
A La nécessité d’une politique climatique
a) Les insuffisances du marché rendent l’intervention de l’Etat nécessaire.
1. Depuis la métaphore de la main invisible d'Adam Smith, la théorie économique libérale a forgé peu à peu le
dogme de l'efficience des marchés. Sur ces derniers, les individus parfaitement rationnels et disposant de toute
l'information sont en mesure d'exprimer leurs préférences, tandis que, en face, les entreprises évoluant dans un
cadre de concurrence parfaite fournissent au meilleur prix, pour elles-mêmes et les demandeurs, tous les biens
et services souhaités. Le prix de marché est sensé réguler parfaitement les activités économiques des agents
(producteurs et des consommateurs) car c’est la seule information qu’ils retiennent pour prendre leur décision.
2. Pourtant, la crise climatique révèle l'incapacité du marché à mettre en place des régulations écologiques à la
hauteur des dérèglements actuels. Le réchauffement climatique, qui se traduit par une élévation progressive des
températures sur terre, est un bon exemple de la défaillance du marché. Ce réchauffement est en grande
partie aux activités humaines qui accélèrent les émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre. Il a des effets
négatifs à la fois sur l’environnement (fonte des glaciers, élévation du niveau des mers, désertification, cyclones),
sur le bien-être des populations (pénuries alimentaires, stress hydrique, maladies, réfugiés climatiques) et sur
l’économie (coût énergétique de la climatisation, coût de la pollution, coûts sociaux des maladies…). Dans ce
cas, le marché échoue dans l’allocation optimale des ressources pour deux raisons :
1ère raison : Le prix de marché n’intègre pas les externalités positives ou négatives provoquées par les
activités des agents économiques. Un agent économique crée un « effet externe » lorsqu'il procure à
autrui par son activité un gain ou une perte sans compensation monétaire.
L'externalité est négative si elle entraîne des coûts supplémentaires pour ceux qui la subissent et
non pour celui qui en est à l’origine. Ainsi, une entreprise chimique A peut décider de son niveau
de production et de ses tarifs sans tenir compte des conséquences pour les riverains des
produits polluants qu'elle déverse dans la rivière proche, parce que le coût de cette pollution ne
lui est pas imputé. Ce sont les associations de pêcheurs ou les autorités municipales ou une
entreprise C qui vont prendre en charge la dépollution de la rivière car ils ont besoin d’une eau
propre.
L'externalité est positive lorsqu’elle se traduit par un enrichissement sans frais pour les agents qui
en bénéficient. Ainsi, l’apiculteur, qui entretient ses ruches d’abeilles, contribue à enrichir sans le
vouloir l’arboriculteur car ses abeilles pollinisent les arbres fruitiers. Il assume pourtant tout seul
le coût de cet entretient alors que l’arboriculteur profite de la gratuité du service. Le prix des fruits
n’intègre pas l’externalité positive procurée par les abeilles.
Dans tous les cas, les externalités ne sont pas incluses dans le prix de marc, ce qui n'incite pas les
agents économiques à modifier leur comportement. Si un agent crée une externalité positive, il n'en sera
pas récompensé et aura donc tendance à sous-produire (les transports publics en ville peuvent ne pas
être rentables. Ils seront donc insuffisants alors qu’ils offrent un service très utile à la collectivité en
réduisant les émissions de CO2). Inversement, en cas d'externalité négative, il y n'y aura pas de frein à
l'activité (l’usage de la voiture privée engendre des coûts sociaux énormes qui ne sont pas payés
directement par les automobilistes). Le prix de marcne reflète donc pas les vrais coûts de production.
Si le calcul économique des agents intégrait le coût total de leur activité (coûts privés + coûts sociaux) ils
seraient amenés à modifier leur activité.
2ème raison : un certain nombre de biens et de services échappent au marché. A partir de deux critères,
on peut distinguer différents types de biens et de services :
Le critère d’exclusion : peut-on ou non exclure une personne de l’usage du bien ? L’accès à l’air
est accessible à tout le monde ; l’accès au pétrole est réservé à celui qui a paune concession
d’exploitation ; la jouissance d’un paysage est donnée à tous tant qu’il ne s’agit pas d’un parc
naturel fermé…
Le critère de rivalité : la consommation du bien ou du service interdit-elle la consommation par un
autre ? le fait de respirer n’interdit pas à un autre de le faire ; une route peut être utilisée par
plusieurs personnes à la fois tant qu’il n’y a pas encombrement ; une pomme ne peut être
consommée deux fois…
Rivalité (ou divisibilité)
Non rivalité (ou indivisibilité)
Exclusion
Biens privés = Pétrole, terre, mine,
automobile, vêtement,
Biens de club = Parc naturel payant,
garderie, pêche réglementée, piste de
ski, domaine de chasse,
Non exclusion
Biens communs (ou biens libres) =
ressources en poissons, usage de la
forêt domaniale, climat, terrain
communal…
Biens (ou services) collectifs purs =
Couche d’ozone, oxygène, éclairage
public, connaissances,…
Un bien collectif pur : Paul A. Samuelson a défini en 1954 un bien collectif par deux critères: on
ne peut exclure personne de son usage, et l'usage par un individu n'empêche pas celui d'un
autre. Les exemples les plus souvent donnés sont celui du phare ou celui de l'éclairage sur la
voie publique. La couche d'ozone est également un bien collectif pur. Elle a pour effet d'absorber
la plus grande partie du rayonnement solaire ultraviolet, qui est dangereux pour les organismes
vivants et joue donc un rôle protecteur pour les êtres vivants. Elle n’appartient à personne et
bénéficie à tous. Ses services ne peuvent donc être vendus et aucun bénéficiaire n’est prêt à en
payer un prix éventuel. Le marché est donc inopérant pour la protéger.
Un bien commun : il est caractérisé par la rivalité et la non-exclusion. La pêche en haute mer est
accessible à tous les bateaux (non exclusion) mais les poissons pêchés par un bateau ne
peuvent être capturés par les autres bateaux (rivalité). Le climat a aussi la nature d’un « bien
commun », en ce sens qu’il n’est pas exclusif puisque sa dégradation touche, bien que de
manière différenciée, tous les habitants de la planète, et qu’il est rival dans la mesure ses
dérèglements sont la résultante de l’accumulation de gaz à effet de serre, elle-même fruit des
actions individuelles. Or, selon Garrett Harding, lorsqu'une ressource est en libre accès, chaque
utilisateur est conduit spontanément à y puiser sans limite, poussant à sa disparition. C’est la
« tragédie des communs » (1968). Si les pêcheurs ne sont pas spontanément poussés à la
coopération pour sauvegarder la ressource, ils ont tous tendance à se comporter en « passagers
clandestins » en bénéficiant de la ressource sans en payer le prix de sa disparition.
Un bien de club ou bien mixte : dans ce cas, un droit de propriété a été donné à l’usage de la
ressource dont la consommation est collective. Le droit de propriété est un droit exclusif et
absolu d’utiliser le bien approprié (usus), d’en percevoir les revenus induits (fructus), d’en
disposer totalement et de le transmettre (abusus), ce qui permet de faire payer un péage ou un
droit de passage qui ne correspond pas au prix du marché concurrentiel puisqu’il s’agit d’un prix
de monopole. En donnant ce droit de propriété, on évite le gaspillage de la ressource. C’est le
cas d’une réserve naturelle qui doit être entretenue pour continuer à attirer les touristes. Mais,
dans ce cas, tout nouveau visiteur a un coût marginal nul ce qui empêche la fixation d’un prix de
marché.
Cependant, le fait que le marché ne permet pas de répartir de façon optimale une partie des ressources
naturelles entre les différents agents économiques ne signifie pas que c’est toujours à l’Etat de s’en charger.
Jean-Marie Harribey introduit une troisième dimension dans la distinction des biens à partir du critère
public/privé :
Un bien collectif pur n’est pas forcément un bien public, c’est-à-dire offert gratuitement par une
administration publique. Ainsi, une fondation privée qui gère un parc naturel ouvert à tous, offre
un bien collectif, qui n’est pas pour autant un bien public.
De même un bien public n’est pas toujours un bien collectif. L’école et la san peuvent faire
l’objet d’exclusion et de divisibilité (il existe des écoles privées) mais, par choix politique l’Etat a
décidé de prendre en charge ces biens privés.
3. En conclusion, le statut des biens composant le capital naturel est divers et susceptible de changement selon
l’évolution des techniques et des choix politiques. A l'origine, l'eau était un bien commun (pas d’exclusion mais
rivalité), mais sa raréfaction, mal prise en compte par le marché, peut la transformer en bien pri(concession à
des entreprises privées) ou en biens publics (régie municipale). La défaillance du marché peut conduire à un
épuisement et à la dégradation d’un certain nombre de ressources naturelles. Elle peut justifier une politique
climatique menée par l’Etat pour limiter le réchauffement de la planète et combattre ses effets négatifs.
b) Les instruments de la politique climatique
1. Les instruments économiques permettant à l’Etat de gérer la question climatique sont de deux types : au delà de
l'information donnée au public, on dispose de la contrainte réglementaire et de l'incitation par le "signal prix", qui
consiste à introduire dans le prix des produits le coût des externalités négatives ou l'avantage d'une externalité
positive. Dans ce dernier cas, on suppose que les agents réagissent et adoptent leur comportement uniquement
à partir du prix du produit.
2. La réglementation : Il s’agit alors pour les pouvoirs publics d’établir des règles qui encadrent une activité
économique ainsi que les sanctions nécessaires à leur respect par les agents économiques. La loi peut imposer
des normes techniques contraignantes et écologiquement responsables. On peut distinguer plusieurs types de
normes :
Les normes d’émission consistent en un plafond maximal d’émission qui ne doit pas être dépassé sous
peine de sanctions administratives, pénales ou financières ; ce plafond peut être nul si pollution très
menaçante. On peut donner comme exemple les normes européennes d’émission de polluants pour les
véhicules routiers, les normes d’émission pour les usines d’incinération en Suède…
Les normes de procédé imposent aux agents l’usage d’un certain nombre d’équipements empêchant la
pollution ou polluants : l’obligation de recycler les déchets dans des usines de recyclage, les pots
d’échappement catalytiques pour les voitures, les stations d’épuration des eaux usées…
Les normes de produit imposent certaines caractéristiques aux produits : interdiction des ampoules à
incandescence, limitation du phosphate dans certaines lessives, l’obligation de fournir des emballages
recyclables, interdiction des gaz CFC dans les bombes aérosols, interdiction des OGM
Enfin il existe des normes de qualité (qualité de l’air, qualité de l’eau qui implique la définition du taux de
nitrate contenu dans l’eau potable, etc.) qui doivent faire l’objet de contrôles et de mesure appropriées en
cas de dépassement de la norme (par exemple limitations de circulation automobile en cas de pollution à
l’ozone, interdiction de la baignade en cas de pollution maritime ou fluviale, etc.).
La réglementation donne des résultats dans la lutte contre des pollutions précises et dangereuses. Ainsi, la
réglementation sévère de la Suède en matière de recyclage des déchets a obligé les industriels à investir dans
des solutions innovantes qui ont mis fin aux décharges (99% des déchets sont traités) tout en valorisant les
déchets (chauffage urbain, production d’électricité, de compost…) dont le retraitement est devenu une activité
rentable. L’Etat peut, par sa réglementation favoriser l’émergence d’une « économie verte ». De même,
l’interdiction des CFC dans les bombes aérosols, prévue par la convention de Montréal, afin de diminuer le trou
dans la couche d’ozone, a permis de remplacer ce gaz nocif par des produits substituts sans effet sur le
réchauffement climatique.
3. Les politiques incitatives consistent à internaliser les externalités positives ou négatives dans le prix de marc
afin d’obliger les agents économiques à modifier leurs comportement. Dans le cas des externalités négatives, il
s’agit alors de faire en sorte que les coûts privés supportés par les producteurs d’externalités incluent les coûts
sociaux, c’est-à-dire les dommages et désutilités subis par les autres agents. Dans le cas des externalités
positives, il s’agit de récompenser par une baisse du prix celui qui fournit gratuitement un avantage aux autres.
Deux instruments peuvent être mobilisés pour cette internalisation des coûts sociaux : les taxes ou les
subventions environnementales, qui corrigent les prix des marchés existants et les marchés de « droits
d’émission », qui permettent de faire émerger de manière décentralisée un prix des émissions. Ces deux
instruments sont issus des travaux respectifs d’Arthur Cecil Pigou et de Ronald Coase.
La subvention consiste, pour l’Etat, à prendre à sa charge une partie du coût de production afin de rendre
l’utilisation du produit moins cher et de le rendre compétitif par rapport à l’utilisation d’autres produits plus
polluants. Elle doit inciter les agents économiques à s’orienter vers une solution plus respectueuse de
l’environnement. Ainsi, le bonus/malus sur le prix d’achat d’une automobile en France vise à
récompenser, via un bonus (de 200 à 7000pour les véhicules émettant moins de 105 grammes par km
de CO2 en 2013), les acquéreurs de voitures neuves émettant le moins de CO2, et à pénaliser, via un
malus (de 100 à 6000€ pour les voitures émettant plus de 136g/km), ceux qui optent pour les modèles
les plus polluants. Cela a eu l’effet d’augmenter les ventes de véhicules moins polluants au détriment des
grosses berlines et des 4 x 4 tout en incitant les producteurs à développer les véhicules électriques et
hybrides moins polluants. De même, en fixant le prix des transports en commun à 1€ quelque soit la
distance parcourue dans le département des Alpes-Maritimes, on incite les automobilistes à abandonner
leur véhicule au profit des transports collectifs à condition que l’offre de ce moyen de transport soit
suffisant.
La taxation consiste à augmenter le prix du produit par le biais d’une taxe afin de révéler le vrai coût de
sa production à l’acheteur (coûts privés + coûts sociaux). Arthur Cecil Pigou (1877-1955) propose en
1920 l’établissement de taxes imputables au pollueur. On parle ordinairement d’écotaxes et de principe
« pollueur/payeur ». La taxe carbone fixe un prix au carbone mais pas un volume d’émission à ne pas
dépasser. Ainsi, la mise en place en 1991 d’une taxe carbone en Suède (d’abord fixé à 31 par tonne de
CO2, le taux atteint aujourd’hui 117€), qui augmente le prix des combustibles fossiles (charbon, gaz,
pétrole), a incité les suédois à réduire leur consommation énergétique et à trouver des moyens de
transport ou de chauffage alternatifs. Les émissions de CO2 ont ainsi pu être réduites de 9% alors que la
croissance augmentait de 50% entre 1991 et 2008. La taxe présente de nombreux avantages :
À court terme, le producteur et le consommateur sont incités à réduire leurs émissions polluantes.
À moyen et long terme, ils sont encouragés à utiliser des technologies de production moins
polluantes pour minimiser le paiement de la taxe et à innover. Le mécanisme incitatif sous-jacent
à la taxe carbone est le suivant. Supposons que le taux de la taxe soit de 20 euros par tonne de
CO2. Si un agent économique doit s’acquitter de la taxe, il a intérêt à effectuer tous les
investissements possibles (changement de technologies, sources d’énergies alternatives, etc.)
qui lui coûtent moins de 20 euros par tonne de CO2 évitée. Il économise ainsi la différence entre
la taxe qu’il aurait payer sans ces investissements et le coût de l’investissement. Les agents
économiques qui vont continuer à émettre du CO2 sont ceux pour lesquels le coût de réduction
d’une tonne de CO2 est supérieur au coût de la taxe, soit 20 euros par tonne de CO2.
Le prélèvement d’une nouvelle taxe se traduit par de nouvelles recettes fiscales que les pouvoirs
publics pourront affecter à la réparation, au moins partielle, des dommages causés. Ils peuvent
aussi affecter une part de ces recettes à la réduction de la pression fiscale sur d’autres facteurs,
notamment le travail, auquel cas l’emploi s’en trouvera stimulé : on parle alors de « double
dividende ».
Evolution des recettes fiscales en Euros 2012 pour une taxe passant de 20€ à 200€ entre 2012 et 2050
Dans la mise en œuvre d’une taxe, les pouvoirs publics ont donc une triple tâche : en fixer le niveau, en
organiser la collecte et décider de l’affectation du produit collecté. L’incitation à réduire le volume de
production ou à investir pour supprimer ou réduire les émissions nocives sera d’autant plus forte que le
niveau de la taxe sera élevé. Elle doit au moins couvrir l’importance des dommages. En France, le projet
de « taxe carbone » ou « contribution climat énergie », initié par les concertations de 2007 dites du
« Grenelle de l’environnement », répondait à cette logique : associée à l’émission de gaz à effet de serre,
cette fiscalité devait concerner les particuliers et les entreprises n’étant pas déjà soumises au marché
européen de quotas d’émission, le principe adopté étant celui d’une imposition proportionnelle à la
consommation d’énergies fossiles. La loi votée a finalement été censurée par le Conseil constitutionnel
puis abandonnée.
Le marché des droits à polluer ou des quotas d’émission : Ronald Coase (1910- ) publie en 1960 « The
problem of social cost ». Pour cet auteur, la redéfinition des droits de propriété privée, notamment par
l’institution de « droits d’émission » et la création d’un marché de ces droits, peut se substituer
avantageusement à l’établissement d’écotaxes. Ce marché est établir selon les principes suivants :
Le volume total d’émissions autorisées est fixé par les pouvoirs publics, qui distribuent ces «
quotas d’émission » aux agents émetteurs, selon des modalités gratuité ou vente aux enchères
qui n’ont aucune incidence sur les incitations. Autrement dit, on donne à chaque pays ou à
chaque entreprise un droit à polluer qu’ils ne doivent pas dépasser sous peine de payer des
amendes dont le coût est supérieur au droit à polluer.
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