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REFORMES MONETAIRES EN ALGERIE : ENJEUX
ET PERSPECTIVES
Youssef RAKHROUR
Maitre assistant B à l’université de Laghouat,
Doctorant ENSSEA et membre de laboratoire LIRUE
Fatma Zohra SOUAK
Professeur de l’enseignement supérieur ENSSEA,
Membre laboratoire LIRUE
RESUME :
Cet article est une réflexion sur les réformes monétaires et leurs impacts sur le mode
de financement de l’économie nationale et ses équilibres fondamentaux. Dans le
cadre des réformes économiques engagées, la loi 90-10 relative à la monnaie et au
crédit consacre l’importance de la régulation monétaire dans la maitrise et la
résorption des déséquilibres financiers aussi bien interne qu’externe. En 1991, la
conduite rigoureuse de la politique monétaire a résorbé l'excédent monétaire. Mais
les autorités monétaires décident en 1992, d’un retour à la monétisation du déficit
budgétaire résultant d’une importante implication de la banque centrale dans le
financement de l’économie. La mise en œuvre d’un programme de stabilisation et
d’ajustement structurel (1994/1998), dont le principal objectif, en matière monétaire,
est la maitrise de l’inflation, a permis de rétablir les grands indicateurs économiques
à l’exception du taux de chômage. A partir de 2001, face à la situation de
surliquidité structurelle du marché monétaire- due principalement à la monétisation
des avoirs extérieurs- la banque centrale décide de mettre en place de nouveaux
instruments pour absorber l’excès de liquidité. Dans ce contexte, l’ordonnance
10-04 de 2010 fixe la stabilité des prix comme objectif explicite de la politique
monétaire.
Mots-clés : Masse monétaire et crédit, Politique monétaire, Banque centrale,
Économie de marché, économie administrée.
Classification JEL : E51, E52, E58,P1, P2.
Introduction :
Selon les principes de la gestion centralisée, le financement de l’économie,
soumis aux impératifs du plan, s’est traduit essentiellement par une injection
massive de la monnaie pour répondre aux besoins de financement des
investissements assignés aux entreprises publiques.
À ce titre, la logique du financement bancaire était celle des « vases
communicants » c’est à dire que l’accroissement en termes relatifs de la part
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des crédits à l’économie correspond à une diminution de la part relative des
crédits à l’État et vice-versa.
Mais, après plus de 15 ans d’injection massive de capitaux, le système
productif ne génère pas de surplus. Le contre choc pétrolier de 1986 a révélé
les profondes distorsions de l’économie et mis en évidence la nécessité de
rétablir les équilibres fondamentaux et rompre avec la gestion passée tant
dans ses fondements que dans ses pratiques. A cet effet, l’exigence d’une
réforme profonde du système économique, apparue dès 1987, a conduit à
engager une série de réformes touchant plusieurs secteurs économiques
concrétisant ainsi le passage à l'économie de marché. Ce sont celles du
système monétaire qui retiennent le plus notre attention.
Les réformes monétaires successives, engagées à partir de 1990, ont-elles
permis de contribuer à l’instauration des équilibres fondamentaux de
l’économie ?
C’est à cette question que nous tenterons de répondre en partant des
hypothèses suivantes :
La réforme du secteur monétaire joue un rôle dans la réalisation de
la stabilisation macroéconomique ;
Une réforme réussie du secteur monétaire peut contribuer à une
meilleure allocation des ressources.
La réponse à nos interrogations se fera selon une démarche conduisant dans
un premier temps, à rappeler brièvement les caractéristiques de financement
de l’économie avant la mise en œuvre des réformes monétaires, et dans un
deuxième à analyser les réformes monétaires successives, à savoir : la loi
9010 relative à la monnaie et au crédit ainsi que les réformes monétaires
contenues dans l’ordonnance n° 10-04 de 2010 modifiant et complétant
l’ordonnance n° 03-11 de 2003 relative à la monnaie et au crédit.
1. Rappel du mode de financement de l’économie à la veille des
réformes monétaires :
Au lendemain de l’indépendance, les pouvoirs publics s’étaient fixé comme
objectif dans le domaine monétaire :
Créer un Institut d’émission purement algérien : « la Banque
centrale d’Algérie BCA», et une monnaie nationale : le dinar
Algérien.
Doter le pays d’instruments monétaires et financiers adaptés à un
nouveau type d’économie à travers l’absorption par le secteur
socialiste de l’ensemble des établissements de dépôt et de crédit et la
création de banques nationales. En effet, l’algérianisation des
banques et la mise en place, à partir de 1966, d’un système bancaire
national ont permis une amélioration sensible du financement de
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l’économie. Cette évolution s’est traduite par un désengagement
progressif de la banque centrale, notamment au niveau des crédits
directs au secteur productif.
L’avènement des plans quadriennaux de développement, à partir de 1970, le
système bancaire national devait satisfaire la demande de crédit émanant
essentiellement des entreprises publiques. Pour cette raison, le taux de
liquidité de l’économie, mesuré par le rapport entre les agrégats M2 et le
PIB, a toujours été très élevé nettement supérieur à 50%, à l’exception de
l’année 1974 il a atteint 46% à cause de l’évolution brutale des prix des
hydrocarbures. Cet indicateur fait ressortir le caractère inflationniste du
financement de l’économie nationale.
Mais, le bilan de la gestion centralisée de l’économie a mis en évidence des
déséquilibres macroéconomiques et financiers internes et externes à savoir :
Un déficit de la balance de paiements courants de 1986 à 1989 et une
augmentation significative du ratio du service de la dette extérieure dès
1986 ;
De même le recours à la dette extérieure à court terme s’est développé.
Entre 1985 et 1987, celle-ci a augmenté de 06 Milliards de dollar et le
raccourcissement des échéances a pesé lourdement sur le service de la
dette et son ratio. L’échéance moyenne du total des engagements est
passée de 9,3 ans, en 1986, à 3,5 ans à la fin de 1989 ;
Un déséquilibre structurel des finances publiques qui a entrainé un
recours accru au financement monétaire du déficit du trésor public de
1983 à 1989. Le déficit monétisé du trésor a atteint 12.7% du PIB en
1988;
Un accroissement significatif du ratio de liquidité qui est passé de 76% en
1985 à 84% en 1988 jusqu’en 1988 provoquant ainsi une hausse de
l’inflation, malgré un système des prix administrés.
Des distorsions importantes des prix relatifs, en situation de persistance
des mécanismes d’inflation réprimée, malgré le glissement du taux de
change à partir de 1986.
L’émergence d’un régime de croissance négative du PIB (en volume)
dommageable pour l’emploi.
L’analyse par les variables macroéconomiques traditionnelles (déficits
publics et des paiements extérieurs, expansion accélérée de la masse
monétaire, surévaluation du taux de change), révèle une économie
caractérisait par de profondes distorsions dues à l’inefficaci du système
économique doublée de l’inefficacité du système de financement. En effet, le
déficit du trésor qui supporte l’essentiel des investissements, est financé
d’une façon délibérée par la création monétaire source des tensions
inflationnistes. De plus, le déficit de la balance des comptes courants et le
recours à un endettement externe non maitrisée ont accentué la détérioration
des équilibres macroéconomiques.
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En ce sens, la gestion centralisée de l’économie a montré que l’économie de
crédit n’a de chance d’être un vecteur de croissance durable que si elle
permet de créer les conditions de remboursement des ressources mobilisées.
Dans le cas contraire, elle mute inévitablement vers l’économie
d’endettement, c'est-à-dire une situation où tous les agents, pris globalement,
sont endettés. Ainsi, la compensation ne peut venir que de l’extérieur. Le
contre choc pétrolier de 1986 a révélé que c’est plutôt l’économie
d’endettement qui a prévalu. En effet, après plus de 15 ans d’injection
massive de capitaux, le système productif, en construction, ne génère pas de
surplus. En outre, « le financement de l’investissement était assuré
directement et indirectement (dettes extérieures) par le surplus pétrolier
auquel l’Algérie a adossé un financement interne et externe». (CNES, 2002)
Dans un tel contexte, l’exigence d’une réforme profonde du système
économique est apparue dès 1987 et a conduit à engager un programme de
réformes touchant tous les secteurs. L’objectif de ces réformes est de
démanteler progressivement les mécanismes rentiers de l’économie
administrée. Il fallait procéder graduellement dans un contexte largement
dominé par un secteur public dépendant des hydrocarbures, le monopole de
l'État sur le commerce et l'inconvertibilité de la monnaie. Les réformes sont
abordées d’abord sous l'angle de l'assainissement financier des entreprises
publiques afin d'adoucir le passage à l'économie de marché et d’autonomiser
l’entreprise publique à travers un nouveau un schéma organisationnel visant
à dissocier lÉtat propriétaire de l’État gestionnaire1. Il s’agissait de faire en
sorte que l’entreprise publique ne se limite pas à de simples fonctions
d’exécution, mais qu’elle devienne un centre de décision autonome, un
centre de choix pour définir les objectifs optima de son activité ainsi que les
meilleures voies de leur réalisation ». (Ouchichi, 2011).
Avec les réformes, la gestion de l’entreprise n’est plus assurée directement
par l’Etat mais par la direction de l’entreprise selon les règles courantes du
droit commercial.
Selon cette logique, ces réformes ont permis de rétablir une certaine
orthodoxie dans les relations banques-entreprises, pour conférer aux banques
leur autonomie tout en les soumettant aux principes de rentabilité et de
commercialité. Dans ce nouveau schéma, l’automaticité d’octroi des crédits
est désormais annulée. De ce fait, la banque procédera, à priori, à
l’évaluation du risque de projet d’investissement et selon sa rentabilité,
décide d’accorder ou non des crédits. Concernant, les projets
d’investissement à caractère stratégique, le financement est assuré soit par la
Banque Algérienne de développement seule, soit en collaboration avec les
banques commerciales.
1 Cette séparation était matérialisée par la création des Fonds de Participation
considérés comme l’agent fiduciaire de l’État, ces fonds seront dissous, en 1995, et
remplacés par des holdings publics chargés de la gestion des capitaux marchands de
l’État.
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Toutefois, les réformes engagées à partir de 1988, ont atteint rapidement
leurs limites et certaines d’entre elles n’ont pas même vu le jour car cette
période de réformes économiques a été marquée par des graves problèmes
économiques découlant du choc pétrolier de 1986. En plus, les institutions
publiques, en particulier celles impliquées dans le processus de réformes
économiques ont montré leurs limites dans la conduite de la transition. « Les
comportements bureaucratiques, les rigidités des règlements et les logiques
rentières ont continué à produire des inefficacités aussi bien dans la conduite
des politiques publiques que dans la gestion des entreprises publiques et des
services publics » (Belmihoub, 1998).
Ce sont précisément ces limites qui ont conduit les pouvoirs publics à
engager et mettre en œuvre une série de réformes économiques et
monétaires.
2. Réformes monétaires et financement du développement
économique
Ces réformes ont commencé avec la LMC de 1990 et ont été prolongé au
courant de la décennie 2000 et 2010 et ce en fonction du contexte
économique qui prévalait à l’époque.
2.1. La loi 90-10 relative à la monnaie et au crédit et ses
conséquences :
Dans le prolongement des réformes économiques engagées en 1988, la loi
90/10 du 14 avril 1990 relative à la Monnaie et au Crédit (LMC) a porté sur
la réforme monétaire dans le but d'instaurer de nouveaux mécanismes
financiers basés sur les règles d'économie de marché. De ce fait, cette loi a
marqué d’une manière décisive, dans le domaine monétaire et bancaire, le
processus de transition de l’économie algérienne vers une économie de
marché. Les principaux changements apportés par cette loi en matière
monétaire et bancaire visaient essentiellement à autonomiser la sphère
monétaire et bancaire par rapport à la sphère réelle et budgétaire. Selon cette
loi il s’agit :
Assurer l’indépendance de la Banque Centrale du pouvoir exécutif et
réhabiliter son rôle dans la gestion de la monnaie et du crédit. Ainsi, la
banque centrale joue désormais d’une façon active le rôle qui lui incombe
dans la conduite de la politique monétaire.
Autonomiser la sphère monétaire et bancaire par rapport à la sphère
réelle: malgré que les réformes de 1988 relatives à l’autonomie de
l’entreprise ont conféré aux banques une certaine autonomie par rapport
aux entreprises publiques, la loi 90/10 vient mettre un terme définitif à
toute ingérence administrative dans le secteur financier tout en
soumettant les relations entre les banques et les entreprises publiques aux
règles contractuelles, d’où la suppression définitive de l’octroi
systématique des crédits aux entreprises et de l’obligation de
domiciliation unique.
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