les débuts du XIX
e
siècle, dans un savoir supposéqu’ils tenaient
pour presque achevé. Il nous faut aussi garder présent àl’esprit que
la neurologie clinique ne date réellement que de la finduXIX
e
siècle,
avec les travaux de J. Babinski,
[6]
de G. Holmes, puis de J.
Déjerine.
[39]
Et nous ne devons pas oublier que la neuro-histologie,
avec C. Golgi,
[61]
puis S. Ramon y Cajàl,
[134]
remonte seulement aux
dernières années du XIX
e
siècle, tandis que la cytoarchitectonie, avec
K. Brodmann,
[28]
suivi de C. von Economo
[42]
et G.N. Koskinas,
[42]
est encore plus récente.
Nous devons dire ici un mot de l’œuvre de Bayle
[16, 17]
et de la
paralysie générale, ordinairement comprise àl’envers de ce qu’elle
a pu historiquement représenter. En 1822, il décrit un aspect
particulier d’aliénation mentale, qui reste dans l’orthodoxie de P.
Pinel ; la maladie commence par une monomanie ambitieuse avec
des troubles élocutoires, suivie d’une manie avec des troubles
locomoteurs, et s’achève rapidement par une démence avec des
troubles sphinctériens ; l’autopsie révèle soit une goutte, soit une
gastrite ou une gastro-entérite chroniques, soit une arachnoïtis
chronique. Les anomalies pupillaires ne seront reconnues que vers
1860, l’étiologie syphilitique se trouvera soupçonnée vers 1870, et la
sérologie ne remonte guère qu’à 1905. Sa description de l’arachnoïtis
chronique concerne surtout les méninges de la convexité, sans
aucune précision localisatrice. Ses ennemis, en particulier L.
Delasiauve et J. Baillarger,
[7, 8]
s’acharnèrent àmontrer que les signes
proprement psychiatriques ne possédaient aucune spécificité,de
sorte que l’idée courante selon laquelle la maladie de Bayle réalisait
le modèle même de la maladie mentale d’origine cérébrale comporte
une bonne part de légende et de constructions rétrospectives.
Durant la première décennie du XX
e
siècle, C. von Economo isola et
décrivit précisément l’encéphalite épidémique qui porte toujours son
nom. Elle touchait surtout les parois du troisième ventricule, elle
entraînait soit une symptomatologie aiguë, avec des altérations de
la veille et du sommeil, soit une symptomatologie chronique,
[106]
avec des troubles graves du caractère et des comportements pervers.
L’on pouvait en tirer deux illustrations contradictoires. Ou bien l’on
retenait surtout les lésions, et elle servait alors d’argument àune
théorie qui tendîtàréduire la psychiatrie àdes atteintes du système
nerveux central, ou bien l’on remarquait que des lésions de siège
uniforme produisaient des syndromes tout àfait disparates, ce qui
mettait àmal le principe des localisations cérébrales. Comme cette
encéphalite n’a connu qu’une seule épidémieetnes’est jamais
reproduite, elle nous laisse dans un cruel embarras.
Plus près de nous, il convient de rappeler certaines théorisations de
la psychiatrie classique, puis de réfléchir sur les apports de la
neuropsychologie, àdeux époques successives de son
développement.
En 1892, dans un volume dédiéàl’ensemble des troubles du langage
chez les malades mentaux, J. Séglas
[5, 140]
isole des autres
phénomènes xénopathiques les hallucinations verbales, qui
concernent le langage
[112]
en tant que tel, et non l’audition, qui, elle,
se rapporte aux sons et aux bruits. Il estime que les hallucinations
verbales sensitives peuvent être conçues comme l’inverse de
l’aphasie de C. Wernicke –altération de la réception du langage dans
ce mode d’aphasie et altération de cette réception dans ces
hallucinations, oùdu langage est reçu alors que personne ne parle –
tandis que, symétriquement, les hallucinations motrices verbales
peuvent être conçues comme l’inverse de l’aphasie de P. Broca –
altération de l’émission du langage dans ce type d’aphasie et
altération de cette émission dans ces hallucinations, alors que ça parle
quand le sujet ne veut pas parler. Pendant quelques années,J.Séglas
va expliquer les hallucinations verbales par l’excitation fonctionnelle
du pied de la troisième circonvolution frontale, àgauche chez le
droitier ou par un processus semblable dans la partie postérieure
des première et seconde circonvolutions temporales, toujours à
gauche chez le droitier. Puis cette symétrie lui semblera moins
convaincante, il se lassera de ne jamais rien trouver àl’autopsie et
critiquera lui-même cette théorisation. Il reste cependant qu’elle eut
le mérite d’imposer la distinction entre les hallucinations verbales et
les hallucinations auditives.
Notion de processus
Nous devons d’abord reconnaître, un peu plus tard, qu’à lire E.
Bleuler,
[21, 22, 23]
G. de Clérambault
[35]
ou K. Kleist, la référence au
cerveau se trouve affirmée avec force, mais sans aucun argument
anatomopathologique bien établi. Pour E. Bleuler, une double
démarche se trouve àla base d’une théorisation que l’on retrouve,
moins bien élaborée, chez beaucoup de ses contemporains. Il part
de la constatation que, pour créer la notion de schizophrénie, il faut,
d’une part, chercher àréformer la démence précoce de E. Kraepelin,
[92]
qui ne se révèle pas adéquate àla réalitéclinique et évolutive, et,
d’autre part, prendre en compte toute la diversitésémiologique en
cause. Mais l’originalitépropre àE. Bleuler, consiste àintroduire
dans cette diversitéune hiérarchie, en y opposant les signes
primaires et les signes secondaires, àpartir d’une analogie avec ce
qu’on peut observer dans l’ostéomalacie et dans les paralysies
oculomotrices. Les signes primaires, d’ailleurs difficiles àbien
repérer, sont ceux qui restent présents dans tous les aspects de la
schizophrénie, qui manquent dans les autres maladies mentales et
ne dépendent pas des circonstances extérieures. Il s’agit pour lui
des troubles associatifs, troubles du cours de la pensée, barrages et
fadings ; ils n’ont pas d’explication psychologique compréhensible,
et ils correspondent àce que K. Jaspers appelait processus.Àce titre,
ils ne peuvent s’expliquer que par un processus cérébral, d’ailleurs
inconnu en 1911 comme de nos jours. Mais il ne s’agit ni d’un flattus
vocis,nid’une invention gratuite, car àpartir de leur postulation, on
peut construire un modèle de la symptomatologie et de l’évolution
de la schizophrénie. La référence au cerveau y reste cependant bien
générale et sans aucune précision localisatrice. On pourrait dire,
d’une certaine manière, qu’un tel report tient lieu de garantie
effective pour la permanence de la maladie.
Nous rencontrons un peu plus tard une position voisine dans
l’œuvredeG.deClérambault, àpropos des psychoses àbase
d’automatisme,qu’il oppose aux psychoses passionnelles.Ils’intéresse
àce que G. Ballet,
[9, 10]
en 1911, avait appeléla psychose hallucinatoire
chronique, mais il en propose une théorisation bien différente et
beaucoup plus subtile.
G. Ballet se représentait la psychose hallucinatoire chronique comme
l’état inévitable oùun sujet parvenait assez vite, du fait qu’il
entendait des propos surtout malveillants et qu’il ressentait des
impressions génitales importunes, le tout s’expliquant par le modèle
qu’avait proposéJ. Séglas avant d’y renoncer. G. de Clérambault
distinguait deux périodes successives, la première dominée par ce
qu’il nommait le petit automatisme mental, et la seconde caractérisée
par un syndrome hallucinatoire polysensoriel. Le petit automatisme
mental correspondait àce que J. Baillarger avait désignépar la
locution d’hallucinations psychiques et réalisait une perte de la
propriétéprivée de la pensée, avec des phénomènes oùcette pensée
se trouvait perturbée, de manière non sensorielle, affectivement
neutre et dépourvue de sens pour le sujet, véritable altération de la
pensée, qui devient étrangère àelle-même dans le mode ordinaire
de la pensée : vide de la pensée, commentaire de la pensée,
devinement de la pensée, commentaire des actes, et ainsi de suite.
Tous ces phénomènes rudimentaires, privés de signification
consciente pour le patient, correspondent pour G. de Clérambault à
des perturbations élémentaires et mécaniques du fonctionnement
cérébral, séquelles présumées de maladies infectieuses passées
inaperçues durant l’enfance.
Le passage au grand automatisme mental s’opère, selon lui, par la
transformation du commentaire de la pensée et des actes en
expériences sensorielles et xénopathiques, et par la survenue
d’hallucinoses verbales, d’abord absurdes et incompréhensibles. Il
en résulte, de façon en grande partie inconsciente, des réactions
caractérielles progressives qui aboutissent àune thématique
délirante secondaire, surtout persécutoire, mais parfois
mégalomaniaque.
La théorisation de G. de Clérambault est claire : des lésions minimes
du cerveau entraînent les phénomènes typiques du petit
automatisme mental, incompréhensibles pour le sujet, et, peu àpeu,
de manière àla fois consciente et inconsciente, les réactions
Psychiatrie Principales théories dans la psychiatrie contemporaine 37-006-A-10
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