LA DÉLIBÉRATION ÉTHIQUE GUIDE À L'INTENTION DES INTERVENANTS Février 2008 TABLE DES MATIÈRES PRÉAMBULE .........................................................................................................3 Rôle et composition du Comité d'éthique clinique ...............................................3 Pourquoi un guide sur la délibération éthique ? ..................................................3 À qui s'adresse le guide ? ...................................................................................4 INTRODUCTION..............................................................................................................5 CHAPITRE 1 LA PRISE DE DÉCISION EN ÉTHIQUE : NOTIONS DE BASE .........8 1.1 Le raisonnement .......................................................................................8 1.2 La délibération éthique .............................................................................9 1.3 L'intention ...............................................................................................10 1.4 La décision .............................................................................................10 CHAPITRE 2 2.1 2.2 2.3 LA DÉLIBÉRATION ÉTHIQUE EXPLIQUÉE .........................................11 La définition et les objectifs de la délibération éthique............................11 Les quatre phases de la délibération ......................................................11 Les perspectives éthiques en interaction................................................16 CHAPITRE 3 LA MÉTHODE APPLIQUÉE DE DÉLIBÉRATION ÉTHIQUE .........17 3.1 Grille d'analyse .......................................................................................17 3.2 Notes à l'intention de l'animateur ............................................................20 CONCLUSION .................................................................................................................26 SOURCES ET LECTURES RECOMMANDÉES ........................................................27 2 PRÉAMBULE Rôle et composition du Comité d'éthique clinique Le Comité d'éthique clinique du CSSS d'Antoine-Labelle a été créé au printemps 2006 et il a commencé à se réunir en décembre 2006. Sa mission est la suivante : Le Comité d’éthique clinique constitue un forum multidisciplinaire qui contribue à sensibiliser, éclairer et guider le milieu quant à l’importance et à la façon de considérer les questions éthiques dans la prise de décision et l’administration des soins et services aux usagers. Au moment de la production du présent document, le comité était composé des personnes suivantes : - Odile Deshaies, infirmière pivot – Oncologie et soins palliatifs - Jocelyne Forget, directrice à la qualité des services, présidente du comité - Marcel Grenier, proche d’un usager - Lynda Lachaîne, médecin - Sandrine Lebrun, spécialiste en activités cliniques, Programme de santé mentale - Romy St-Pierre, directrice des ressources humaines - Linda Théodossiou, travailleuse sociale, Services à la communauté - Carole Tremblay, animatrice de pastorale Pourquoi un guide sur la délibération éthique ? Dans un établissement de santé et de services sociaux, tous les intervenants sont un jour ou l'autre confrontés à des situations qui comportent des enjeux éthiques. L'existence, dans cet établissement, d'un comité d'éthique clinique ne doit pas exempter ces personnes de 3 leur obligation de délibérer par eux-mêmes de ces enjeux. Il faut éviter de développer un réflexe qui amènerait les intervenants à déléguer automatiquement ou à référer systématiquement la résolution de dilemmes éthiques à une instance "supérieure" ou "externe". Il faut aussi éviter que le Comité d'éthique clinique s'approprie l'exclusivité de la délibération éthique et en vienne à prendre des décisions à la place de ceux et celles qui sont directement impliqués dans la situation. Le comité doit guider et soutenir la prise de décision et non pas imposer ou dicter les orientations. Par ailleurs, les différents acteurs qui auront à mener à bien la délibération éthique doivent disposer des outils nécessaires pour le faire adéquatement. C'est la raison pour laquelle le Comité d'éthique clinique met à leur disposition le présent guide. Ce document a été conçu comme un outil de travail pratique qui fournit une méthode structurée, tout en précisant le cadre conceptuel dans laquelle elle s'inscrit. Le document intègre aussi des éléments concrets d'application de la méthode proposée. À qui s'adresse le guide ? Le guide a été conçu à l'intention de l'ensemble des personnes qui œuvrent au CSSS d'Antoine-Labelle et qui peuvent être confrontées à des situations impliquant des enjeux éthiques. Il comporte, par ailleurs, certains éléments qui ont été intégrés dans le but spécifique de soutenir ceux et celles qui auront à animer les rencontres de délibération éthique. Le but ultime est qu'au CSSS d'Antoine-Labelle, de plus en plus d'intervenants deviennent sensibles aux enjeux éthiques, lors des prises de décisions, qu'ils acceptent d'en discuter ouvertement, et que les équipes deviennent "habiles" dans ce type de délibération. 4 INTRODUCTION Les définitions de l'éthique sont nombreuses. On fait de plus en plus référence aux questions d'éthique, dans toutes sortes de contextes, qu'ils soient sociaux, politiques ou professionnels. De façon générale, l'éthique doit être considérée à la fois comme une discipline intellectuelle, en général ancrée dans le champ de la philosophie, et une manière d'interroger et de questionner l'action humaine. C'est en fait un moyen de régulation de l'agir ou des rapports humains et l'on peut dire que toute interrogation sur le sens, le but (les finalités) et les conséquences pour autrui de notre action peut être considérée comme un questionnement d'ordre éthique. L'éthique consiste aussi en un langage, comprenant un vocabulaire, des concepts et des modes de raisonnement, qui permet à ceux qui l'utilisent de nommer et d'approfondir certains aspects de la réalité humaine. Il permet aussi à ceux qui se trouvent dans un dilemme, c'est-à-dire qui ne savent pas comment agir où quelle voie adopter, de prendre une décision réfléchie, après analyse des diverses options qui s'offrent, en tenant compte des conséquences du choix de telle avenue plutôt que de telle autre. Dans le présent guide, il sera question d'éthique appliquée : nous traiterons des questions éthiques qui apparaissent dans le feu de l'action, au cœur de la pratique, c'est-à-dire en situation. En éthique appliquée, la réflexion menant à la décision ne part pas d'une obligation légale ou morale. La personne (ou un groupe de personnes) réfléchit à son action et aux conséquences qu'elle entraînera. L'éthique se distingue alors du droit en misant sur l'autodiscipline des personnes plutôt que sur le caractère externe de contrôle. Elle se distingue par ailleurs de la morale en renvoyant à des valeurs plutôt qu'à des obligations. Elle s'ouvre directement sur des 5 modes idéaux de vie que nous cherchons à actualiser dans et par nos décisions. Il s'agit de déterminer quelle est la meilleure chose à faire dans une situation précise. Dans la sphère des relations humaines, il y a des situations où nous sommes bien avec la décision que nous prenons, à la fois par rapport à nous-mêmes et par rapport à autrui. Par contre, dans d'autres situations, il y a un malaise, voire une tension. Ce malaise peut référer à une dissonance entre nos valeurs, nos conceptions ou convictions, d'une part, et les actions à entreprendre, d'autre part. La tension peut aussi être engendrée par des divergences avec d'autres personnes, cette divergence référant fondamentalement aux valeurs privilégiées par chacune des parties en cause. Les problèmes éthiques se présentent toujours dans des situations particulièrement complexes, où il y a une variété de réponses possibles, et où la décision prise aura nécessairement des conséquences à la fois positives et négatives. Nous souhaiterions toujours que les conséquences d'une décision ne soient que positives et nous souhaiterions toujours pouvoir agir en accord parfait avec nos valeurs, mais ce n'est malheureusement pas possible. Il y a souvent des écarts entre l'idéal à atteindre et la réalité du terrain. Nous souhaiterions également que les valeurs que nous privilégions soient partagées par tous et actualisées avec le même degré d'intensité, mais ce n'est pas le cas. De plus, dans certaines situations, même si l'on partage des valeurs communes, il doit y avoir priorisation ou hiérarchisation des valeurs en cause et les points de vue à cet égard peuvent diverger. Il importe donc de bien identifier les situations cliniques où il y a des enjeux éthiques et où il peut y avoir nécessité de délibération afin d'encadrer, de façon rigoureuse, le processus décisionnel. Il peut s'agir de situations où il y a désaccord ou divergence ouverte, mais aussi de situations dans lesquelles le malaise ou la tension se font sentir, sans que la divergence soit formulée. Le problème peut être 6 interrelationnel et se situer entre l'intervenant et l'usager, entre ce dernier et ses proches ou entre les membres de l'équipe multidisciplinaire; il peut aussi être organisationnel ou administratif et provenir d'un manque de ressources disponibles ou de règles administratives inconciliables avec les besoins du client. Soulignons enfin que le processus de délibération éthique pose de nouvelles exigences au plan des pratiques professionnelles : ouverture à l'autre et respect de ses opinions et prises de position, confrontation des savoirs et mise en commun des connaissances et expertises, dialogue et coopération. Cela exige donc de rompre avec le rapport professionnel de type paternaliste qui dicte ce qui est bon pour l'autre, qui le prend totalement en charge et qui ne lui laisse aucune autonomie décisionnelle. Cela exige aussi de rompre avec le rapport d'expert détenteur du savoir technique et scientifique qui impose au client ou aux autres professionnels membres de l'équipe interdisciplinaire son autorité. La démarche de délibération éthique réside dans une co-élaboration, une co-construction du sens donné à la décision et à l'action. Pour mener à bien une telle démarche, les relations interpersonnelles doivent être basées sur le respect mutuel, l'ouverture et l'entraide. 7 CHAPITRE 1 LA PRISE DE DÉCISION EN ÉTHIQUE : NOTIONS DE BASE L'éthique est un mode de régulation de l'agir dans lequel la personne exerce son jugement et engage sa responsabilité. La démarche suppose que cette personne fasse appel à des valeurs partagées, afin de donner un sens à ses décisions et à ses actions. Quatre notions définissent le processus de prise de décision : le raisonnement, la délibération éthique, l'intention et la décision elle-même. 1.1 Le raisonnement Un raisonnement, envisagé ici dans sa dimension pratique plutôt que théorique, cherche essentiellement à déterminer le meilleur moyen pour atteindre un but. Selon le type de raisonnement que l'on adopte, on retiendra certains moyens de parvenir à une fin plutôt que d'autres, en fonction de tels critères plutôt que de tels autres. Ainsi, si l'on recourt au raisonnement stratégique, fortement privilégié en gestion publique, les critères les plus importants en fonction desquels les décisions seront prises, sont l'efficacité et la faisabilité (ou réalisme). Le critère d'efficacité orientera le choix vers un moyen qui produit le maximum de résultats, en fonction des cibles visées (et par rapport auxquelles il y a une reddition de compte à effectuer), avec le minimum de coûts en argent, en énergie, en temps, en ressources. Le critère de réalisme ou de faisabilité suggère que la meilleure stratégie d'action doit être réalisable sur le plan pratique, même si, en théorie, d'autres sont plus intéressantes : on privilégie donc ici les solutions concrètes. Dans ce type de raisonnement, même si l'on prend en considération les conséquences ou les effets potentiels des moyens envisagés sur des populations ou des catégories d'individus qui seront touchés par la décision, ce n'est pas un critère prioritaire. 8 Par ailleurs, si l'on recourt au raisonnement normatif, le critère déterminant sera le respect de la norme. Ce type de raisonnement a pour but de déterminer si l'action est fidèle au devoir défini par le cadre normatif auquel on se réfère. Il peut s'agir d'un devoir moral, d'un devoir légal établi par une loi, un règlement ou un contrat, d'un devoir édicté par un code de déontologie, ou encore d'un devoir issu des us et coutumes de la communauté d'appartenance. Dans ce cadre, la décision est prise en fonction de normes ou de règles en vigueur, sans laisser beaucoup de place, dans une situation complexe, à l'interprétation de la règle, ou au sens de l'action envisagée. Que dire aussi des situations où des normes entrent en conflit les unes par rapport aux autres. Enfin, le raisonnement éthique devient incontournable lorsque nos convictions profondes ou le système de règles et de normes qui balisent normalement nos décisions sont insuffisants pour prendre une décision éclairée à l'égard d'un problème complexe, ou dans une situation plus difficile, où l'hésitation est plus forte. Il vise donc à une décision réfléchie, délibérée, qui met en scène des valeurs, voire des systèmes de valeurs souvent conflictuels et qui, parfois, donnent lieu à la contestation de certaines normes de la morale, du droit ou de la déontologie, si les valeurs implicites à ces normes entrent en conflit avec d'autres valeurs considérées comme plus importantes (Boisvert et autres). La décision en éthique doit être en mesure de se justifier; on doit pouvoir en fournir une explication claire. Il faut donc être conscients du cheminement et des étapes qui nous y ont menés. Le raisonnement éthique passe par une hiérarchisation des valeurs et sa finalité est l'actualisation de la valeur privilégiée. 1.2 La délibération éthique La délibération éthique renvoie à l'application du raisonnement éthique. Elle résume le processus par lequel l'individu se livre à une réflexion critique et pondère les éléments d'une situation afin de 9 prendre la décision la plus judicieuse et la plus rationnelle possible dans les circonstances. 1.3 L'intention Cette notion est celle qui sous-tend les décisions et les actions. C'est la volonté consciente d'accomplir une action. À cette notion est intimement liée celle de responsabilité : l'individu agit intentionnellement et provoque des conséquences, donc il est responsable de son action. 1.4 La décision La quatrième notion est la décision elle-même. La décision consiste à retenir, entre plusieurs possibilités, celle qui semble la mieux adaptée à l'objectif visé. C'est l'aboutissement d'une analyse, d'une réflexion individuelle ou collective. Dans le contexte d'une organisation publique, la qualité du service et celle des relations de travail en équipe étant directement liées à la nature de nos décisions, il est important que chacun puisse "répondre" de ses décisions devant les autres. En ce sens, toute décision est ouverte sur le dialogue et la mise en commun des raisons d'agir. Une décision éthique délibérée assure non seulement que les enjeux éthiques ont été identifiés et pris en compte, dans une situation donnée, mais qu'il y a eu délibération sur le meilleur choix d'action possible dans les circonstances, et qu'il y a eu dialogue entre les personnes concernées pour en arriver à assumer collectivement les motifs de la décision. 10 CHAPITRE 2 2.1 LA DÉLIBÉRATION ÉTHIQUE EXPLIQUÉE La définition et les objectifs de la délibération éthique La délibération éthique est un mode de réflexion qui consiste à comparer et à soupeser les options possibles préalablement à un choix. La délibération est essentielle lorsque l'on fait face à un enjeu éthique, c'est-à-dire lorsqu'il faut choisir entre des possibilités d'action référant chacune à des valeurs différentes et ayant chacune des conséquences probables différentes. Le processus de délibération ne se met en branle que parce qu'il y a conflit de valeurs. Si tel n'est pas le cas, il perd sa raison d'être. La délibération est, de plus, l'outil permettant de répondre rationnellement d'une décision et, donc, d'en être responsable. 2.2 Les quatre phases de la délibération La délibération éthique est un outil de réflexion à la portée de tous. C'est toutefois un exercice difficile, qui demande idéalement un temps de retrait et d'analyse à l'abri des impératifs de l'action immédiate, ce qui est souvent difficile à réaliser dans notre contexte de travail. C'est aussi un exercice qui doit se dérouler de façon rigoureuse, en respectant une série d'étapes. Toutefois, même si à première vue la démarche peut paraître complexe, en procédant étape par étape, on comprend qu'il s'agit d'un ensemble d'opérations logiques, qui permet de systématiser une réflexion qui, autrement, se fait souvent de façon plus ou moins organisée, parfois même dans la confusion. Au bout du compte, le processus permettra non seulement d'en arriver plus facilement et plus clairement à la décision la plus appropriée, dans les circonstances, mais bien souvent d'y arriver plus rapidement. 11 Le processus comprend quatre phases principales qui se subdivisent en étapes précises, renvoyant à des opérations logiques, ou correspondant à un ensemble de questions à se poser pour en arriver à la décision. Nous présenterons d'abord ici, très globalement, les grandes phases du processus. La méthode de délibération sera présentée de façon plus détaillée et plus opérationnelle au point 2.4. ¾ Phase I : Prendre conscience de la situation Il s'agit d'abord de recueillir les faits concernant le problème, de la façon la plus objective possible, en privilégiant une approche globale qui tient compte de tous les aspects de la situation : aspects médicaux, psychosociaux, culturels, religieux et spirituels, organisationnels, administratifs, etc. Cette collecte d'informations doit inclure celles qui concernent toutes les personnes impliquées dans la problématique : client, famille et proches, intervenants. Dans un premier temps, il s'agit simplement d'identifier et de nommer les éléments de la situation, sans faire d'interprétation. De l'inventaire des faits marquants, on passe ensuite à l'examen des solutions possibles et on formule le dilemme éthique. Rappelons que le dilemme est de nature éthique si les actions envisagées entraînent des conséquences à la fois positives et négatives sur soi, sur autrui ou sur l'environnement. Il s'agit ici de faire le relevé des différentes propositions d'action en présence ou des différentes avenues possibles et d'établir les conséquences envisagées, pour chacune de ces actions, sur chacune des parties impliquées. Un effort doit aussi être fait pour préciser la probabilité de chacune des conséquences. C'est également dans cette première phase du processus que l'on fait le relevé des normes applicables à la situation (dispositions juridiques, réglementaires, déontologiques; us et coutumes; normes religieuses ou reliées à la conscience personnelle; etc.). 12 ¾ Phase II : Clarifier les valeurs conflictuelles C'est dans cette deuxième phase du processus qu'on entre au cœur du dilemme éthique. Il s'agit ici de déterminer les valeurs en conflit dans la situation. L'intérêt de cette phase est d'obliger ceux et celles qui ont à prendre une décision à nommer les valeurs agissantes, à les clarifier, à préciser l'importance qui leur est accordée et à les pondérer. Au cours de cette phase, il faut aussi être bien conscients qu'avec les valeurs entre en scène la dimension affective. Dans un dilemme éthique, le malaise ou la tension ressentis réfèrent à des émotions, celles-ci traduisant le sentiment que des valeurs importantes semblent menacées. Même si le processus de délibération éthique exige de situer la réflexion et la prise de décision dans un cadre rationnel, il importe de ne pas faire abstraction de la composante affective et d'en tenir compte en cours de processus. Il vaut toujours mieux nommer les émotions en cause et les intégrer dans la réflexion et les échanges que de tenter de les nier ou de les refouler et qu'elles s'expriment à notre insu dans le processus ou qu'elles interfèrent dans la décision. Il est d'ailleurs bien souvent difficile d'énoncer directement les valeurs en cause et d'éviter le piège d'énoncer des valeurs abstraites telles la justice, l'équité, la loyauté, etc. Il peut s'avérer plus rentable d'amener la personne à exprimer d'abord le sentiment éprouvé dans la situation traitée, pour ensuite l'inviter à rattacher ce sentiment à une valeur concrète à laquelle elle tient. Elle pourrait, par exemple, s'exprimer ainsi : je ressens un très grand malaise face à telle action qui aura pour conséquence de réduire grandement l'autonomie de cette personne, alors que pour moi le respect de l'autonomie est une valeur prioritaire. 13 Au départ, chacun est aux prises avec sa propre subjectivité. Ce n'est qu'en faisant l'effort de nommer, de clarifier, de partager avec autrui, que l'on peut parvenir à objectiver le plus possible son regard sur la situation et arriver à une décision plus éclairée. ¾ Phase III : Prendre une décision raisonnable Dans cette phase, il faut parvenir à une résolution raisonnable du dilemme. Comme l'énoncent si bien Boisvert et autres, il ne faut jamais oublier que la délibération éthique n'est pas une pure gymnastique intellectuelle à laquelle on se consacre pour le plaisir de la réflexion; elle vise toujours à nous conduire à une véritable prise de décision et à l'action. L'exercice consiste d'abord en une hiérarchisation des valeurs en cause. Il s'agit de déterminer quelle est la valeur à privilégier dans la situation précise à laquelle on fait face. Et il faut être en mesure de justifier ce choix. Les raisons du choix doivent donc être formulées clairement. La justification du choix peut se faire en fonction des conséquences prévisibles ou en fonction des normes en jeu. Mais, toujours, doit primer le désir d'en arriver à une décision nuancée et équilibrée qui cherche à réduire au minimum les effets négatifs que pourrait entraîner la préséance d'une valeur. La notion de responsabilisation intervient ici. La délibération éthique conduira à assumer sa responsabilité comme intervenant, comme équipe, comme établissement. La responsabilisation passe par la capacité à répondre des décisions que l'on prend et qui touchent d'autres personnes. Il est donc particulièrement important de pouvoir légitimer les actes posés en étant en mesure d'expliquer rationnellement les décisions prises. Ceci est d'autant plus important que, très souvent, les différentes personnes concernées ne seront pas toutes forcément d'accord avec la décision prise. Alors, elles seront au moins à 14 même de reconnaître que cette décision se fonde sur des motifs raisonnables. Enfin, c'est aussi à cette étape qu'il faut décider des moyens d'action pour actualiser la valeur privilégiée. Toutefois, le choix des moyens doit également tenir compte le plus possible des autres valeurs identifiées dans les premières phases du processus. En fait, le moyen le plus intéressant est toujours celui qui satisfait au plus grand nombre de valeurs, ou, en d'autres termes, qui permet non seulement d'atteindre la valeur prioritaire, mais certaines des valeurs secondaires. ¾ Phase IV : Établir un dialogue avec les personnes impliquées En éthique, le rapport à l'autre est primordial. Dans une approche d'éthique appliquée, le dialogue doit permettre le passage du "je" au "nous". On entre en dialogue pour trouver, par co-élaboration, la meilleure décision possible dans les circonstances. Le dialogue doit chercher à établir une décision acceptable de façon intersubjective et critique. C'est aussi à travers le dialogue qu'il y a co-élaboration du sens à donner à la décision et à l'action. Bien entendu, dans le cas d'une décision qui se prend en groupe, en équipe, ou en comité, le dialogue est partie intégrante du processus de délibération éthique. Il doit s'établir dès le début du processus et il doit absolument intervenir avant la décision. Chacun des membres du groupe participe à la construction collective de la meilleure décision. Idéalement, cette décision devrait faire l'objet d'un consensus. Le dialogue est aussi essentiel dans la communication de la décision et des raisons qui justifient cette décision. C'est ce dialogue qui nous amène à nous ouvrir au point de vue de l'autre, qui nous force à une réflexion plus poussée et plus 15 systématique, et qui nous oblige à clarifier les motifs de nos décisions ou à les légitimer. 2.3 Les perspectives éthiques en interaction Les situations qui nécessitent qu'il y ait délibération éthique sont toujours des situations complexes. Lors de la délibération de groupe, diverses perspectives entreront nécessairement en interaction. Bossé et autres présentent et expliquent, de façon détaillée, ces diverses perspectives. Dans le cadre du présent guide, nous nous limiterons à la reproduction du schéma conçu par ces auteurs pour illustrer les interactions en jeu. Ce schéma nous apparaît suffisamment explicite pour aider les intervenants à comprendre que la démarche doit tenir compte de ces diverses perspectives et viser à une prise de décision qui les intègre au mieux. 16 CHAPITRE 3 3.1 LA MÉTHODE APPLIQUÉE DE DÉLIBÉRATION ÉTHIQUE Grille d'analyse Å Phase I – Prendre conscience de la situation 1. Inventorier les principaux éléments de la situation à À cette étape-ci, il s'agit essentiellement de dresser la liste de ces faits, sans en amorcer l'analyse. La situation doit être exposée clairement. à Quels sont les faits marquants de la situation qui provoquent la tension ou qui illustrent l'incertitude vécue ? à Qu'est-ce qui pose problème ? 2. Formuler le dilemme à À quels choix d'actions sommes-nous confrontés ? à Quelles sont les diverses avenues envisagées ? 3. Établir quelle serait la décision spontanée à Formuler ce qui nous vient spontanément à l'esprit comme choix d'options et préciser pourquoi ce choix semble le meilleur. 4. Identifier et analyser la situation des parties concernées à D'abord, identifier avec précision quelles seront les personnes impliquées, y compris le décideur, les institutions ou les autres éléments de l'environnement qui pourront subir des conséquences de la décision. à Ensuite, déterminer de quelle manière les conséquences les affecteront, en différenciant les conséquences directes et indirectes. Å Inspiré de Boisvert, Y. et autres et de Legault G.-A. 17 à Et, enfin, préciser les probabilités de réalisation de chacune des conséquences. Dans quelle mesure la conséquence identifiée risque-t-elle de se matérialiser ? Est-ce que c'est très probable (+), probable (±) ou peu probable (-) ? 5. Identifier les normes et les règles qui régissent la situation à Quelles sont les dispositions légales, réglementaires et déontologiques (normes écrites) dont il faut tenir compte ? à Quelles sont les dispositions morales et les convenances liées aux mœurs (normes non écrites) dont il faut tenir compte ? Phase II – Clarifier les valeurs conflictuelles 1. Identifier les émotions dominantes dans la situation à Qu'éprouve-t-on devant la situation ? à Si possible, identifier les valeurs associées aux sentiments éprouvés. 2. Nommer les valeurs agissantes dans la situation à Reprendre chacune des conséquences positives et négatives identifiées dans la phase I et nommer, de façon concrète, la valeur qui lui est directement reliée. Pour déterminer la valeur associée à une conséquence, on se demande : "Qu'est-ce que je veux protéger lorsque je veux éviter telle conséquence ?" ou "Qu'est-ce que je veux favoriser en préférant telle autre conséquence ?" à Nommer aussi les valeurs associées aux diverses normes retenues dans la phase I. 3. Identifier le principal conflit de valeurs à Quelles sont les valeurs agissantes dans la décision qui entrent en conflit ? 18 à Quelles sont les valeurs qui s'opposent et qui constituent le noyau de la décision ? à Quels sont les éléments secondaires qui n'ont qu'un poids relatif dans la décision et qui peuvent être éliminés ? Phase III – Prendre une décision raisonnable 1. Identifier la valeur qui a préséance dans la situation à À quelle valeur décidons-nous, dans la situation actuelle, d'accorder la priorité, sans rejeter l'autre, mais tenant compte qu'il nous est impossible de se conformer aux deux en même temps ? à Quelles sont les conséquences que j'aimerais mieux ne pas voir se réaliser ? à Quelle est l'obligation (en référence aux normes) à laquelle je ne peux me soustraire ? 2. Identifier le principal argument dans la résolution du conflit de valeurs à Quelles sont les raisons qui justifient la priorité accordée à la valeur retenue ? 3. Préciser les modalités de l'action à Quel est le meilleur moyen d'atteindre le but visé, en fonction de la valeur retenue comme prioritaire ? à Quel est le moyen qui atténuera le plus possible les conséquences négatives de la décision sur les personnes ou les groupes rattachés à la valeur secondaire ? à Quel est le moyen qui permet le mieux de trouver un équilibre entre la valeur privilégiée et le respect de la valeur secondaire ? 19 Phase IV – Établir un dialogue avec les personnes impliquées 1. Formuler une argumentation complète permettant de justifier sa position à Quelle est la meilleure façon de présenter, de façon logique et cohérente, les raisons qui motivent la décision prise ? à Quels sont les arguments qui devraient motiver l'ensemble des personnes concernées à accepter cette décision comme étant la meilleure dans les circonstances ? à Peut-on faire en sorte que la décision fasse consensus ? 2. Présenter l'argumentation qui justifie la décision à Comment assurons-nous le dialogue avec les personnes impliquées lors de la communication de la décision ? 3.2 Notes à l'intention de l'animateur Cette partie du guide a été conçue spécifiquement à l'intention de la personne qui assumera la responsabilité de convoquer et d'animer la rencontre de délibération éthique. De préférence, il s'agira d'un intervenant qui possède un certain recul par rapport à la situation, qui n'est pas partie prenante du dilemme, et à qui peut être accordée la crédibilité nécessaire pour animer une telle rencontre (ex : chef d'équipe, responsable de services, conseillère clinique, consultant, directrice clinique). Les notes sont présentées, parfois, sous forme de recommandations, parfois de conseils ou de suggestions, ou encore sous forme de commentaires. Elles ont été regroupées en trois sections : en préparation de la rencontre, lors du déroulement de la rencontre et en suivi de la rencontre. Le contenu de cette partie du guide n'est aucunement exhaustif; il vise essentiellement à transmettre aux personnes concernées les 20 informations et les réflexions que les membres du Comité d'éthique clinique du CSSS d'Antoine-Labelle considèrent pertinentes pour guider et soutenir ceux et celles qui assumeront la responsabilité particulière de l'animation. ¾ En préparation de la rencontre 1. Bien s'approprier le présent guide. S'assurer d'avoir une compréhension suffisante du cadre conceptuel et de la méthode de délibération. 2. S'assurer que la situation que l'on envisage de traiter avec cette méthode comporte vraiment un dilemme éthique (revoir la définition et les objectifs de la délibération éthique, au point 2.1). En substance, il faut s'assurer que la situation nous confronte réellement à un choix entre deux actions contradictoires qui ont des conséquences à la fois positives et négatives sur soi, sur autrui ou sur l'environnement. 3. Identifier et inviter toutes les personnes qui sont parties prenantes à la situation et qui doivent être impliquées dans la délibération. S'assurer que ces personnes ont pris connaissance du présent guide, afin que les participants disposent d'un langage et d'un système d'analyse communs. 4. Planifier de façon structurée le déroulement de la rencontre. S'assurer de disposer du temps requis pour compléter le processus et déterminer à l'avance comment le temps sera géré. Élaborer un plan concret. 21 ¾ Lors du déroulement de la rencontre 1. Résumer, à l'intention de tous les participants, les motifs à la base de la décision de procéder à une délibération éthique dans la situation en cause. 2. Expliquer à tous comment se déroulera la rencontre. 3. S'assurer que les motifs de la rencontre et la façon de procéder sont clairs et endossés par tous. 4. Amorcer la phase I de la délibération, tenant compte des indications et commentaires suivants : à Au cours de cette première phase, mettre sur la table toutes les informations pertinentes permettant à chacun d'avoir une vision d'ensemble de la situation. Il faut tracer un portrait le plus complet possible et le plus objectif possible. Rappeler à l'ordre les personnes qui auraient tendance à exprimer, dès cette première phase, leurs sentiments, émotions ou opinions, ou qui voudraient trop rapidement tirer des conclusions. à Faire en sorte que tous s'en tiennent d'abord aux faits, sans interprétation, jugement ou prise de position ferme. à Procéder par tour de table pour que tous partagent les informations dont ils disposent. Ne permettre, à cette étape, que les questions de clarification et éviter que les débats s'amorcent trop vite ou que de trop rapides confrontations nuisent au processus. à S'assurer que le point de vue de l'usager et de ses proches a été recueilli et qu'il sera pris en compte, particulièrement lorsque le dilemme est vécu entre deux intervenants. à S'assurer de ne retenir que les éléments pertinents, notamment lorsqu'il s'agit d'identifier les conséquences possibles de la décision et les normes qui régissent la situation. Éviter, le plus possible, de "ratisser trop large". Ne pas perdre de vue, 22 concernant les conséquences, que plus elles sont probables, plus elles sont déterminantes pour la décision, l'inverse étant également vrai. 5. À la phase II de la délibération, tenir compte des éléments suivants : à Alors qu'à la phase I, un effort d'objectivation était nécessaire puisqu'il fallait s'en tenir aux faits, à la phase II, chacun doit être amené à exprimer les émotions qu'il ressent face à la situation. Cette étape est indispensable (référer à la section 2.2). Mais, l'opération est délicate : l'animateur doit favoriser l'expression des émotions, exiger de tous une grande transparence et une authenticité face aux motifs réels de leurs positions respectives, tout en encadrant, par ailleurs, la démarche, afin d'éviter les dérapages. Ne pas perdre de vue que la finalité de cet exercice est d'arriver à nommer les valeurs agissantes dans la situation, pour ensuite pouvoir préciser où se situe le conflit de valeurs. Il ne s'agit pas d'un exercice de défoulement. Il faut éviter les affrontements, maintenir le climat de respect, et favoriser une expression constructive des émotions. à Être préparé à faire face à la tension émotive qui surgira et être en mesure de composer avec cette tension. Tout en étant empathique, conserver la distance critique (avec le recul et l'objectivité nécessaires) qui permettra d'assurer le bon déroulement de la délibération. Toujours garder à l'esprit que la rencontre vise ultimement une prise de décision raisonnable. à Amener, dans un deuxième temps, les participants à faire une réflexion critique par rapport à leurs émotions. Chacun devrait être en mesure de se poser la question suivante : est-ce que ma lecture de la situation est influencée par une émotion dominante qui en fausserait l'analyse ? à Veiller à ne pas aller trop vite dans l'identification des valeurs afin d'éviter d'évoquer des valeurs trop générales et abstraites telles le bonheur, la justice, l'équité, la solidarité, la loyauté, etc. 23 S'assurer de bien circonscrire, de façon précise, les valeurs concrètes qui sont spécifiquement "agissantes" dans la situation. à S'attendre à ce que certaines personnes trouvent l'exercice difficile ou "compliqué", la première fois. Leur transmettre l'espoir et la confiance que la délibération éthique est une méthode qui devient de plus en plus aisée, au fur et à mesure qu'elle est pratiquée. 6. Aux phases III et IV, retenir les règles suivantes : à Donner préséance à une valeur ne signifie pas le rejet des autres valeurs. Il faudra s'assurer que tous le comprennent bien et acceptent l'exercice de priorisation. à Il est impossible d'être responsable si nous ne pouvons expliciter aux autres les raisons de notre décision. Un effort important doit donc être fait à cet égard. à Plus les raisons de la décision seront clairement explicitées, plus il y a de chances pour que cette décision fasse l'objet d'un consensus ou soit endossée. Chacun doit en arriver à reconnaître que la décision retenue est la meilleure dans les circonstances. à Chaque étape du processus de délibération est importante. Il est essentiel de suivre la voie de délibération qui a été tracée, étape par étape. Éviter d'arriver trop vite au choix des moyens. À l'inverse, s'assurer de ne pas "escamoter" cette étape, de disposer du temps nécessaire pour bien préciser les modalités de l'action. à Ne pas terminer la rencontre sans avoir établi clairement qui fera quoi, quand, et comment. à Si nécessaire, planifier une rencontre de suivi avec les participants. 24 ¾ Après la rencontre de délibération 1. Un compte rendu de la rencontre de délibération éthique doit être écrit, transmis aux personnes concernées et versé au dossier de l'usager. 2. L'animateur est habituellement la personne qui s'assurera que la décision et les moyens d'action ont été mis en application. 3. Une rencontre de suivi, avec les mêmes participants, visant à faire le point sur les actions qui ont été prises et les résultats de ces actions, peut avoir lieu. Une telle rencontre peut permettre de planifier de nouvelles actions, à la lumière des résultats; elle devrait aussi permettre d'effectuer un bilan et de déterminer les enseignements à tirer de l'expérience pour le futur. Un compte rendu de cette nouvelle rencontre doit être produit et distribué comme le précédent. 4. S'il n'est pas jugé nécessaire de tenir une rencontre de suivi avec tous les participants à la rencontre initiale, il devrait quand même y avoir production d'un rapport de suivi faisant état de l'application de la décision et des moyens d'action. 25 CONCLUSION Les membres du Comité d'éthique clinique espèrent que ce guide sera utile au plus grand nombre d'intervenants possible. Les questions d'éthique sont au cœur de notre pratique clinique et il importe d'en débattre ouvertement. La méthode de délibération éthique proposée peut sembler exigeante, à première vue, mais comme elle s'applique dans des situations particulièrement complexes, le degré d'exigence est tout à fait justifié. La rigueur qu'elle exige est absolument indispensable à une prise de décision éclairée, responsable, considérée la meilleure dans les circonstances. Cette rigueur est essentielle pour qu'à l'issue de la démarche, tous aient le sentiment d'avoir bien analysé tous les aspects de la question, d'avoir entendu tous les points de vue s'exprimer et d'être en mesure de justifier clairement la décision prise. Par ailleurs, les membres du Comité d'éthique clinique sont aussi convaincus que plus la sensibilité aux enjeux éthiques des situations qui nous confrontent se développera, plus les équipes multidisciplinaires intègreront dans leur pratique la méthode de délibération éthique, plus les gains se feront sentir au niveau de l'efficacité de la démarche proprement dite, ainsi qu'au niveau de la qualité et de la pertinence des services rendus. Les gains seront majeurs pour les clients, mais aussi pour les intervenants qui "vivront mieux" avec leurs décisions. À toutes et tous : bonnes délibérations ! 26 SOURCES ET LECTURES RECOMMANDÉES LEGAULT, G.A., 2003, Professionnalisme et délibération éthique : manuel d'aide à la décision responsable, Ste-Foy, Presses de l'université du Québec. BOISVERT, Y., JUTRAS, M., LEGAULT, G.A., MARCHILDON, A., 2003, Petit manuel d'éthique appliquée à la gestion publique, Montréal, Liber. BOSSÉ, P.L., MORIN, P., DALLAIRE, N., 2006, La délibération éthique : de l'étude de cas à la citoyenneté responsable, Santé mentale au Québec, XXX1, 1, 47-63. FORTIN, J., 2000, La prise de décision en éthique clinique, La Gérontoise, vol. 11, no 2 CONSEIL DE LA SANTÉ ET DU BIEN-ÊTRE, 2004, Qu'est-ce que l'éthique ? Proposition d'un cadre de référence, Québec, Auteur. 27