Modélisation compacte du transistor FinFET pour la conception de circuits intégrés en technologie CMOS ultime Nicolas CHEVILLON, Fabien PREGALDINY, Morgan MADEC et Christophe LALLEMENT Université de Strasbourg InESS – UMR 7163 UdS/CNRS ENSPS, Parc d’Innovation, Bd Sébastien Brant BP 10413, 67412 ILLKIRCH Email : [email protected] Résumé Le transistor FinFET est considéré comme le plus probable successeur du transistor MOSFET bulk dans la course mondiale à la miniaturisation dans le domaine de la micro- et nano-électronique [1]. L’élaboration des circuits intégrés n’est rendue possible que par l’utilisation de modèles compacts. Ces modèles doivent prédire le plus précisément le comportement électrique de ces dispositifs avancés utilisés dans les circuits intégrés, et sont dits compacts, étant donné leur très faible demande de temps de calcul. Dans cet article, nous montrons un modèle compact efficace et explicite de FinFET valide jusqu’à des dimensions ultimes, et validé par des comparaisons avec des simulations numériques 3D. Nous évoquons également la plate-forme logicielle nécessaire au développement du modèle et à une extraction de paramètres automatisable. 1. Introduction. L’évolution de la micro-électronique et de la technologie CMOS silicium va dans le sens d’une miniaturisation des transistors. Le transistor MOS ou MOSFET (MOS Field Effect Transistor) constitue l’élément de base des circuits intégrés. Depuis le début des années 90, une organisation internationale, l’ITRS [1], composée d’industriels et d’universitaires, planifie le futur de l’industrie de la micro-électronique et la réduction d’échelle du MOSFET. L’augmentation constante du nombre de transistors par puce a rendu de plus en plus complexe leur conception. Les concepteurs doivent disposer d’outils informatiques, tels que la simulation de circuits, pour les aider. Cette simulation est possible grâce à l’existence des modèles compacts des dispositifs utilisés dans les circuits intégrés. La réduction d’échelle des dispositifs MOSFETs s’accompagne de nombreux phénomènes néfastes à leur bon fonctionnement, auparavant négligés. Dans la poursuite de la miniaturisation, ces effets (appelés communément « effets canaux courts ») doivent être contenus dans des valeurs acceptables par l’évolution de la technologie MOSFET. Pour permettre d’atteindre les limites ultimes de la réduction d’échelle, nous sommes passés d’une technologie sur substrat ‘bulk’ à un substrat SOI (SiliconOn-Insulator) typiquement en dioxyde de silicium (SiO2). Le canal est désormais peu dopé et devient naturellement partiellement ou complètement déplété. Le passage du transistor simple grille à des transistors multi-grille, tel que le transistor FinFET (Figure 1), améliore également les performances électriques. Figure 1 : Structure 3D du FinFET modélisé dans ce travail La technologie FinFET doit permettre d’étendre la technologie CMOS jusqu’à une longueur de grille de 10 nm [1]. Le choix d’un canal peu dopé est préférable pour éviter les fluctuations de dopage qui existent pour les MOSFET bulk actuels, et permet une amélioration de la mobilité. Plusieurs modèles compacts de FinFET et de MOSFET double-grille ont été publiés [2-5]. Cependant il y a encore un manque de modèles compacts complètement analytiques pour les dispositifs extrêmement courts. Un modèle compact explicite est proposé dans [6,7] mais il dépend d’un ensemble de paramètres empiriques. Le canal peut être dopé pour un ajustement de la tension de seuil du transistor. Une modélisation de l’effet du dopage a été récemment développée par notre équipe en collaboration avec l’EPFL [11]. Dans la deuxième partie de ce papier nous présentons un modèle compact statique du transistor FinFET doublegrille, qui est un modèle explicite basé sur la physique du dispositif. Dans une troisième partie, nous présentons un ensemble d’outils logiciels permettant le développement du modèle compact avec des simulations 3D et un logiciel d’extraction des paramètres du modèle. Enfin, nous présentons des résultats montrant la validation du modèle. 2. Modélisation compacte Le FinFET est constitué d’une grande épaisseur d’oxyde de 50 nm sous la grille supérieur, et d’une épaisseur d’oxyde de 1,5 nm pour les deux grilles latérales. La section horizontale du FinFET est très similaire à la structure d’un MOSFET double grille conventionnel. Cela est particulièrement vrai pour les FinFETs très étroits qui ont une hauteur HSi supérieure à 50 nm. La perte de contrôle électrostatique du canal par l’influence combinée des grilles latérales et de la grille supérieure aux angles supérieurs du canal, dit « effets de coin », peut être négligée. Ainsi le cœur physique du modèle compact de FinFET peut être dérivé de celui d’un modèle de MOSFET double grille symétrique [5, 8, 9]. Le cœur du modèle est basé sur le modèle canal long, dont l’équation fondamentale du courant de drain est rappelée ci-dessous en utilisant une normalisation des grandeurs électriques, telle que détaillée dans [5] qmD 2 α C i = −qm2 + 2 ⋅ qm + ⋅ ln 1 − ⋅ qm with α = ox (1) α 2 CSi qmS Pour calculer ∆ψSmin nous utilisons la solution exacte du profil de potentiel le long du canal définie dans [10]. La validité de (2) dans tous les régimes de fonctionnement est explicitée dans [9], et peut ainsi être utilisée pour calculer les densités de charges. Figure 2 : Potentiel du canal de la source au drain pour les deux longueurs L = 20 nm et L = 80nm, et pour WSi = 10 nm. Simulations 2D. où i est le courant normalisé, qm la densité de charge mobile normalisée, Cox la capacité d’oxyde de grille par unité de surface et CSi la capacité du film de silicium par unité de surface. 2.1 Modélisation des effets canaux courts Pour les plus courts canaux, la réduction de leur longueur produit, pour une largeur WSi donnée, une modification de la tension de seuil. Cette dégradation est accentuée par l’effet dit d’"abaissement de la barrière induite par le drain" (DIBL) qui provient de l’influence de la tension de drain sur la barrière de potentiel du canal. Par le tracé du profil de potentiel du canal, de la source au drain, la Figure 2 montre l’influence de la longueur du canal et de la tension source-drain sur la barrière de potentiel du transistor. Une bonne approximation du courant de drain en inversion volumique est de considérer uniquement la diffusion des porteurs libres, de la source vers le drain, qui dépend de la barrière de potentiel. Dans le cas des canaux courts, le profil de potentiel le long du canal n’est plus plat, même s’il n’y a pas de tension source-drain appliquée. Les profils de potentiel des jonctions source/canal et drain/canal deviennent prédominantes. L’approximation du canal graduel ne peut donc plus s’appliquer. Le potentiel minimum, qui est le potentiel à la barrière de potentiel, imposant donc le courant en inversion volumique, nous proposons de considérer un profil de potentiel avec le potentiel minimum étendu à la totalité du canal (pointillés de la Figure 3). La variation de potentiel minimum par rapport au canal long est noté ∆ψSmin. En faible inversion, pour les canaux longs non dopés, le potentiel de surface peut être supposé égal à la tension de grille vg [10]. Ainsi en gardant la forme du modèle canal long [5], nous l’étendons pour le cas des canaux courts en remplaçant simplement vg par vgN : vgN = vg + ∆ψ S min (2) Figure 3 : Potentiel du canal en fonction de la position normalisée à la longueur de canal pour les deux longueurs L = 40 nm et L = 1 µm, pour WSi = 10 nm. 2.2 Modélisation de la mobilité La mobilité en forte inversion a déjà bien été modélisée dans différents modèles compacts [4, 12], mais pour la faible inversion ce problème reste ouvert. La dépendance de la mobilité en faible inversion avec la longueur du canal a été étudiée expérimentalement dans [13], et montre une dégradation de la mobilité significative pour les longueurs de canal inférieures à 100 nm. Pour des films de silicium de quelques nanomètres, il est observé que la mobilité des électrons en faible inversion et en inversion modérée devient dépendante de la largeur WSi [14], avec une forte dégradation pour les plus petites valeurs de WSi (3-5 nm). Son origine physique tient au phénomène de dispersion des phonons optiques de surface [14]. Pour constater l’influence de la dégradation de la mobilité sur les caractéristiques du dispositif, nous comparons la variation de la tension de seuil par rapport à la longueur, entre des simulations Atlas avec une mobilité constante et des simulations utilisant le modèle de mobilité CVT. Comme cela est montré à la Figure 4, la différence entre les deux conditions de mobilité est significative pour des longueurs inférieures à 100 nm. Nous proposons un modèle prenant en compte la dépendance de la mobilité transverse à la longueur et à la largeur du canal. Nous partons du modèle de mobilité de Lombardi, qui est aussi utilisé dans nos simulations numériques avec Atlas [16]. Le champ électrique transversal dans les dispositifs à canaux courts, même à de faibles tensions de grille, dépasse 106 V/cm. Un tel champ électrique a une influence significative sur la dégradation de la mobilité en faible inversion et doit être pris en compte dans l’expression de mobilité. Une bonne approximation consiste à calculer le champ électrique de surface au centre du canal, d’où l’expression de mobilité effective transversale suivante : µ0 µtrans = 1+ Es EQ + e0 e1 (3) où µ0 est la mobilité à champ faible canal long et, e0 et e1 sont des paramètres empiriques. Le champ EQ opère en inversion modérée et en forte inversion. Es est le champ électrique normal à la surface à la position du potentiel minimum sans l’influence de la charge mobile. Ce terme du champ électrique transverse est significatif en faible inversion et tend vers zéro pour les canaux longs. Figure 4 : Comparaison de la diminution de la tension de seuil entre les simulations 3-D avec le modèle de mobilité CVT et une mobilité constante. n’atteignent le point de pincement. Dans ce cas, plus la tension source-drain est importante et plus le courant de drain se trouve réduit. Cet effet peut être considéré comme une dégradation supplémentaire de la mobilité. La tension de saturation vdsat est modélisée en tenant compte des phénomènes de dégradation de mobilité [9], permettant ainsi le calcul de la modulation de longueur de canal prenant en compte les deux effets de saturation [4]. 3. Plate-forme logicielle pour la simulation et l’extraction de paramètres L’objectif d’une extraction de paramètres est de trouver un jeu de valeurs de paramètres du modèle, valide pour une technologie donnée du dispositif étudié. L’opération d’extraction s’effectue à partir de séries de données de mesures expérimentales de grandeurs électriques du transistor, ou à partir de données de simulations des grandeurs électriques si nous ne disposons pas de mesures. Les mesures ou simulations sont typiquement des caractéristiques courant-tension (I-V) et capacité-tension (C-V). Nous disposons de mesures expérimentales, réalisées au sein de la société Infineon qui fait partie, comme notre équipe de recherche, du projet européen COMON. Cependant l’utilisation d’un logiciel permettant de simuler en 3D le transistor reste nécessaire pour étudier les phénomènes physiques à modéliser qui ont lieu en son sein. Les valeurs de paramètres du modèle s’obtiennent par le logiciel IC-CAP, qui a besoin d’une implémentation du modèle compact dans le langage de description matériel Verilog-A. L’extraction est réalisée au travers d’une plateforme logicielle décrite à la Figure 5. Par l’utilisation de programmes de script en langage Python [15], cette plateforme permet l’exécution automatisée de simulations 3D, et l’exécution d’une procédure d’extraction de paramètres. Script python de simulation 3D de FinFETs 2.3 Modélisation de la modulation de longueur de canal Pour une tension de drain supérieure à la tension dite de saturation vdsat, une région de charge d’espace se crée à l’intérieur du canal à partir du drain jusqu’à un point appelé le point de pincement. L’approximation de canal graduel, à la base du modèle canal long, ne s’applique qu’à la partie du canal entre la source et le point de pincement, dont la longueur dépend de la polarisation du drain et de la grille. Il s’agit donc de définir une expression qui module la longueur réelle du canal pour obtenir une longueur effective remplaçant la longueur du canal dans le modèle. La longueur de la région de charge d’espace, ou région de saturation, ne dépend pas de la longueur du canal. Ainsi plus le canal est court et plus la modulation de canal a une influence sur le courant. Il existe un autre effet de saturation pour les transistors à canaux courts, l’effet de saturation de la vitesse des porteurs. Les porteurs sont accélérés par le champ électrique entre la source et le drain. Pour de fortes polarisations de drain, la vitesse des porteurs est limitée par un phénomène de saturation avant que les porteurs Données simulées Silvaco/Atlas Données de mesures OU Extraction de paramètres Modèle Verilog-A Conversion python de format de données IC-CAP Procédure d’extraction de paramètres Paramètres du modèle Figure 5 : Schéma de la plate-forme logicielle 4. Résultats Le modèle présenté est maintenant comparé avec des simulations 3-D Atlas. Dans un premier temps nous imposons la mobilité constante dans le modèle analytique et les simulations, pour se focaliser sur la modélisation des effets canaux courts. La Figure 6 montre le courant de drain en fonction de la tension de grille pour différentes longueurs de grille à la largeur WSi = 3 nm. La pente sousle-seuil est correctement prédite pour différentes longueurs de canal comme le montre le bon accord avec les simulations dans la région de faible inversion. d’épaisseur de couches de silicium (de WSi = 3 nm à 20 nm) et de longueurs de canal (de L = 25 nm à 1 µm), avec des hauteurs de films de silicium réduite jusqu’à 50 nm. Une plate-forme logicielle permet une exploitation efficace du simulateur TCAD et du logiciel d’extraction de paramètres disposant du code du modèle en langage Verilog-A. La dégradation de la mobilité est prise en compte par le modèle. Toutes les quantités du modèle sont exprimées en termes de variables normalisées, simplifiant la formulation du modèle et le rendant bien adapté au travail d’un concepteur de circuits. Dans une future publication, ce modèle compact sera complété par une nouvelle modélisation physique des effets de quantification (un modèle quantique semi-empirique existe déjà dans [6]). Ce travail est soutenu en partie par la Commission Européenne avec le contrat 218255 ("COMON"), FP7PEOPLE-2007-3-1-IAPP. Références Figure 6 : Courant de drain en fonction de la tension de grille. Modèle : lignes ; simulations : symboles. L’influence de la dégradation de la mobilité et de la saturation de la vitesse des porteurs est montrée à la Figure 7. Le courant de drain est représenté en fonction de la tension de drain pour différentes tensions de grille et la structure avec WSi = 3 nm et L = 25 nm. La vitesse de saturation des porteurs est fixée à Vsat = 1.2 107 cm/s et le terme de mobilité µ 0 a été extrait à 1080 cm2/V.s des simulations à L = 100 nm. Les comparaisons avec les simulations montrent une bonne précision des caractéristiques de sortie modélisées. Figure 7 : Courant de drain en fonction de la tension de drain. Modèle : lignes, simulations : symboles. 5. Conclusions Nous avons présenté un modèle compact explicite basé sur la physique, de FinFETs faiblement dopés incluant les effets de canaux courts. Il a été validé par des simulations numériques 3-D dans tous les régimes de fonctionnement du transistor. Le modèle est adapté à une large gamme [1] ITRS 2009. http://www.itrs.net. [2] M. V. Dunga, et al, "Modeling advanced FET Technology in a compact model", IEEE Trans. Electron Devices 53 (9) (2006) pp. 1971-1978. [3] G. D. J. Smit, et al, "PSP-based scalable compact FinFET model", Proc. NTSI-Nanotech 3 (2007) pp. 520-525. [4] F. Lime, et al, "A Quasi-Two-Dimensional Compact drain– current model for undoped symmetric double-gate MOSFETs including short-channel effects", IEEE Trans. Electron Devices 55 (6) (2008) pp. 1441-1448. [5] J.-M. Sallese, et al, “A design oriented charge-based current model for symmetric DG MOSFET and its correlation with the EKV formalism”, Solid-State Electron. 49 (3) (2005) pp. 485–489. [6] M. Tang, et al, "Explicit compact model for ultranarrow body FinFETs", IEEE Trans. Electron Devices 56 (2009) pp. 1543-1547. [7] N. Chevillon, et al, "FinFET compact modeling and parameter extraction", IEEE MIXDES (2009) pp. 55-60. [8] F. Prégaldiny, et al, "Explicit modeling of the double-gate MOSFET with VHDL-AMS", Int. J. Numer. Model: Elec. Network Dev. Fields 19 (3) (2006) pp. 239-256. [9] A. Yesayan, et al, "Compact Physics-based Model for Ultrashort FinFETs", IEEE Proc. MIXDES (2010) pp. 125128. [10] X. Liang, Y. Taur, "A 2-D Analytical Solution for SCEs in DG MOSFETs", IEEE Trans. Electron Devices 51 (8) (2004) pp. 1385-1391. [11] J.-M. Sallese, N. Chevillon, et al, "The equivalent-thickness concept for doped symmetric DG MOSFETs", IEEE Trans. Electron Devices 57 (11) (2010) pp. 2917-2924. [12] R. van Langevelde, et al "Physical Background of MOS Model 11", Level 1101, Amsterdam, The Netherlands: Koninklijke Philips Electron. N.V., Nat. Lab. Available: http://www.nxp.com/models/mos_models/model11/ [13] A. Cros et al. "Unexpected mobility degradation for very short devices: A new challenge for CMOS scaling", IEEE IEDM Tech.Dig. (2006) pp. 663–666. [14] D. Esseni, et al "Physically based modeling of low field electron mobility in ultrathin single- and Double-gate SOI n-MOSFETs", IEEE Trans. Electron Devices 50 (12) (2003) pp. 2445-55. [15] Documentation Python : docs.python.org. [16] Silvaco, documentation Atlas.