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Ethique et Urgences 2
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une véritable prise en compte de repères
anthropologiques. Ainsi « le prolongement artificiel
de l’existence des incurables et des mourants par
l’utilisation de moyens médicaux hors de proportion
avec l’état du malade ou par la poursuite du traitement
sans le consentement du malade constitue une menace
sur les droits fondamentaux que confere à tout malade
incurable et à tout mourant sa dignité d’être humain »
(Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire.
Recommandation 1418, 25 juin 1999 : Protection des
droits de l’homme et de la dignité des malades
incurables et des mourants.). Ces principes ont été
assumés en France dans la loi n° 2002-303 du 4 mars
2002 relative aux droits des malades et à la qualité du
système de santé (Article L 1111-4 : « Le médecin doit
respecter la volonté de la personne après l’avoir
informée des conséquences de ses choix. Si la volonté
de la personne de refuser ou d’interrompre un
traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout
mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins
indispensables »). La réflexion européenne a abouti,
grâce aux travaux du Comité Directeur pour la
Bioéthique (Conseil de l’Europe), à la convention
d’Oviedo, ratifiée le 4 avril 1997 et entrée en application
en décembre 1999. Il s’agit là du seul instrument
juridique international contraignant à ce jour (14).
Selon l’accent sur lequel porte le discernement (utilité,
loi, finalité…), on évoquera en outre des démarches
utilitaristes, légalistes, conséquentialistes. Ces
tendances s’avèrent relativement prégnantes dans la
civilisation occidentale actuelle.
La démarche éthique est toujours un compromis qui
n’appelle pas de solutions toutes faites mais qui essaye
humblement, en fonction du meilleur des données de la
science, de concilier les intérêts parfois contradictoires
entre le patient, ses proches, son médecin, les
soignants et la société. Elle se doit de prendre en
compte les différents principes nouveaux et anciens de
l’éthique, mais sans les absolutiser. Si la bienfaisance et
la non malfaisance tiennent une place spéciale dans la
médecine hippocratique, d’autres paraissent plus relatifs
avec l’évolution de la médecine. Il en est ainsi du
maintien en vie d’un malade par tous les moyens : cet
impératif moral qui paraissait faire l’unanimité des
années 60 aux années 80 est aujourd’hui une attitude
qualifiée d’ « acharnement thérapeutique ». La
conscience et la pratique médicales rejoignent ainsi la
pensée du philosophe qui écrivait au début du XXe
siècle : « le critère biologique du maximum de vie est
absolument inadéquat en tant que critère éthique »
(15).
1.2 De l’éthique en fin de vie
Les progrès de la science font reculer la mort. Cela a au
moins trois conséquences. D’abord, vivant de plus en
plus vieux, de nouvelles questions naissent autour du
vieillissement, des priorités économiques, de la qualité
de vie des personnes âgées... Ensuite la mort devient ce
qui « échappe » à la médecine, ce que l’on médicalise,
ce qui devient indécent … Trois français sur quatre
meurent à l’hôpital. De plus en plus d’adultes n’ont
jamais assisté à la mort de quelqu’un et craignent la
mort. Les solidarités de proximité s’effondrent. Les rites
de passage s’effritent. Enfin, le diagnostic de mort pose
problème. Les critères de l’arrêt cardiorespiratoire
s’avèrent parfois insuffisants et la technologie crée des
situations et des questions nouvelles.
De fait, la mise en route ou la poursuite d’une
réanimation peuvent être considérées, après un
discernement prenant en compte la singularité de la
situation, comme une obstination déraisonnable.
L’obstination déraisonnable est un jugement porté sur
l’acte médical, se fondant sur une argumentation
médicale et éthique solide. Ce terme remplace celui
d’acharnement thérapeutique. Ces deux notions
s’appuient sur une disproportion injustifiable : on
reconnaît, dans ces cas, que l’acte thérapeutique ne
sert pas la vie mais prolonge l’agonie, va au delà de ce
qui est médicalement raisonnable, ne va pas dans le
sens du bien du patient, de l’acceptation de la mort soit
en l’anticipant soit en la retardant. Son équivalent dans
le monde anglophone correspond à la notion de
« futility » qui insiste sur l’inanité ou vanité (dans le
sens de vain) des mesures thérapeutiques ( 16-19).
Tant le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE)
que les instances religieuses chrétiennes, juives et
musulmanes ou le code de déontologie médicale sont
d’accord pour reconnaître la réalité de l’obstination
déraisonnable (20-22). L’article 37 du Code de
Déontologie médicale précise : « en toutes
circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les
souffrances de son malade, l'assister moralement et
éviter toute obstination déraisonnable dans les
investigations ou la thérapeutique ». Pour le CCNE, « la
décision de ne pas entreprendre une réanimation, de ne
pas la prolonger ou de mettre en œuvre une sédation
profonde – que certains qualifient parfois d’euthanasie
passive- - peut avancer le moment de la mort. Il ne
s’agit pas d’un arrêt délibéré de la vie mais d’admettre
que la mort qui survient est la conséquence de la
maladie ou de certaines décisions thérapeutiques qu’elle
a pu imposer. En fait, ces situations de limitations de
soins s’inscrivent dans le cadre du refus de
l’acharnement thérapeutique et ne sauraient être
condamnées au plan de l’éthique ». Dans l’Encyclique
« Evangelium vitae » (25 mars 1995), le pape Jean-Paul
II précise : « on peut en conscience renoncer à des
traitements qui ne procureraient qu’un sursis précaire et
pénible de la vie, sans interrompre pourtant les soins
dûs au malade en pareil cas ». Ainsi, aucun médecin
n’est moralement tenu de mettre en route ou de
poursuivre un traitement qu’il estimerait relever d’une
obstination déraisonnable (23,24).
Si le médecin et l’équipe soignante arrivent à une telle
conclusion plusieurs solutions s’ouvrent à eux :
l’abstention, l’arrêt thérapeutique, la limitation et la
désescalade thérapeutique. En présence d’une urgence
vitale, la limitation thérapeutique est une réponse
graduée par rapport à l’abstention thérapeutique, et la
désescalade, une réponse graduée à l’égard de l’arrêt
thérapeutique. Il n’existe aucun critère scientifique pour
déterminer à partir de quel moment ou à partir de quel
seuil le traitement devient une obstination
déraisonnable (25,26).
Les abstentions et limitations thérapeutiques d’une part,
les arrêts et les désescalades (retraits) thérapeutiques
d’autre part font partie du quotidien de la médecine
hospitalière (27,28). La prise en charge de patients en
fin de vie dans les SU est une réalité. Une étude faite en
1997 dans 54 centres d’urgences hospitaliers français et
belges, a révélé que sur 248 décès en un mois, 43
concernaient des personnes en fin de vie . Tous ont eu
une limitation thérapeutique. Sur les 205 autres
patients, 23% ont eu une abstention thérapeutique,
28% un arrêt de soins (28).
1.3 De l’éthique en médecine d’urgence
En médecine d’urgence, les problèmes éthiques
acquièrent une acuité particulière. Les SU ont examiné