Texte de base sur un travail présenté au cours d`Anthropologie

Texte de base sur un travail présenté au cours d’Anthropologie juridique dans le cadre du DEA en Théorie du droit à
l’Académie Européenne de Théorie du droit - Année 2006-2007
LES FORETS DU BASSIN DU CONGO ENTRE UNE
PATRIMINIALISATION COMMUNE SOUHAITEE ET LES
NECESSITES LOCALES DE DEVELOPPEMENT.
Pour un diatopisme entre le global et le local
Par
Jean Paul Segihobe Bigira
E-mail : sebijean@yahoo.fr
Aujourd’hui plus que jamais, la planète Terre vit une crise écologique qui ne cache plus
ses marques : le réchauffement climatique, la disparition progressive des espèces, la destruction
continue de leur habitat, etc. Les grandes avancées technologiques vont en même temps avec les
grandes menaces de dégénérescence de la vie sur terre. Cette situation a amené depuis maintenant
plusieurs décennies les décideurs politiques, les scientifiques et autres acteurs d’envisager un
développement qui s’inscrive dans la protection de l’environnement (voir à ce propos le Rapport
Brundtland). Plusieurs conférences internationales
1
se sont tenues à cet effet et la question
fondamentale reste celle de savoir comment concrétiser depuis Stockholm (1972) l’idée d’éco-
développement devenue développement durable à Rio (1992) ensuite à Johannesburg (2002) ?
S’agissant des pays africains et en l’occurrence ceux de l’Afrique Centrale, la protection
des forêts du Bassin du Congo
2
a été au cœur des travaux lors du Sommet Mondial pour le
Développement durable de Johannesburg en marge duquel un Partenariat pour les forêts du
Bassin du Congo (PFBC) a été signé
3
. Compte tenu de leur importance on ne peut plus capitale
1
La Conférence des Nations Unies sur l’environnement, tenue à Stockholm, en juin 1972 ; la Conférence des
Nations Unies sur l’environnement et le développement, tenue à Rio de Janeiro, en juin 1992 ; le Sommet Mondial
pour le Développement Durable, tenu à Johannesburg, septembre 2002.
2
Le Bassin du Congo constitue le deuxième plus vaste massif forestier tropical du monde après celui de l’Amazonie.
Ce vaste bloc forestier qui renferme une diversité biologique remarquable et qui couvre près de 227,61 millions
d’hectares (FAO 2005) s’étend sur la République Démocratique du Congo, le Congo-Brazzaville, le Gabon, le
Cameroun, la République Centrafricaine, la Guinée Equatoriale et recèle plus de la moitié de la faune et de la flore
africaines. Mais ces forêts subissent des menaces sous forme de braconnage, d’exploitation forestière et minière, etc.
et chaque année, leur étendue diminue en millions d’hectares. Voir http://www.comifac.org/comifac/historique.htm
3
Les 34 membres fondateurs du PFBC rentrent dans trois grandes catégories : gouvernements ( le Cameroun, la
République Centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Guinée équatoriale, le Gabon, la République
du Congo, la Belgique, le Canada, la France, l’Allemagne, le Japon, l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni, les Etats-
Unis d’Amérique et la Commission européenne), organisations intergouvernementales ( l’Organisations
internationale des bois tropicaux, la Banque mondiale et l’Union mondiale pour la nature) et organisations non
gouvernementales (le Jane Institute, Conservation international, la Wildlife Conservation Society, le Fonds mondial
dans l’écosystème à l’ère de grands problèmes environnementaux mais aussi du rôle déterminant
qu’elles doivent jouer pour le développement socio-économique de la sous-région à partir de leur
exploitation rationnelle, ces forêts alimentent des discussions d’ordre politique, juridique, socio-
économique, scientifique dont les contours anthropologico-juridiques restent à explorer.
Le débat sur la question du patrimoine commun de l’humanité appliqué aux forêts du
Bassin du Congo susciterait plusieurs oppositions tant dans le monde politique que dans les
académies des juristes. Pourtant, il nous semble que l’évolution du monde avec les problèmes
environnementaux amènerait certains décideurs politiques engagés dans le PFBC d’envisager
l’introduction de ce massif forestier, si pas certaines de ses zones
4
, dans ce qu’on a l’habitude de
nommer patrimoine commun de l’humanité. Nous nous poserons cette question (A) avant
d’envisager les forêts du Bassin du Congo comme étant des patrimoines nationaux aux portées
planétaires (B) et d’attirer l’attention sur la complexité liée aux exigences de la protection de ce
massif forestier en vue d’un développement durable (C) qui passe par la conjugaison du global et
du local (D). L’approche anthropologique du droit que nous empruntons pour nous inscrire dans
ce débat nous amènera à faire recours à la méthode diatopique et dialogale dans nos analyses
avec l’objectif de montrer la nécessité de tenir compte des réalités locales pour toute entreprise de
développement qui se veut durable.
A. Vers la patrimonialisation commune des forêts du Bassin du Congo ?
L’implication politico-financière des pays développés
5
dans ce partenariat est pour le
moins questionnante si pas « suspecte ». Progressivement l’idée de patrimoine commun de
l’humanité
6
se chuchote au sujet de ces forêts mais elle se butte à une farouche opposition des
pour la nature, le World Resources Institute, Forest Trends, l’Association technique et internationale des bois
tropicaux et le Center for International Forest Research). En tant que groupe, les 34 partenaires se sont engagés à
financer et/ou mettre en œuvre des programmes pour la conservation et la gestion durable des forêts du Bassin du
Congo dont le montant s’élève à plusieurs dizaines de millions de dollars américains et d’euros. Voir
http://www.cbfp.org/partenaires.htm
4
C’est probablement l’un des objectifs que se sont assignés les organisateurs ( la Belgique, la France, la Grande
Bretagne, la Banque Mondiale ) de la Conférence Internationale sur la gestion durable des forêts en République
Démocratique du Congo qui s’est tenue à Bruxelles, au Palais d’Egmont, du 26 au 27 février 2007. Voir
www.confordrc.org
5
Les USA et la France par exemple se sont engagés à investir respectivement 52 et 37 millions de dollars pour le
financement de la gestion des forêts du Bassin du Congo. Voir www.cbfp.org; voir aussi Assitou Ndinga, Gestion
des fôrets d’Afrique Centrale. Avec ou Sans les concernés ?, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 72.
6
Sur les origines de cette notion, voir A.-C. Kiss, « La notion de patrimoine commun de l’humanité », in RCADI,
1982,II, pp. 109-119 ; H.R. Herrera Caceres, « La sauvegarde du patrimoine commun de l’humanité », in La gestion
pays abritant ce massif forestier qui les considèrent, chacun dans les limites de ses frontières,
comme étant une richesse nationale. Evidemment, de nos jours, il est tentant d’appliquer à la
protection de l’environnement une notion ayant une résonance générale voire métajuridique
7
,
mais surtout faussement rassurante dans la mesure elle connote l’idée de communauté et
d’implication de tous dans la responsabilité de la protection aussi bien que dans le droit de
jouissance. Les critères politiques de souveraineté ou économiques et financiers seraient
relativisés et déterminés par une exigence écologique supérieure parce que concernant l’humanité
toute entière
8
. Aussi, est-ce naturellement que l’on a suggéré dans divers forums réunis dans le
cadre de la préparation de la CNUED que les forêts reçoivent cette qualification juridique et par
suite, soient élevées à la catégorie d’un bien supranational, échappant à l’emprise de leurs
légitimes propriétaires qui n’en deviendraient alors que des gardiens, certes privilégiés, mais dans
l’intérêt de tous
9
. De toute façon, des formulations ambiguës telles que celles qui déclarent que
« les forêts tropicales humides sont de plus en plus considérées comme un bien environnemental
mondial à cause de leur biodiversité et de leur impact possible sur le climat »
10
cachent à peine,
comme le relève Maurice Kamto, cette idée de patrimonialisation des ressources forestières au
profit de l’humanité, en particulier celles des pays en développement, puisque toutes les forêts
tropicales humides y sont situées
11
.
S’agissant de la notion de « patrimoine commun » appliquée aux forêts du Bassin du
Congo, les pays qui les abritent la considèrent comme un moyen pour les pays développés
d’avoir un accès libre à leurs ressources et de continuer sous un nouveau label leur exploitation. Il
est à noter que cette controverse se déroule essentiellement sur le terrain politique alors que l’idée
de patrimonialisation d’une ressource est par dessus tout une question juridique puisqu’elle
implique une opération de qualification qui ne peut se faire qu’à travers la détermination de la
des ressources pour l’humanité : le droit de la mer, Colloque de La Haye, 29-31 octobre 1991, Martinus Nijhoff
Publishers, 1978, pp. 125-126.
7
Lire avec fruit l’approche morale de la notion de patrimoine commun de l’humanité faite par Henri Sanson, « Le
droit de l’humanité à une Maison-Terre habitable », in L’avenir du droit international de l’environnement, colloque
de La Haye, 12-14 novembre 1984, Martinus Nijhoff Publishers, 1985, p. 443.
8
Voir E. Le Roy, « Le patrimoine commun, notion juridique en évolution », in E. Le Roy, A. Karsenty, A. Bertrand,
La sécurisation foncière en Afrique. Pour une gestion viable des ressources renouvelables, Karthala, Paris, 1996, p.
53.
9
Voir Maurice Kamto, « ‘Les forêts, patrimoine commun de l’humanité’ et droit international », in M. Prieur et S.
Doumbe-Bille (dir), Droit, forêts et développement durable, Actes des 1ères journées scientifiques du Réseau « Droit
de l’Environnement » de l’AUPELF-UREF à Limoges, France, 7-8 novembre 1994, p.79.
10
« Forest Policy : An Approch paper », Banque Mondiale, 25 octobre 1990.
11
M. Kamto, Op. cit., pp. 79-80
catégorie appropriée pour classer en droit la ressource ou la chose concernée
12
. La qualification
s’entend, en effet, du processus par lequel le juriste fait entrer les faits pertinents dans le monde
du droit
13
; c’est par elle que le droit se saisit du fait. Ainsi, qualifier les forêts du Bassin du
Congo de patrimoine commun de l’humanité, c’est au fait les faire entrer dans la catégorie des
biens, c’est-à-dire, des choses dont le titulaire serait l’humanité. Cela n’est possible qu’à la
condition que leurs titulaires actuels, les Etats du Bassin du Congo, renoncent à leurs titres sur
ces biens au profit de ce nouveau titulaire.
En associant patrimoine et commun, il se dégage l’idée d’une richesse qui nous est
confiée par héritage à charge pour nous de la transmettre à nos successeurs. Il faut aussi y
associer le principe, à l’inverse du Code civil, que nul n’est autorisé à sortir de l’indivision, c’est-
à-dire que nous sommes solidaires de ce futur commun. Ceci entraînerait des droits mais aussi et
surtout des obligations qui s’imposeraient d’autant plus facilement qu’ils seraient le produit d’un
consensus et garantis par une autorité supra-nationale
14
. En revanche, la référence à l’humanité
exige du juriste un effort de conceptualisation. L’humanité n’a pas une personnalité juridique,
elle ne peut donc être l’auteur d’une universalité juridique que représente un patrimoine dans son
sens civiliste et ne pourrait donc pas ester en justice ou pour le moins y avoir des actions
patrimoniales, celles-ci devant être exercées par des personnes juridiques.
Le questionnement que suscite la patrimonialisation commune de l’humanité des forêts du
Bassin du Congo pourrait donner lieu à plusieurs tentatives de réponses parfois même opposées
sinon contradictoires selon les approches utilisées pour appréhender ce « phénomène juridique ».
En utilisant une approche strictement positiviste du point de vue du droit international, l’on
pourrait arriver à une proposition telle qu’il est impossible de considérer ces forêts comme un
patrimoine commun de l’humanité compte tenu de l’inadéquation de cette notion appliquée aux
massifs forestiers, de sa pertinence juridique contestable résultant d’une incapacité objective du
titulaire du patrimoine de s’acquitter des devoirs et des responsabilités qui lui incombent à ce titre
et surtout de son efficacité non assurée
15
. Cette position sera encore confortée avec un regard
rétrospectif sur le sort réservé au patrimoine commun dans le domaine du droit de la mer, qui fut
12
Idem.
13
Lire C. De Klemm, G. Martin, M. Prieur et J. Untermaier, « Les qualifications des éléments de l’environnement »,
in A. Kiss (dir), L’écologie et la loi , Paris, L’Harmattan, 1989, p. 51.
14
E. Le Roy, Op. cit., p. 53.
15
C’est l’avis partagé par M. Kamto, in Op. cit., pp. 81-84.
quasiment un échec
16
. Même, en abordant cette problématique par une approche anthropologique,
nous arriverons certes à des résultats moins péremptoires comme dans le cas que nous venons de
citer mais du moins des propositions qui témoignent d’un éclectisme qui s’impose par le dialogue
de plusieurs cultures.
En se situant dans la vision africaine, la forêt tout comme la terre représentent des
symboles à signification plurielle et conditionnent la façon de vivre des africains (dans certaines
cultures c’est dans la forêt que se fait la circoncision, l’initiation à la vie dans la société, le
passage de l’âge d’adolescence à l’âge adulte, la passation des pouvoirs coutumiers, la chasse au
gibier et la coupe du bois de chauffe domestique, l’habitation de l’animal totem de certaines
tribus etc.). Bref, la forêt remplit multiples fonctions qui sont écologique, économique, culturelle
et sociale. Elle participe à la réglementation des climats, à la protection des sols, des sources et
des réseaux hydrographiques ainsi qu’à la diversité biologique. Elle constitue un terrain de
prédilection pour l’élevage, l’agriculture, la chasse et la pêche. Elle est source d’emplois et
génère des devises
17
.
Ainsi, appliquer aux forêts, en l’occurrence celles du Bassin du Congo, la notion de
patrimoine commun de l’humanité relève quelque peu de l’absurdité aux yeux des populations
riveraines compte tenu du rôle qu’elles jouent (tel que nous venons de le mentionner) et constitue
une aporie juridique qui ne tient pas compte des réalités sociales des pays concernés. Plusieurs
raisons justifient l’inadéquation de la notion de patrimoine commun de l’humanité en matière de
gestion des forêts du Bassin du Congo. Nous en relevons deux .
D’une part, nous référant à l’origine de cette notion, il importe de rappeler le contexte
particulier qui l’a vu naître et surtout souligner qu’elle a été forgée pour qualifier une ressource
particulière considérée jusque comme une res communis par nature : les ressources des fonds
marins au-delà des juridictions nationales en l’occurrence celles de la haute mer. L’appropriation
de ces ressources au profit de l’humanité était possible parce qu’elles n’étaient placées sous la
juridiction d’aucun Etat. D’ailleurs les discussions sur ce nouveau statut juridique des fonds
marins furent ardues et la notion est aujourd’hui remise en cause, ou à tout le moins vidée de son
16
En effet la renégociation de la partie XI de la convention de Montego Bay par un Comité restreint créé à cette fin a
consacré définitivement la ruine de cette notion.
17
Delphine Edith Adouki, “Rapport national du Congo”, in M. Prieur et S. Doumbe-Bille (dir), Droit, forêts et
développement durable, Actes des 1ères journées scientifiques du Réseau « Droit de l’Environnement » de
l’AUPELF-UREF à Limoges, France, 7-8 novembre 1994, p.139.
1 / 15 100%

Texte de base sur un travail présenté au cours d`Anthropologie

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !