comme étant précisément le lieu et l’espace de la dimension co-construite des corps, aux plans
biologique et social.
15Dans ce numéro, nous souhaitions interroger les modalités possibles de « déconstruction »
de la bicatégorisation du sexe biologique, en tenant une posture critique vis à vis du
réductionnisme biologique tout en essayant, en retour, de ne pas verser dans un
réductionnisme sociologique. Nous ambitionnons ainsi de participer à la restauration du
dialogue entre social et biologique et montrer qu’ils sont toujours, déjà, en interaction.
6 Cet ouvrage a été traduit en français en 2012 sous le titre Corps en tous genres, titre
échouant hé (...)
16En ouverture du dossier, la professeure de biologie et d’études sur le genre Anne Fausto-
Sterling ouvre un dialogue avec l’anthropologue Priscille Touraille autour des principaux
enjeux épistémologiques qui animent le numéro. En proposant, dans un article écrit en 1993,
de penser cinq sexes, Anne Fausto-Sterling semblait contester que les humains formaient une
espèce absolument dimorphique au regard de la variabilité et de la malléabilité des critères du
sexe. Une vingtaine d’années après, cette critique semble s’être atténuée et complexifiée,
l’auteure considérant qu’en regard du sexe reproductif, les humains sont une espèce
« presque » dimorphique, mais que si l’on déplace le regard vers les comportements ou les
caractères secondaires du sexe (voix, poitrine, pilosité, etc.), la notion de continuum, à laquelle
s’oppose le concept de dimorphisme, semble plus pertinente. On peut à cet égard reprendre le
titre en anglais de son ouvrage le plus fameux, Sexing the Body, pour insister sur le processus
même par lequel les corps sont sexués, c’est-à-dire catégorisés et séparés, mais sur la base
d’une matérialité biologique qu’il n’est nul besoin d’écarter pour montrer les ressorts sociaux
d’une catégorisation qui fait la réalité6.
17Cette question est d’autant plus problématique lorsqu’il s’agit de penser le concept de sexe
dans les champs de la santé, et a fortiori, de la santé des femmes. À la fin de son entretien avec
Priscille Touraille, Fausto-Sterling se demande si, du point de vue des recherches en biologie,
les programmes les plus urgents à mener ne concerneraient pas les questions médicales,
comme de savoir s’il existe des maladies spécifiques aux sexes et ce alors même que les
problèmes soulevés par une approche sexuée de la maladie sont loin d’être résolus.
18La traduction de l’article de Steven Epstein permet de revenir sur cet enjeu en étudiant les
débats relatifs à la prise en compte différentielle des catégories de sexe dans la médecine
clinique et expérimentale contemporaine. Jusqu’à la fin des années 1980, les essais cliniques de
nouveaux médicaments étaient le plus souvent conduits sur des hommes, blancs, de classe
moyenne, entre trente et quarante ans et d’un poids avoisinant les 70 kg. Ce sujet masculin
servait de référent expérimental « neutre » à partir duquel on extrapolait les résultats,
notamment aux femmes, auxquelles on prescrivait des traitements élaborés sur la base de ce
profil type (Schiebinger, 2001). Si les femmes semblaient victimes d’une surmédicalisation
dans le domaine de la médecine reproductive – autour de l’accouchement, l’avortement, la
contraception, les thérapies hormonales, les cancers du sein ou de l’utérus, les maladies des
ovaires, le syndrome prémenstruel, etc. –, elles apparaissaient souvent sous-représentées dans
les essais cliniques (VIH, maladies coronariennes, etc.).
19Dans les années 1990, un mouvement général en faveur de la diversification des populations
dans les études de santé (notamment aux Etats-Unis) a conduit les compagnies
pharmaceutiques et les études de santé financées par les pouvoirs publics à inclure et à
prendre en considération les femmes et les minorités. S’en sont suivies de nombreuses
controverses notamment autour de la réintroduction de la catégorie de race comme catégorie
médicale pertinente ; ce profilage « ethno-racial » étant considéré comme dangereux en raison