Dans la perspective foucaldienne, il s’agit en effet d’un gouvernement de soi-même par soi-
même, avec cette précision politique, antérieure aux dernières recherches, que l’attitude
critique consiste en « l’art de n’être pas tellement gouverné ».
Alors que Foucault ne
distinguait pas "soi" de "soi-même", P. Hadot souligne que dans la philosophie antique, (c’est
l’une de ses divergences d’avec Foucault) pour le sage, le vrai bien, c’est ce qui appartient en
propre au moi, c’est le moi lui-même et la meilleure partie du moi, c’est la raison parfaite,
raison divine. Moi transcendant, daimôn. Passage de l’individualité à l’universalité.
La
distinction entre un "moi transcendant" et un "moi empirique" est décisive : « Le dialogue
avec soi-même est, plus précisément encore, un dialogue entre un moi transcendant, identifié
à la Raison et à la conscience morale, et un moi empirique, pris dans le tissu des sensations,
des événements et des actions, auquel il s’efforce de faire prendre conscience du fait qu’il est
lui-même identique à la Raison et doit vivre selon la Raison, […]. La Raison ne se trouble pas
elle-même, mais si le moi empirique refusait de s’identifier à la Raison, il ne pourra pas, en
fait, émettre de jugement de valeur pour retrouver la paix, car seule la Raison peut le faire. »
Sidérant voyage de l’âme grecque !
Sur ce que l’on pourrait appeler cette "heautonique" gréco-romaine, sur l’âme donc, la
critique de Lacan fut sans ambages, radicalisée par l’invention de petit a, ce reste où dit-il « se
réfugie la jouissance qui ne tombe pas sous le coup du principe de plaisir, étant incompatible
avec la tranquillité de l’âme, aucun des objets a ne pouvant être ressaisis dans l’âme. Je veux
dire dans cette esthésie régulatrice du principe de plaisir, dans cette esthésie représentative, où
l’individu se retrouve et s’appuie, identifié à lui-même, dans le rapport narcissique où il
s’affirme comme individu. »
La tranquillité de l’âme, l’un des noms de soi-même.
Les deux derniers tomes de l’Histoire de la sexualité,− à l’exception de l’Introduction de
L’usage des plaisirs,− sont-ils encore de Foucault, ou du Foucault,
dès lors que Foucault
disait lui-même de lui-même qu’il n’était ni historien ni philosophe, mais un artificier ?
M. Foucault, "Qu’est-ce que la critique ? Critique et Aufklärung", Conférence du 27 mai 1978 à la Société
française de philosophie, publiée dans son Bulletin, 1990, 84, 2. Non publiée… dans Dits et écrits, court extrait
publié dans Vacarme, 2004, n° 29, p. 171.
P. Hadot, Études de philosophie ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 1998, coll. L’âne d’or, p. 249.
Introduction aux Écrits pour lui-même, op. cit., pp. XXXV-XXXVI. Nos italiques.
« Le nombre d’âmes dans le cosmos est une fois pour toutes fixé ; il reste éternellement le même. Il y a autant
d’âmes que d’astres. Chaque homme trouve donc à sa naissance une âme qui était déjà là depuis le
commencement du monde, qui ne lui est aucunement particulière et qui ira, après sa mort, s’incarner en un autre
homme, ou un animal, ou une plante, si elle n’est pas parvenue, dans sa dernière vie, à se rendre assez pure pour
rejoindre dans le ciel l’astre auquel elle est attachée. L'âme immortelle ne traduit certes pas chez l’homme sa
psychologie singulière, mais plutôt l’aspiration du sujet individuel à se fondre dans le tout, à se réintégrer dans
l’ordre cosmique général. » J.-P. Vernant, op. cit., p. 228. Nos italiques.
J. Lacan, séminaire, La logique du fantasme, séance du 14 juin 1967.
Pour l’appréciation critique d’un helléniste, J.-F. Pradeau, "Le sujet ancien d’une éthique moderne. À propos
des exercices spirituels anciens dans l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault", in Foucault, Le courage de
la vérité, Coordonné par F. Gros, Paris, Puf, 2002, coll. Débats philosophiques, pp. 131-154. Ce qui a manqué à
Foucault ? « C’est le sujet de son éthique qui lui a manqué. » (p. 154).
"Je suis un artificier. Je fabrique quelque chose qui sert finalement à un siège, à une guerre, à une destruction.
Je ne suis pas pour la destruction, mais je suis pour qu’on puisse passer, pour qu’on puisse avancer, pour qu’on
puisse faire tomber les murs." (juin 1975), in Roger-Pol Droit, Michel Foucault, entretiens, Paris, Éd. Odile
Jacob, 2004, p. 92. Entretien antérieurement publié par Le Point du 1er juillet 2004, sous le (gros) titre de
couverture : "Les confessions de Michel Foucault". R.-P. Droit, Confesseur en Personne à titre posthume. Pas
moins. Encore le gouvernement des âmes.