La « théorie », qui est un ensemble de lois s’appliquant à un domaine précis, serait donc
une construction intellectuelle méthodique et organisée, de caractère hypothétique et synthétique
a priori selon l’entendement de KANT. Pourquoi donc parler de « loi scientifique vraie » ?
Au sens plein du terme la « vérité » signifierait « absence de voilement » ou de « non -
caché » ou encore le « vraiment vrai » selon le commun. C’est dire que ce qui demeurait
dissimulé à l’esprit humain se révèle dans son être même. Ce sens traduit plus une conception
métaphysique ou ontologique que scientifique. Ainsi la vérité nous donnerait-elle accès à l’être
des choses, à la réalité à la fois la plus profonde et la plus riche. Une telle interprétation de la
vérité demeure sans doute satisfaisante, ou même rassurante pour l’esprit, auquel elle garantit un
savoir total sur le monde. Devenant en quelque sorte transparent, ce dernier livrerait ses mystères
à l’homme. Mais une telle conception ne peut avoir cours dans la science. Le critère de vérité
scientifique résiderait dans la cohérence de l’ensemble des lois qu’est la théorie. Est vrai ce qui
est rationnel et vérifié au moins dans le domaine scientifique.
Maintenant, dire qu’une « loi scientifique est provisoire » revient à dire que cette loi qui
existe, qui se fait en attendant autre chose est « destinée à être remplacée », dans le sens de
cumuler. La fonction que cette loi exerce est pour un temps puisque s’inscrivant à l’intérieur
d’une histoire qui en modifie continuellement le sens. Ce qui est « provisoire » en science est
donc ce qui pouvant à chaque moment être révoqué. Ainsi la validité d’une loi scientifique
s’évaluera non pas par son adéquation à un donné ultime introuvable, mais par sa compatibilité
avec d’autres propositions.
II. Elaboration des lois scientifiques
1. De la loi à la théorie
Partons de la chute des corps chez Newton. Lorsque Newton « découvre » la loi de la
chute des corps, il peut avoir l’impression d’effectuer une découverte véritable c’est-à-dire
révéler l’existence d’une réalité, la loi organisant un aspect du monde physique, jusqu’alors
méconnue. Mais lorsque l’histoire de la physique évolue, et passe de la mécanique classique à la
mécanique relativiste, on s’aperçoit rétrospectivement que la loi de Newton, loin d’accéder à la
vérité absolue ou totale, était relative à un certain état historique de l’observation possible des
phénomènes et des élaborations conceptuelles de la science. En établissant l’existence d’une
relation constante entre des phénomènes aucune loi scientifique ne peut aller au-delà de la
définition qui lui est contemporaine des phénomènes eux-mêmes : elle est liée à un contexte
technique, au développement des instruments de mesure, et à l’état global du savoir de son
époque. De ce point de vue, elle est en elle-même à interpréter davantage comme une invention
que comme une « découverte ». Ainsi certains scientifiques arrivent à la conception selon
laquelle « l’univers n’est autre qu’une sorte de tableau informatique, une vaste matrice
d’information. »
Si l’on admet que les lois elles-mêmes participent de l’invention, on voit mal comment
leur réunion en une théorie aboutirait à un ensemble de nature différente, synonyme de
découverte du réel lui-même. Dans cette optique, on doit donc affirmer qu’à son tour, la théorie
est une invention, c’est-à-dire la reconstruction d’un aspect du monde telle que nous l’autorise la
structure de notre connaissance. La théorie, qui a pour objet de rassembler un certain nombre de
lois de façon systématique, propose une image du réel, mais non le réel lui-même : elle est une
approximation du réel. Ce qui n’est pas sans inconvénient pour le commun.
J. GUITTON, Dieu et la science. Vers le métaréalisme, Grasset, Paris, 1991, pp.123-124.