On ne peut comprendre la pensée de Sartre sur ce point que si l’on connaît le courant
existentialiste. Pour Sartre la mort est étrangère au « pour soi », puisqu’en tant que telle elle est
étrangère à mon existence et donc n’est pas objet d’expérience.
La mort vient à la fin, et tant que je vis, elle n’est pas, donc la mort ne fait pas partie de moi. La mort est
comme une cassure et une brisure : elle est absurde. Elle n’est pas du tout un projet puisque ma mort
met un terme à ma conscience. Parce que je ne peux pas dépasser la mort, elle n’a aucun sens.
D’ailleurs ma mort ne m’appartient pas mais elle appartient aux autres.
Pour résumer la position de ceux qui s’opposent à une réflexion sur la mort on pourrait avancer les arguments
suivants :
- Il faut donc se guérir d’une telle angoisse puisqu’on ne rencontre jamais la mort : « Dire ‘je meurs’ est
impossible » (Jankélévitch.) D’ailleurs pourquoi se soucier de ce que nous serions après la mort quand
nous ne inquiétons pas de ce que nous étions avant notre naissance ?
- La mort empêche de se connaître soi-même puisque le sujet connaissant se confond avec l’objet à
connaître ; et que d’autre part, la mort anéantit ce même sujet à connaître.
B – PHILOSOPHER C’EST APPRENDRE A MOURIR
Nous allons nous contenter d’évoquer les philosophes, mais l’Ecriture Sainte rappelle constamment l’homme à
cette grande vérité : Il n’est que de passage sur cette terre, et doit donc toujours se tenir prêt.
Dire avec les philosophes précédents qu’il ne faut pas penser à la mort, n’est pas très réaliste. Certes quand
l’heure de la mort est lointaine, cette pensée est souvent négligée. Mais quand celle-ci se fait pressante, alors elle
n’est plus simplement une certitude objective, mais elle devient un événement important auquel je dois me
préparer : c’est d’ailleurs l’événement le plus personnel qui me concerne de façon unique et singulière et en face
duquel je me trouve radicalement seul. Dans les choses de la vie, le héros de Paul Guimard évoque en ces termes
la mort toute proche : « Ce n’est pas le sort de tous, comme on le dit ignoblement. C’est chaque fois un drame terriblement
particulier. Pour moi je suis unique, je ne suis pas un homme sur des milliards qui va mourir. Je vous en supplie, faites quelque
chose ! Quoi de plus important que ce qui va m’arriver ? »
Ainsi convient-il de se demander si la vraie sagesse n’est pas de méditer sur cette certitude à laquelle nous
serons tous confrontés.
1) Platon et les stoïciens
Pour Platon la philosophie est donc un apprentissage de la mort, elle permet de nous purifier en
oubliant notre corps (cf. La doctrine platonicienne de la réminiscence et de la contemplation des Idées.)
Il faut mourir et c’est un bien, la philosophie doit donc nous apprendre à le faire. Il est intéressant de
constater que finalement Platon semble rejoindre Spinoza : Ne faut-il pas vivre pour l’Idée absolue ?
[T7-p.86]
Le stoïcisme et Montaigne reprendront ce thème de l’apprendre à mourir. Ils enseignent qu’il
faut apprendre à vivre chaque journée comme si elle était la dernière et se résoudre à obéir
promptement. La vie n’est qu’un prêt qu’il faut savoir rendre. On peut mieux comprendre toute la portée
de ces tombes païennes sur lesquelles il était inscrit : Non eram, fui, non sum.
Méditant constamment sur la mort, nous l’apprivoiserons, elle deviendra moins étrangère et perdra son
caractère effrayant pour n’apparaître que comme un simple sommeil. [T2-p.156]
2) Heidegger
Le philosophe allemand ne comprend pas que l’on puisse déconsidérer la mort. Il faut la rechercher
comme au plus profond de nous-même. Il nous faut même accepter notre angoisse devant la mort qui
est une donnée fondamentale de la vie ; en effet la mort est une forme essentielle de l’existence
humaine : elle constitue un possible indépassable ; en effet, elle constitue la fin de tous mes possibles. A
chaque instant de la vie la mort est présente ; elle est toujours devant nous, présente dans le moindre de
nos projets. L’homme est un être-pour-la-mort : dès qu’un être vit, il est assez vieux pour mourir. Dire
avec Epicure que la mort ne nous concerne pas, c’est mettre de côté notre conscience du temps.
« Dans l’angoisse devant la mort, la réalité humaine est mise en présence d’elle-même, comme livrée à sa possibilité
indépassable. Le « on » prend soin de convertir cette angoisse, d’en faire une simple crainte devant un quelconque
événement qui approche » (Heidegger, Qu’est-ce que la métaphysique ?)
Au contraire de Spinoza, pour Heidegger la crainte de la mort provient de l’ignorance et de la frivolité