Trente ans après le rapport Werner et dix ans après la signature du traité de
Maastricht, l'euro est devenu une réalité, sonnante et trébuchante.
Certes, il y eut ici et là des files d’attentes un peu plus longues aux caisses des
magasins, un peu d’irritation aux péages des autouroutes pour cause de fonds de
caisses dégarnis, quelques sueurs froides aux premières utilisations des
convertisseurs … mais l’euro-bogue n’a pas eu lieu. Le chassé-croisé des monnaies
européennes s’est passé sans heurts et l’Europe des 12 a passé avec brio, et
souvent avec enthousiasme, son examen de passage à la monnaie unique.
Questions sur l'Euro
Pour clôturer ce dossier en trois parties, nous avons sélectionné les questions les
plus courantes des dizaines de milliers d'élèves de collèges ou de lycées qui sont
venus à la Maison de Jean Monnet à Houjarray… et tenté d’y apporter des
réponses.
Rappels historiques
Quelle est la différence entre l'ECU et l'Euro ?
L'ECU est le sigle (European Currency Unit) d’une unité de compte née en 1979
avec le Système monétaire européen. C'est un panier de monnaies, composé
d'une dizaine de monnaies européennes en fonction du poids économique de
chaque Etat membre et de leur part dans le commerce européen.
L'ECU n'a jamais été une véritable monnaie mais le succès du SME dans les
années 1980 témoigna en fait de celui de l’écu. L’ecu servit ainsi de référence
dans les mécanismes de change, de moyen d’intervention, de crédit, de
règlements. Les banques belges ouvrirent des comptes en ecus aux institutions
européennes à partir de 1982. Le besoin de stabilité et de prévisibilité explique
également la rapidité avec laquelle les banques habituèrent les opérateurs
financiers européens à l’utilisation de l’écu, y compris dans leurs transactions
réciproques directes. Il a été remplacé par l'euro qui est une véritable monnaie
gérée par la Banque centrale européenne et matérialisée, depuis le 1.1.2002, par
des pièces et des billets. Le 1er janvier 1999, les parités (les valeurs) des
monnaies nationales par rapport à l'euro ont été définitivement fixées. Un euro
est égal à 6,55957 francs français ou à 1,95583 deutschmark.
Pourquoi a-t-on changé le nom de la monnaie ?
A l'origine, la monnaie unique devait s'appeler "ECU". C'est d'ailleurs ce nom qui
est inscrit dans le traité de Maastricht. Adopté en 1979, c'est un sigle qui
signifie : "unité de compte européenne" (European Currency Unit en anglais).
C'est également le nom d'une monnaie française du Moyen-Age. Pour payer la
rançon du roi de France, battu et fait prisonnier en 1356 par les Anglais près de
Poitiers, une rançon de 3 millions d'écus d'or fut spécialement frappée. Sur
chaque pièce, le roi était représenté à cheval, l'épée à la main. Le paiement de la
rançon permit au roi de retourner "franc" (c'est-à-dire libre) dans son royaume.
Ce nom resta à la pièce.
Ce sont surtout les Allemands qui ont souhaité que la future monnaie européenne
porte un nom "sans histoire". En changeant le nom de la monnaie européenne lors
du sommet européen de Madrid en décembre 1995, ils ont voulu éviter toute
confusion avec l'ECU, un panier de monnaies qui avait perdu plus d'un tiers de sa
valeur face au deutschmark depuis sa création dans le cadre du SME. Enfin, pour
l'anecdote, phonétiquement l' "ECU" se prononce comme la "vache" en allemand
("Die Kuh"). Difficile de demander aux Allemands de sacrifier leur deutschmark
pour une monnaie portant un tel nom !
Pourquoi les Allemands ont-ils été exigeants sur l'application des critères de
convergence ?
Pour expliquer l'attachement des Allemands au mark et à sa stabilité, on évoque
le souvenir de l'hyperinflation des années 20, période accompagnée par la
montée du nazisme. Les prix augmentaient alors de 20 % par jour, doublant en
moins de 4 jours.. Les entreprises s'arrêtaient de fonctionner plusieurs fois par
jour pour payer leurs employés qui partaient aussitôt faire des courses, cette
expérience d'appauvrissement instantané reste un souvenir constamment
remémoré par les Allemands.
"J'ai vécu des journées je payais le matin cinquante mille
marks pour un journal et le soir cent mille (...). On trouvait
des billets de cent mille marks dans le ruisseau : un mendiant
les avait jetés avec dédain ; un lacet de soulier coûtait plus
cher que précédemment un soulier. (...) Des adolescents qui
avaient trouvé une caisse de savon oubliée dans le port
roulaient pendant des mois en auto et vivaient comme des
princes en vendant chaque jour un morceau, tandis que leurs
parents, qui avaient été des gens riches, mendiaient leur
pain."
Stefan Zweig, Le Monde d'hier,
Souvenirs d'un Européen
A partir de 1948, le mark a été l'un des piliers de la réussite économique de
l'Allemagne, s'imposant comme l'une des trois monnaies les plus stables au
monde avec le franc suisse et le yen. Les Allemands avaient une confiance
absolue dans leur banque centrale, la Bundesbank, et dans la rigueur de la
discipline qu'elle imposait pour maintenir le mark fort et stable pendant près de
50 ans.
Mais le souvenir le plus récent reste celui de la réunification allemande. Après
avoir été mis à contribution pour renflouer les nouveaux Länder, les Allemands
de l'Ouest craignaient d'avoir à financer les pays qui entreraient dans l'euro
avec des budgets mal tenus.
Les critères de convergence n’ont pas été abandonnés mais renforcés lorque
l’euro est devenu réalité. Le pacte de croissance et de stabilité adopté au
sommet d’Amsterdam en 1997, reprennait les exigences de Maastricht et
prévoit une amende pouvant atteindre 0,5% du PIB pour les pays qui
dépasseraient la barre des 3% de déficits publics.
Paradoxalement, c’est l’Allemagne qui a été le premier pays a être « épinglé »
dans le cadre du pacte de stabilité.
En janvier 2002, la Commission européenne a demandé aux ministres des
Finances d’adresser un « avertissement » à l’Allemagne pour dérapage
caractérisé de son déficit public. Le Portugal a également reçu un carton jaune.
Deux autres pays ont été épinglés parce que leurs politiques budgétaires
suscitaient l’inquiétude de la Commission : la France et l’Italie. Ce dispositif
figure à l’article 6 du Pacte de stabilité et de croissance. Il prévoit que le
Conseil des ministres des Finances invite tout Etat un dérapage significatif a
lieu à « prendre les mesures d’ajustement nécessaires en donnant rapidement
l’alerte pour empêcher l’apparition d’un déficit excessif. » L’Allemagne a
finalement échappé à cet « avertissement préventif ». Réunis tard dans la
soirée, le 11 février 2002, les ministres de l’Economie et des Finances des douze
pays de la zone euro ont finalement décidé d’éviter cet humiliant rappel à l’ordre
au pays qui avait imposé à ses partenaires l’adoption du Pacte de stabilité pour
les contraindre à une stricte discipline budgétaire. Le plaidoyer pour
l’ « acquittement » de Berlin était facile à imaginer : le déficit allemand ne fait
que flirter avec la ligne rouge et un dérapage au-delà des 3% du PIB reste
improbable.
Comment a été calculée la valeur de l'Euro ?
Conformément au traité de Maastricht, ce sont les chefs d'Etat et de
gouvernements qui, le 1er janvier 1999, ont arrêté le taux de change de l'euro
vis-à-vis du franc, du mark et de toutes les monnaies le constituant.
Le 1er janvier 1999, les parités entre les monnaies ou taux de change, pré-
annoncées le 2 mai 1998 par référence aux taux centraux de chaque monnaie
dans le cadre du système monétaire européen, ont été appliquées. Quant aux
parités par rapport à l’euro, elles ont été déterminées selon le cours de chaque
monnaie en écus au 31 décembre 1998. Un euro vaut ainsi 6,55957 francs,
1,95583 deutsche marks ou 1936,27 lires. Les monnaies des Etats qui faisaient
partie de l’Union économique et monétaire ont continué de circuler entre le 1er
janvier 1999 et le 31 décembre 2001, mais en tant que subdivisions de la monnaie
unique, un peu comme le centime était la subdivision du franc. Sur le marché des
changes seul l’euro était coté : il n’y avait plus, par exemple, de parité franc-
dollar, mais une parité euro-dollar.
Géographie de l’Euro
Le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède vont-ils rester en dehors de la zone
euro ?
Les trois pays qui ont choisi de rester hors de la zone euro savent que leur
adhésion dans les prochaines années est quasiment inéluctable. Car aucun pays ne
peut prendre le risque de rester seul en marge de la zone euro. « Un homme nu,
affamé et seul au beau milieu du Sahara est libre dans le sens personne ne
peut lui dire ce qu’il doit faire. Il est alors souverain. Mais il est aussi
condamné. » a un jour analysé le britannique Chris Patten, commissaire européen.
Les trois pays satisfont depuis plusieurs années déjà aux exigences économiques
du traité de Maastricht mais le blocage est encore politique. Pourtant, depuis
l’introduction des pièces et des billets, les gouvernements commencent à
envisager une adhésion prochaine.
C’est par la voie référendaire que Tony Blair a promis d’emprunter pour
consulter les Britanniques sur l’opportunité de rejoindre ou non la zone euro. Le
premier ministre s’est engagé sur une date : avant 2006. Dès le 1er janvier, un
grand nombre de magasins britanniques - et beaucoup de taxis londoniens -
avaient décidé d’accepter les paiements en euros. Y compris Harrod’s et Marks
et Spencer. « L’euro est maintenant une réalité et je pense que l’idée que nous
puissions lui tourner le dos ou adopter la politique de l'autruche et faire comme
s'il n'existe pas serait une grosse bêtise.» a déclaré Tony Blair.
D’un point de vue politique, le Royaume-Uni craint d’être relégué dans la
deuxième division de la construction européenne. Peter Hain, le ministre des
Affaires européennes au Foreign Office, a indiqué pour sa part : « Si nous
voulons demeurer une puissance décisive, il est difficile d’envisager un tel rôle
hors de l’euro. »
De même, les Danois qui ont pourtant dit « non » à l’euro à deux reprises, en
1992 et en 2000, veulent maintenant un nouveau référendum sur la question. Ce
référendum pourrait avoir lieu après la fin de la présidence danoise de l’Union
européenne du second semestre 2002.
A l’instar du Danemark, et de la Grande-Bretagne, la Suède a assisté en
observateur au passage à l’euro. Outre le fait qu’elle renâcle à abandonner sa
couronne - pourtant faiblissante (alors qu’il fallait environ 8 couronnes pour un
euro en 2000, il en faut actuellement près de 10)- la Suède craint notamment de
devoir renoncer à sa traditionnelle politique de plein-emploi en cédant à la
Banque centrale européenne le soin de fixer sa politique monétaire et de crédit.
La population y semble toutefois plus favorable aujourd’hui qu’en 1999. Le
premier ministre suédois, Göran Persson, estime qu’un référendum sur l’adhésion
de la Suède à la zone aura lieu en 2003. En cas de « oui », les Suédois pourraient
faire leurs courses en euros à partir du 1er janvier 2006.
Qu’en est-il de la Norvège et de la Suisse ?
Quelques semaines seulement après l’introduction de l’euro, une majorité de
Norvégiens (53%) se disaient désormais favorables à une adhésion de leur pays à
l’UE, selon un sondage publié par le journal norvégien Aftenpostern.
Affichant l’un des revenus par habitant les plus élévés au monde grâce aux
immenses réserves d’hydrocarbures de la mer du Nord, les Norvégiens ont, à
deux reprises lors des référendums de 1972 et 1994, rejeté une adhésion de
leur pays à l’Union européenne. Selon le journal Aftenposten, le revirement
d’opinion des Norvégiens, qui reste à confirmer, serait largement à
l’introduction, sans problème majeur, de la monnaie unique dans les douze pays de
la zone euro. Composé de conservateurs, en grande majorité europhiles, et de
chrétiens-démocrates, largement eurosceptiques, l’actuel gouvernement
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