objectif la motive. Le professionnel ne crée pas cette motivation, elle surgit à l’articulation d’une
opportunité, d’une proposition qu’il formule et d’une attente préexistante supposant un besoin, un
désir de fondamental chez la personne. On ne mobilise une personne qu’en lui offrant une raison
d’agir, autrement dit un motif qui prend sens dans son existence. « La perspective selon laquelle la
stimulation précéderait la motivation relève d’une conception objectale qui dénie l’existence du
sujet comme être de conscience et d’intention. Elle suppose que certains êtres n’existent que par
le regard qu’on porte sur eux, la parole qu’on tient sur eux, l’action qu’on mène sur eux. »
Le
préalable d’une motivation chez la personne accompagnée repose sur la conscience de soi telle
que précédemment évoquée : j’éprouve l’évidence d’une existence de l’autre comme sujet
indépendant par analogie à la conscience que j’ai de ma propre existence
.
La notion d’interaction reposant sur une double motivation, celle du professionnel et celle de la
personne, implique de concevoir l’objectif partagé non comme une visée en soi mais comme
l’effort porté un temps donné sur une nécessité, un besoin, une attente, dont la résolution produira
une pluralité d’effets sur le développement ou l’existence de la personne. Dans le domaine de
l’humain, un objectif est la focalisation sur un aspect névralgique de l’existence d’une personne, un
levier producteur de changement et non la formulation d’un résultat prédéfini. Il n’a d’autre intérêt
que de supposer son atteinte comme la condition d’un mieux être de la personne.
Ce primat accordé à la motivation de la personne implique un engagement relationnel du
professionnel, un engagement qui projette la personne dans l’intérêt qu’il y a pour elle de
développer cet effort. Je ne trouve en moi de puissantes raisons d’agir que parce que des êtres
d’importance à mes yeux me manifestent leur attente à mon égard, me renvoient une image de
moi qui suscite leur intérêt, le fait que j’ai de l’intérêt pour eux, de l’importance dans leur existence.
Désaffectivée, la relation d’un professionnel à l’égard d’une personne accompagnée ne lui offre
pas l’opportunité susceptible de former la motivation préalable au changement.
Dimension sociopolitique de la rationalisation des actes
Je fais l’hypothèse que le discours sur la distance à tenir avec l’usager au nom de la technicité
professionnelle relève d’un processus de rationalisation des actes en matière d’action sociale. La
question du financement de la protection sociale est sous-jacente à ce processus de rationalisation
en cours. La structure économique de nos sociétés développées est aujourd’hui telle qu’elle prive
de travail une partie de plus en plus significative de la population et, avec l’allongement de la vie,
voit croître de façon exponentielle la couverture des besoins liés à l’avancée en âge.
L’explosion des inégalités de revenus, la précarisation d’une partie de la population,
augmentent continument le nombre des personnes requérant un accompagnement social. La
rationalisation des actes en action sociale est la conséquence logique de cette massification, elle
vise à contenir le volume de cet accompagnement en mécanisant les actes qui le composent au
travers de procédures et de pratiques contingentées.
De même que, conjointement au discours relatif à l’égalité des droits, à l’accessibilité et à
l’inclusion, se développe un processus d’inégalisation des ressources, de même, conjointement au
discours éthique relatif à la personnalisation de l’accompagnement, se développe une orientation
qui consiste à penser les populations en flux, les dépenses en volume, et la réponse aux besoins
en actes normés, rationalisation impliquant une distance relationnelle économe en temps dédié à
Le professionnalisme en action sociale et médico-sociale, Bertrand Dubreuil, Dunod 2009.
Cf. Soi-même comme un autre, Paul Ricoeur, Le Seuil, Paris, 1990.